Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 6 novembre 2023 à 16h00
Immigration et intégration — Question préalable

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq ans après l’entrée en vigueur de la dernière loi sur l’asile et l’immigration, vous nous présentez, monsieur le ministre de l’intérieur, un nouveau texte pour, dites-vous, « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ».

L’immigration, vous l’avez dit, ce sont avant tout des immigrés, des hommes, des femmes, des enfants, des ados, avec leurs situations particulières, leurs parcours, leurs aspirations, leurs difficultés – et des difficultés, il y en a.

De loi en loi, le parcours administratif d’une personne étrangère en France est devenu de plus en plus indigne. La conception dissuasive des politiques françaises d’immigration est devenue un facteur de désordre permanent.

La situation de nombreux étrangers en France, dont des mineurs, est marquée par l’extrême précarité et par une succession perpétuelle d’obstacles : de l’accès aux préfectures et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour l’obtention ou le simple renouvellement d’un titre de séjour jusqu’à une prise en charge médicale effective en passant par l’accès au travail, tout est fait, texte après texte, pour rendre leurs parcours chaotiques.

Un rapport de l’Assemblée nationale de 2021 portant notamment sur « les moyens consacrés par les préfectures à l’instruction des demandes de titres de séjour » décrit une situation qui a encore empiré depuis lors : du jour au lendemain, faute de rendez-vous, des personnes en situation parfaitement régulière, insérées professionnellement et socialement, basculent, entre deux titres, en situation irrégulière, et perdent leurs droits.

Entre 2019 et 2022, les réclamations relatives aux droits des étrangers ont augmenté de 233 % et le droit des étrangers est devenu le premier motif de saisine du Défenseur des droits, passant de 10 % à 24 % des réclamations reçues par l’institution. Cet accroissement concerne essentiellement l’obtention de rendez-vous, les difficultés liées à la dématérialisation des guichets et les délais d’instruction excessifs.

Cette « mise en désordre » de l’immigration et ce renoncement à nos valeurs se manifestent aussi et en premier lieu à nos frontières. Le rétablissement sans cesse renouvelé des frontières entre la France et l’Italie, depuis 2015, est le symbole de l’absurdité de cette politique. Cette frontière de plus en plus militarisée, mobilisant des effectifs de plus en plus nombreux, n’a pour seul effet que de rendre plus dangereuse la traversée des montagnes, ce qui, malgré la solidarité des montagnards, provoque régulièrement des drames. Il y a deux semaines, un homme est mort dans la Durance, la rivière qui coule près de Briançon, alors qu’il tentait d’échapper à un contrôle. Cela n’est pas acceptable.

Disons-le : c’est bel et bien l’idéal européen qui meurt à petit feu chaque fois que l’on renouvelle le contrôle aux frontières entre la France et l’Italie.

Face à cette situation, monsieur le ministre, vous nous proposez donc de « contrôler l’immigration » et d’« améliorer l’intégration ». L’impératif de « contrôler » se traduit par un mot d’ordre clair, que vous répétez à l’envi dans les médias, comme vous l’avez fait dans cet hémicycle : fermeté, fermeté, fermeté. Pourquoi ? Les motivations réelles de ce texte restent floues.

Le Conseil d’État comme le Défenseur des droits ont manifesté clairement leur regret devant l’absence de motivation sérieuse de ce texte : « L’exposé des motifs et l’étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés », nous dit ainsi le Défenseur des droits dans son avis publié en février dernier.

Compte tenu de la faiblesse dudit exposé des motifs et de ladite étude d’impact, le Défenseur des droits observait déjà, dans le même avis, et pour s’en inquiéter, que « le débat public risqu[ait] […] d’être sous-tendu par des représentations erronées, voire discriminatoires, de l’immigration ». On peut dire qu’elle ne s’était pas trompée…

Dans votre texte, monsieur le ministre, ces représentations erronées se manifestent clairement par le renforcement de l’arbitraire administratif. Pour vous, comme pour vos prédécesseurs, le sérieux d’une politique migratoire réside uniquement dans notre capacité à expulser.

Vous présupposez donc qu’en multipliant la distribution des obligations de quitter le territoire français, en faisant peser de nouvelles contraintes et l’arbitraire administratif sur les personnes étrangères présentes sur notre territoire, vous afficherez la fermeté propice à votre ambition politique ; mais la réalité, on la connaît : vous n’allez qu’amplifier le désordre et la précarité.

Quand la machine administrative broie arbitrairement, par son organisation, ou plutôt par son incurie, la vie des personnes étrangères, elle alimente aussi le désarroi des agents des préfectures ou des travailleurs sociaux.

Pour autant, ce texte va-t-il réduire le contentieux ?

Le Conseil d’État, dans son avis, douche un peu vos espoirs : « La réforme ne permettra pas, par elle-même, de limiter la part substantielle et croissante du contentieux des étrangers dans l’activité de la juridiction administrative. »

Ce tour de vis législatif supplémentaire va en revanche avoir un impact sur la vie de personnes pourtant installées depuis longtemps sur notre territoire. Le projet de loi prévoit ainsi des capacités élargies de lever la protection particulière. Pour rappel, cette protection vise à empêcher de prononcer une OQTF à l’encontre de l’étranger qui, soit est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, soit est marié à un Français ou une Française, soit réside en France depuis plus de dix ans, soit justifie d’un domicile régulier en France depuis la veille de ses 13 ans. À supposer que ce projet de loi soit adopté, une OQTF pourra donc être prononcée à l’encontre de toutes ces personnes non pas, comme c’est le cas actuellement, si elles ont été effectivement condamnées à plus de cinq ans de prison, mais si elles ont été condamnées pour un délit passible de cinq ans d’emprisonnement.

Au-delà de la distorsion évidente qui frappe ici le principe d’égalité devant la loi, un étranger est ainsi automatiquement condamné à la peine maximale encourue. C’est évidemment la logique de la double peine qui fait son grand retour ici.

Toujours au chapitre du durcissement, le texte que nous examinons aujourd’hui s’attaque aussi à la santé même des personnes étrangères. La majorité sénatoriale propose – on ne sait plus vraiment si c’est avec votre assentiment personnel, monsieur le ministre – de remplacer l’aide médicale de l’État par une « aide médicale d’urgence ». Manifestement, un accord vaut bien la mise en danger de la santé des Français comme des étrangers.

Les arguments de la majorité sénatoriale, nous les connaissons bien : l’AME coûte cher et son maintien constituerait un appel d’air pour l’immigration illégale. Peu importe si chaque année plusieurs collègues rappellent que ces deux arguments sont faux. Le coût des soins couverts par l’AME et du dispositif de soins urgents et vitaux ne représente que 0, 4 % des dépenses de l’assurance maladie en France et 51 % seulement des personnes qui y sont éligibles demandent à recourir à l’AME. Pour des raisons comptables et surtout idéologiques, on fragilise la santé de ces personnes, mais aussi – cela paraît évident – de toute la population.

Les débats qui ont entouré ce texte ont par ailleurs touché – c’est presque devenu une coutume ici – les associations et les bénévoles, celles et ceux qui font vivre nos valeurs républicaines de fraternité en accompagnant les personnes migrantes dans leur parcours.

Vous-même, monsieur le ministre, vous en êtes pris directement à la Cimade récemment ; mais ce sont toutes les associations d’aide aux personnes migrantes qui sont entravées dans leur action et harcelées par nos forces de police. Je l’ai moi-même constaté lors d’une maraude avec les équipes de Médecins du monde, mais ce constat est largement documenté au-delà de ma personne.

Ces associations visent simplement le respect du droit, la protection des plus fragiles. Elles sont les vigies permanentes qui nous alertent sur l’indignité de nos politiques migratoires et pallient le manque d’investissement de l’État.

Une fois détaillé le catalogue des mesures de contrôle, de fermeté et de répression, il est temps maintenant de parler d’intégration : la carotte après le bâton. Mais la carotte est bien maigre, c’est le moins que l’on puisse dire !

Penchons-nous tout d’abord sur l’intégration par la langue française. Nous pourrions imaginer qu’en l’espèce l’intégration se manifeste par un renforcement de l’accès aux formations et aux cours, mais la finalité de ces dispositions est tout autre : le niveau de langue devient un outil d’exclusion, un motif de refus de titre, ce qui représente une inversion même des objectifs fixés.

« La mesure a pour objectif d’inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français, de manière à favoriser leur intégration en France », est-il écrit dans l’exposé des motifs de votre texte.

L’incitation par le refus de carte de séjour, voilà une drôle de carotte… Cette mesure d’« incitation » a tant plu à la droite que celle-ci l’a rendue plus excluante encore, sans même se préoccuper de renforcer cours et formation.

Certes, nous aurions voulu voter l’article 3 de ce texte.

Nous avons toujours défendu la régularisation des travailleurs sans-papiers. Lorsque l’on travaille ici et que, souvent, on cotise ce faisant, il est logique de bénéficier des mêmes droits qu’ont les travailleurs d’ici.

Il est vrai qu’au début du parcours de ce texte Olivier Dussopt vous accompagnait, monsieur le ministre. Il brille par son absence aujourd’hui : il a disparu depuis quelques semaines, tout comme a disparu la valeur travail du logiciel de la droite sénatoriale, qui fait de cet article un casus belli indépassable. Oui, il faut s’y faire, désormais, la droite dite « républicaine » préfère défendre le travail au noir et l’exploitation des clandestins.

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