Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, déposée par notre collègue le député Olivier Jardé, est maintenant soumise à notre examen. Celui-ci a été différé du fait de la discussion du projet de loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires ». Ce délai a permis de prendre le temps de la réflexion, ce qui est toujours particulièrement nécessaire quand il s’agit de recherche et d’éthique.
Mais, vous en conviendrez, il est étonnant que l’on nous présente un texte d’une telle portée à la veille d’un week-end important, que l’on mobilise seulement deux heures de discussion, alors que l’on accorde trois semaines pour un texte sur les OGM ! Je tenais à formuler cette observation, connaissant votre ambition, chers collègues, en matière de recherche médicale, à laquelle vous tenez tout particulièrement.
La question qui nous est posée n’est rien de moins que de décider quel doit être l’équilibre entre le développement de la recherche appliquée en médecine et la protection des personnes qui s’y prêtent.
La recherche médicale est porteuse d’un mieux-être individuel et collectif que nous mesurons à l’aune de l’espérance de vie que nous gagnons chaque année. Entraver la recherche, c’est risquer de ralentir ce progrès social ou de ne pouvoir faire face aux nouvelles menaces sanitaires. Aussi faut-il nécessairement que nous fassions confiance aux chercheurs, car une société qui se défie de la science se destine à la paralysie et à l’obscurantisme.
Pour autant, quel prix sommes-nous prêts, collectivement, à payer pour quelques années de plus et quelles garanties devons-nous exiger de la part des chercheurs pour que les personnes malades engagées dans un protocole de recherche soient prises en compte au mieux de leur intérêt ?
Contrairement à une certaine idée reçue relative à la recherche clinique, celle-ci n’apporte pas nécessairement et systématiquement un bénéfice direct au patient qui y participe. Il peut arriver qu’un malade participant à un protocole expérimental voie sa santé améliorée. Cela est très heureux, mais pas automatique.
Certes, le but de la recherche est de parvenir à une amélioration des connaissances et donc, à terme, de la prise en charge thérapeutique. Mais la recherche est aussi un tâtonnement, une série d’erreurs et d’approximations conduites pour faire avancer la science, pour pouvoir dégager des certitudes. Dans certains cas, elle a une finalité collective, et non individuelle.
Dès lors, il ne s’agit pas de sauver une vie, mais d’étudier une problématique. Le sujet malade est alors considéré comme objet de la recherche. C’est la raison pour laquelle la relation entre le chercheur et le malade – contrairement à la relation entre le médecin et le patient, qui relève du colloque singulier – est régie par les impératifs d’un protocole de recherche.
Ce type de recherche qui n’implique pas nécessairement les soins relève de la science mais nécessite des personnes participantes pour faire progresser les connaissances.
Une personne qui accepte de s’engager dans une recherche médicale le fait pour elle-même mais également pour les autres. Cependant, elle supporte seule le risque qu’elle prend, alors que la société profitera de la connaissance acquise.
À l’évidence nous ne pouvons nous contenter de recueillir les fruits sans examiner ce qui est consenti par celles et ceux qui se prêtent à la recherche. Notre devoir est de limiter le risque le plus possible. Mais jusqu’où aller sans aboutir à l’interdiction pratique de la recherche ?
Cette question de la conciliation de la protection des personnes et de la connaissance est rendue moins complexe parce que nous avons la chance de nous trouver dans une époque où éthique et recherche médicale ne s’opposent plus.
En effet, après le sommet de l’horreur atteint durant la Seconde Guerre mondiale, la justice internationale a dégagé à l’occasion du procès des médecins nazis dix principes, connus sous le nom de « code de Nuremberg ». Ils déterminent les conditions d’une recherche qui, bien qu’elle soit effectuée sur l’homme, n’entache en rien sa dignité.
Plusieurs textes internationaux ont approfondi cette question. Le plus connu est la déclaration d’Helsinki élaborée par l’Association médicale mondiale en 1964. La convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée par la France dans le cadre du Conseil de l’Europe en 1997, est même porteuse d’un droit commun à l’échelle de notre continent.
Si aucun de ces textes n’a encore force contraignante dans l’ordre juridique français, les principes dont ils sont porteurs figurent depuis au moins vingt ans dans notre droit.
Le socle de l’encadrement législatif est constitué par la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite « loi Huriet-Sérusclat », du nom des deux membres de la commission des affaires sociales du Sénat qui sont à son origine. Elle a été modifiée par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
Ces textes ont permis de déterminer ce qui est acceptable en matière de recherche : c’est-à-dire d’offrir tout à la fois aux chercheurs un cadre juridique stable et des garanties en termes de responsabilité pour leur permettre de conduire leurs recherches, et aux personnes acceptant de participer à la recherche, l’assurance que leur intérêt primera toujours celui de la science.
Les instances permettant cette régulation sont, depuis 1988, les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale, ou CCPPRB, devenus en 2004 les comités de protection des personnes, ou CPP. Ces collèges qui réunissent, depuis 2004 à parité, scientifiques et personnes qualifiées issues de la société civile contrôlent l’éthique des protocoles de recherche biomédicale qui ne peuvent être mis en œuvre sans leur accord.
Dans son examen de la proposition de loi, la commission des affaires sociales du Sénat a cherché à rester fidèle aux principes posés par Claude Huriet et Franck Sérusclat. Je tiens à souligner qu’elle a travaillé dans un esprit de complémentarité entre ses membres.
Tout d’abord, la commission a reconnu l’apport que constitue en matière d’éthique l’examen unifié de l’ensemble des protocoles par les comités de protection des personnes, et accepté la distinction entre recherche interventionnelle et recherche observationnelle proposée par ce texte.
Mais elle a refusé, dès lors qu’il s’agissait d’une recherche interventionnelle impliquant une démarche de soins et une intervention sur la personne, de graduer le consentement des personnes en fonction du risque qu’elles sont supposées courir.
En effet, un risque, même supposé minime, dès lors qu’il y a soin et intervention sur la personne, change la nature de la relation entre le médecin et le malade. À partir du moment où l’on passe de l’intervention et du soin à la recherche, il est nécessaire que le malade qui se prête au protocole comprenne bien cette distinction et l’accepte.
La commission des affaires sociales a estimé – et c’est également ma conviction personnelle – que, dès lors que l’on interfère avec le soin, c’est-à-dire que la recherche est interventionnelle, le consentement « libre et éclairé » ne suffit plus. Il faut non seulement un consentement spécifique, mais un consentement écrit, seul à même d’attester que le patient a bien compris et accepté les risques qu’il va prendre au nom de la société tout entière.
Les arguments employés pour critiquer la lourdeur des modalités de recueil du consentement sont, me semble-t-il, bien inférieurs aux enjeux, comme si l’on considérait, d’une certaine manière, que le temps des chercheurs est trop important pour qu’ils le perdent auprès des personnes participant à ces recherches.
Mais la commission a également cherché à alléger le plus possible les contraintes administratives pesant sur la recherche et a pris en ce sens de nombreuses mesures. Ainsi, entre autres dispositions, elle a amorcé la simplification de l’examen des protocoles de recherche par la Commission nationale de l’informatique et des libertés et il vous appartiendra, madame la ministre, de la conduire à son terme en concertation avec l’ensemble des acteurs.
Ensuite, pour tenir compte de la réalité des chercheurs, ce même souci de pragmatisme m’a conduit à proposer également un amendement tendant à prévoir que les comités de protection des personnes pourront qualifier de manière différente les étapes successives d’une même recherche. Je pense que cette disposition est de nature à lever les inquiétudes des chercheurs.
En effet, les comités pourront ainsi distinguer, dans un même protocole de recherche, entre phases observationnelles et phases interventionnelles. Le niveau de consentement exigible pour la phase observationnelle ne nécessite pas un consentement écrit. Mais, à l’intérieur de ce protocole de recherche, s’il y a une phase interventionnelle, cela requiert un consentement écrit.
C'est la raison pour laquelle nous pensons que la commission des affaires sociales a entendu les chercheurs. Grâce à cette subtile distinction, la recherche ne sera pas entravée par des lourdeurs administratives qui, aux yeux des chercheurs, sont inutiles. Je suis en effet convaincue que les comités de protection des personnes feront une application judicieuses de ces dispositions.
Lorsque ce type de recherches est menée au niveau européen et que la France y participe, elle est contrainte, dans le cadre de protocoles européens, de recueillir un consentement écrit. Nous ne pouvons pas non plus déroger aux règles européennes.
Il faut, je l’ai dit, faire confiance aux chercheurs. Ils constituent obligatoirement la moitié des membres des comités de protection des personnes. C’est donc aux comités dans leur ensemble qu’il faut faire confiance pour préserver l’éthique de la recherche sans poser d’interdiction systématique ou idéologique tout en préservant fermement, madame la ministre, le consentement écrit des personnes.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l’action des comités mis en place par la loi Huriet, et la commission des affaires sociales a souhaité qu’ils puissent être renforcés et accompagnés dans l’exercice de leurs compétences étendues. À cette fin, la commission a voulu que la distribution des protocoles de recherche soit faite de manière aléatoire, afin de garantir que tous les comités aient une même expérience des dossiers, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Une commission a également été créée pour harmoniser les pratiques. Nous avons prévu que cette commission nationale soit rattachée à la Haute Autorité de santé, ce qui est conforme à sa mission d’évaluation et d’harmonisation des pratiques. Je suis consciente que cette solution n’est pas parfaite, mais la préservation des finances publiques nous a interdit – alors qu’on le fait presque dans chaque loi ! – de créer une autorité indépendante réunissant la commission nationale et les comités dans un ensemble unique et cohérent. Je pense, madame la ministre, qu’il vous faudra pourtant un jour y parvenir, peut-être dans le cadre de la loi de santé publique.