Intervention de François Autain

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi

Photo de François AutainFrançois Autain :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs sur ces travées à nous interroger sur les raisons qui ont conduit le député Olivier Jardé à nous infliger, toutes affaires cessantes, une septième modification de la loi Huriet-Sérusclat.

Depuis sa promulgation en 1988, cette loi a en effet été modifiée à plusieurs reprises, notamment en 2008, en 2006, deux fois en 2004, etc. On a donc l’impression que cette réforme, pour autant qu’elle soit nécessaire, ne pouvait pas attendre l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique – ce dont je ne suis pas absolument certain – et je le déplore.

Nos collègues députés, sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas non plus les raisons de l’empressement de M. Jardé, ont été tentés d’y apporter une justification a posteriori en inscrivant à l’article 1er du texte la nécessité de faire de la recherche sur la personne une priorité nationale. C’est, de mon point de vue, une initiative fort malheureuse. C’est même pour moi un point de total désaccord dans la mesure où ce type de recherche médicale ne doit avoir pour seule vocation que de servir la personne et ne peut consister en un projet à visée scientifique pure réduisant la personne à un objet d’investigation.

La déclaration d’Helsinki, à laquelle la France a souscrit, précise que « dans la recherche médicale sur les sujets humains, les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur le bien-être du sujet ».

La démonstration a donc été faite à l’Assemblée nationale : cette proposition de loi, sans doute parce qu’elle a été examinée en dehors du champ de la révision des lois de bioéthique, n’est pas une initiative judicieuse à mon sens, car elle incite le législateur à s’abstraire du cadre contraignant, mais nécessaire, qui encadre les recherches sur l’homme.

Je suis bien sûr très heureux de constater que je n’étais pas le seul à m’inquiéter de voir la recherche sur la personne – c’est ainsi que les recherches biomédicales sont désormais désignées – érigée en priorité nationale et que notre commission a su sagement rectifier le tir.

Par ailleurs, je dois reconnaître tout de même au texte le mérite de clarifier les différentes catégories de recherche sur la personne, en précisant de la sorte un certain nombre de règles concernant les recherches non interventionnelles qui, parce qu’elles n’étaient pas clairement balisées dans le code, ont fait parfois l’objet de dérives, il faut bien le reconnaître.

Pour ce qui est du travail amorcé au Sénat, je regrette de dire, et en cela je suis en désaccord avec Mme le rapporteur, qu’il a été entrepris dans de mauvaises conditions puisque nous n’avons pas disposé du temps nécessaire pour procéder à des auditions.

Celles-ci nous auraient été d’autant plus utiles que c’est là un sujet pointu qui, comme je le soulignais précédemment, soulève des questions d’éthique particulièrement complexes, subtiles et ardues.

Je me réjouis du travail effectué en commission, et je tiens à saluer tout particulièrement l’ouverture d’esprit de notre rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, qui a accepté un certain nombre de nos amendements, ce fait inhabituel méritant d’être souligné.

Aussi la proposition de loi de l’Assemblée nationale a-t-elle pu être corrigée sur deux points fondamentaux à mon sens.

Premier point : les recherches interventionnelles pouvaient, au départ, être menées sur des individus ne bénéficiant pas d’un régime d’assurance maladie, mais, grâce à un amendement adopté en commission, cela n’est plus possible.

Second point : les enfants pouvaient être soumis à de telles recherches avec le seul accord d’un des parents, ce qui nous semblait tout à fait contraire aux règles du droit pénal et, par conséquent, nous avons rétabli la nécessité du double accord.

La commission a également jugé utile de créer une commission nationale chargée d’évaluer, d’harmoniser et de coordonner les activités des comités de protection des personnes. À cet égard, je ne pourrai pas souscrire à l’amendement que vous avez déposé, madame la ministre, consistant à extraire cette commission de la Haute Autorité de santé, la HAS, pour la placer sous votre tutelle directe.

Sa création est pourtant nécessaire en ce qu’elle permet la répartition aléatoire des projets soumis aux comités par les promoteurs, seule garantie de la répartition équitable et de l’indépendance de l’examen de chaque dossier.

Sa création est aussi plus que bienvenue, madame la ministre, car, depuis la promulgation de la loi du 9 août 2004, ni vous ni vos prédécesseurs n’avez jugé bon de permettre l’évaluation effective des comités de protection des personnes, les CPP, alors que c’est en fonction de cette évaluation que vous deviez apprécier la qualité de leur travail pour, le cas échéant, leur retirer leur agrément, conformément aux dispositions de l’article L. 1123-5 du code de la santé publique.

En l’absence en effet de publication de l’arrêté fixant le règlement intérieur des CPP, le groupe de travail, qui avait pourtant été constitué en 2006 au sein de la HAS, a été suspendu en juillet 2008. Il n’a donc pas pu élaborer de référentiel, contrairement à l’engagement pris par vous-même ou par votre prédécesseur.

Grâce à la commission des affaires sociales du Sénat, vous disposerez – enfin ! – avec la création de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, de l’outil qui vous faisait défaut.

Enfin, même si je considère que certaines dérives ont été contenues grâce au travail de la commission, je constate que, sur la question du financement des recherches, elle a laissé l’article 2 de la proposition de loi en l’état, peut-être par faute de temps et de réflexion suffisante. En effet, il s’agit d’un changement radical dans le financement des recherches interventionnelles qui avait d’ailleurs été amorcé en 2004 dans la loi relative à la politique de santé publique et qui consiste à le faire supporter en quasi-totalité par l’assurance maladie, laquelle, on le sait, dispose d’énormément de moyens financiers en ce domaine !

Cette mesure est inacceptable, même si, dans un effort de générosité sans doute insuffisamment apprécié, les promoteurs, reconnaissants, fournissent « gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer ». Si ces recherches, in fine, débouchent – divine surprise ! – sur un résultat permettant une commercialisation, le promoteur rembourse les sommes engagées aux régimes d’assurance maladie. Encore faut-il veiller à ce que le remboursement de l’indu soit total et il ne semble pas que, sur ce point, toutes les garanties soient offertes.

Ainsi, l’assurance maladie devient, pour ce qui concerne les recherches interventionnelles, une sorte de « capital-risqueur », si j’ose ce néologisme, un mécène indifférent au retour sur investissement.

C’est, de mon point de vue, un rôle qu’elle ne doit pas jouer, et j’aurais préféré que soit mis en place un mécanisme inverse permettant le remboursement total a posteriori des recherches qui se seraient avérées à finalité non commerciale et dont le contenu serait rendu public pour toute la communauté scientifique.

Vous l’aurez compris, même si je me réjouis que notre commission ait rendu ce texte plus acceptable sur le plan éthique, je ne peux le voter en l’état car il pervertit l’idée que j’ai de la finalité de la recherche biomédicale et de sa prise en charge.

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