Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi, adoptée le 22 janvier dernier par l’Assemblée nationale et dont nous discutons aujourd’hui, neuf mois plus tard, nécessite de conserver une certaine hauteur de vue. En effet, bien plus que d’autres, son objet porte sur l’être humain, domaine dans lequel il est toujours difficile de trancher, domaine aussi où le législateur doit prévoir le plus grand nombre de précautions juridiques qu’il soit possible et instaurer ainsi un maximum de garanties éthiques. Code de la santé publique à l’appui, nul ne saurait nier, ici comme ailleurs, que « l’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale prime toujours sur les seuls intérêts de la science et de la société » et non l’inverse, principe qui doit guider notre réflexion commune.

Notre collègue rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, l’a du reste fort bien dit en rappelant le principe de l’inviolabilité humaine, que nous devons toujours avoir à l’esprit, dès lors que, une décennie après la loi Huriet-Sérusclat, nous est soumise cette nouvelle variation du dispositif existant avec pour objectif de donner un cadre unique aux recherches médicales et, par là même, de simplifier les démarches des chercheurs, tout en tentant de renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche biomédicale. Un souci légitime, s’il en est, dans la patrie d’Ambroise Paré, de René Laennec, de Claude Bernard ou d’Albert Schweitzer, pour ne citer que quelques noms parmi les plus emblématiques de l’histoire de la médecine en France.

Trois types de recherches sont aujourd’hui distingués, selon le niveau de risque pour les personnes : les recherches interventionnelles avec risques certains, les recherches interventionnelles ne comportant que des risques négligeables et les recherches non interventionnelles ou observationnelles, dans lesquelles les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle.

En vertu de la loi du 9 août 2004, ces recherches sont soumises à l’autorisation d’un comité de protection des personnes. La proposition de loi modifie seulement ce qui encadre les deuxième et troisième types de recherches que je viens de citer. Ses cinq articles réunissent les trois catégories de recherches sur la personne dans un cadre législatif unique, identifient les recherches à finalité non commerciale, simplifient les autorisations et les déclarations des recherches et fixent les conditions de retrait d’agrément des comités de protection des personnes.

Les précisions que nous avons ajoutées en commission complètent un dispositif d’encadrement certes très technique, mais devant répondre à trois principes généraux que l’on peut ainsi résumer : aucune recherche ne peut être effectuée sur l’être humain si elle ne se fonde pas sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante, si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette recherche et si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition.

Cette proposition de loi vise à atteindre deux objectifs : le premier est de sécuriser les médecins qui réalisent des recherches sur l’homme ; le second est de protéger les personnes participant aux recherches biomédicales en mettant en place une série de règles devant être respectées tout au long de la recherche.

Il va sans dire que ces objectifs ne sauraient être contestés par la représentation nationale, dont la mission élémentaire est d’affirmer toujours les règles de l’humanisme, dont la première, vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, est le respect le plus absolu de l’intégrité des personnes physiques.

C’est dans cet esprit, je l’espère, que le texte vise à donner un cadre législatif commun à l’ensemble de ces recherches, à clarifier les rôles de promotion et d’investigation, à simplifier et à mettre en cohérence le régime d’autorisation et de déclaration des recherches utilisant des collections d’échantillons biologiques et humains, tout en définissant les conditions de retrait d’agrément des comités de protection des personnes.

Au nom de ces principes, la commission des affaires sociales du Sénat – je m’en réjouis et l’en félicite – s’est montrée très réservée sur la gradation des procédures de consentement prévues par la proposition de loi et a adopté de nombreux amendements destinés à corriger un texte parfois imparfait.

Parmi ces amendements, je veux citer ceux qui visent à préciser le champ d’application de la proposition de loi, à mieux encadrer les définitions des différentes catégories de recherches, à supprimer l’autorisation nécessaire pour mener à bien une recherche hors du lieu de soin lorsqu’elle présente un risque, à prévoir une information individuelle des personnes participant aux recherches, à exiger un consentement écrit pour toutes les recherches interventionnelles et un double accord parental dès qu’un enfant participe aux recherches, ou encore à confier à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, un pouvoir de police sur l’ensemble des recherches.

On ne prend jamais assez de précautions dans ce domaine ; on n’est jamais assez attentif aux dérives possibles ; on ne veille jamais assez à empêcher toute forme d’arbitraire scientifique, qui est parfois aussi excessif – les exemples n’ont pas manqué dans le passé – que l’arbitraire politique ou religieux. C’était le sens de ces amendements.

C’est pourquoi je peux comprendre le principe général ayant présidé à la rédaction de cette proposition de loi – la recherche d’un équilibre entre la protection des personnes et le développement de la recherche biologique –, mais je me pose un certain nombre de questions.

La première, qui relève de la logique la plus élémentaire, me conduit à me demander pourquoi le Gouvernement n’a pas choisi d’aborder cette problématique dans le projet de loi, plus général, de révision des lois dites de bioéthiques, dans lequel elle aurait assurément trouvé toute sa place. En la dissociant du vaste ensemble de réflexions relatives à la bioéthique, auxquelles certains d’entre nous se livrent depuis plusieurs mois, on court le risque de précipiter la réponse législative sans que le cadre général soit bien défini.

De même, sur un plan plus formel, a-t-on bien mesuré la portée des mesures contenues dans cette proposition de loi, en particulier en matière de transparence de la recherche sur la personne ? N’est-on pas en train de banaliser les recherches biomédicales en procédant à un mélange des genres préjudiciable à la protection de ces mêmes personnes, mais aussi à l’essence même du droit, puisque ces recherches ne sont pas toujours de même nature, donc très difficiles à contrôler ? De surcroît, la question des contentieux, toujours possibles et parfois inévitables, ne me paraît pas avoir été véritablement prise en compte. Enfin, comme le suggèrent certains, n’eût-il pas été judicieux de généraliser, au sein des centres hospitaliers et universitaires, ou CHU, les comités consultatifs d’éthique qui, mieux que les comités de protection des personnes, seraient à même de répondre aux questions que nous nous posons ?

Tout cela me conduit à me demander si cette proposition de loi est véritablement applicable dans sa forme. Je n’en suis pas pleinement persuadée. C’est pourquoi, avec la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je m’abstiendrai sur ce texte, tout en demeurant attentive et vigilante à la discussion, aux questions des uns et des autres et aux réponses du Gouvernement, mais aussi à son application dans l’avenir, en sachant qu’il sera probablement inévitable de revenir sur un certain nombre de ses points forts dans le cadre des lois sur la bioéthique que nous aborderons dans un avenir proche.

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