Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mes chers collègues, dans son intervention d’une grande solidité, mon collègue Jean-Pierre Geoffroy a déjà largement balayé le champ de cette proposition de loi, dont les dispositions auraient effectivement pu trouver place dans la loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires » ou dans les textes destinés à réviser la loi de bioéthique que nous examinerons prochainement. Un autre choix a été fait par les auteurs de la proposition de loi, qui ont considéré qu’il était aujourd’hui urgent de faire évoluer le cadre juridique des recherches sur la personne. Soit ! Engageons-nous donc dans le débat.

Pour ma part, dans cette discussion générale, je me bornerai à soulever quelques questions que se posent également de nombreux membres des comités de protection des personnes. J’espère que des réponses y seront apportées tout au long de l’examen du texte par le truchement des amendements, qui, à n’en pas douter, seront âprement débattus.

Tout d’abord, les évolutions de notre société et celles de la recherche, prise en son sens générique, imposaient-elles de modifier, toutes affaires cessantes, le cadre législatif dans lequel la recherche s’inscrit ?

Au vu de ces évolutions et de celles de la pratique, y a-t-il une connexion entre la proposition de loi et les problématiques de terrain ?

Dans ce contexte, quels sont les avantages ou les inconvénients de cette proposition de loi ? En particulier, quelle protection pour les patients et quelles responsabilités nouvelles pour les acteurs de la recherche prévoit-elle ?

Enfin, pour tout dire, quelles valeurs ce texte défend-t-il ?

Pour l’heure, cette proposition de loi nous laisse perplexes, surtout si nous nous inscrivons – mais sans doute sommes-nous très naïfs ? – dans une perspective visant la morale dans la science, morale dont le législateur ne devrait, selon nos convictions profondes, jamais se départir.

Ici, dans cette perspective, nous pourrions nous poser la question philosophique – mais n’est-ce pas incongru ? – du respect de l’être humain et évoquer l’impératif catégorique kantien suivant, tel que le philosophe l’exprime dans Fondation sur la métaphysique des mœurs : « Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ».

Cet impératif renvoie au respect de la dignité humaine comme « valeur intérieure absolue ». Cela suppose l’absence d’instrumentalisation de l’être humain, par exemple dans le domaine des expérimentations biomédicales – l’objet du texte que nous examinons aujourd'hui – ou dans celui des transplantations d’organes. Mais là nous sommes déjà dans le champ de l’éthique, qui ne semble pas être la préoccupation centrale des auteurs de cette proposition de loi.

Pourtant, dans ce qu’il est convenu d’appeler sa sagesse, le législateur n’avait écarté cette préoccupation centrale concernant les recherches sur l’homme ni dans la loi de 1988 dite « loi Huriet-Sérusclat », ni dans la loi de 2004 relative à la politique de santé publique.

Oublier la place centrale de l’éthique prépare à la banalisation des objets de la recherche et cette banalisation est l’antichambre, hélas ! d’atteintes potentielles aux libertés fondamentales, ce qui, j’en suis persuadé, mes chers collègues, est totalement inadmissible pour l’immense majorité d’entre nous.

Aussi, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, veillons à ne pas nous situer à rebours de la doctrine internationale en la matière : la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite « convention d’Oviedo », adoptée par le Conseil de l’Europe, ou encore la déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale, amendée à l’occasion de sa cinquantième assemblée générale qui s’est tenue à Séoul en 2008.

J’ajouterai que l’objectif premier de la recherche impliquant des êtres humains est, dans le respect qui est dû à l’homme, à sa santé et à ses droits, de comprendre les causes et le développement des maladies mais aussi d’améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques. Ces principes se suffisent à eux-mêmes et rendent accessoire toute autre considération. J’ai cru comprendre, en écoutant ses interventions tant en commission qu’ici même voilà quelques instants, que Mme le rapporteur s’en tenait à cette position, et je m’en félicite.

Cela étant dit, il nous faudra rester vigilants et ciseler les articles de cette proposition de loi afin de parvenir à un nécessaire équilibre, et le moins fragile possible, entre la protection renforcée des personnes et l’assouplissement souhaité par les promoteurs de la recherche, entre l’éthique, qui n’appelle pas de compromis, et le pragmatisme des acteurs de la recherche, qu’elle soit conduite ou non en CHU.

En ce qui concerne l’éthique, rappelons que, dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, le législateur a modifié la composition des comités de protection des personnes afin de bien marquer sa prise en considération de la « réflexion éthique », le « contrôle du consentement » ayant progressivement pris le pas sur la simple protection de l’intégrité physique des personnes, qui était historiquement la première mission de ces comités, ainsi que l’a souligné fort à propos Mme le rapporteur lors de son intervention en commission.

Quant au pragmatisme des chercheurs et des promoteurs de toute recherche, n’ayons pas peur d’affirmer qu’il conduit, plus souvent qu’on ne le pense, certains d’entre eux à ne pas exclure a priori – et d’autres même à privilégier – certaines formes de mercantilisme, comme je l’ai soutenu en commission des affaires sociales.

Mercantilisme qui conduit à vouloir gommer toutes contraintes, qualifiées péjorativement d’« administratives », dans lesquelles, bien évidemment, sans que cela soit dit clairement, prennent place toutes les dispositions visant à la protection des personnes. Mercantilisme qui incite à un retour sur investissement le plus rapide possible – je parle des investissements financiers, le coût de la recherche étant souvent élevé – afin de pouvoir promptement faire breveter, après validation et éventuellement publication scientifique, les « produits » et/ou les « résultats » de leur recherche, en vue de leur possible commercialisation.

En fait, cela renvoie, d’une manière plus générale, à deux conceptions de la recherche.

L’une est fondée sur la primauté donnée à l’individu, à la préservation de la dignité de la personne et, plus globalement, à la notion de solidarité humaine. Cette conception est celle, je pense, de la majorité d’entre nous dans cette enceinte.

L’autre privilégie l’aspect commercial de la recherche, notamment lorsque ses promoteurs dépendent de laboratoires organisés en grands groupes internationaux. Là, on n’est jamais très éloigné de la recherche en priorité du profit, l’individu risquant fort de ne plus être qu’un maillon, la partie d’un tout qui constitue une chaîne commerciale naturellement plus préoccupée par ses performances et sa rentabilité, ce que nous ne pouvons accepter s’agissant de la vie humaine.

Pour terminer, je rappelle que nous devons rester vigilants sur les dérives potentielles que pourraient entraîner, par exemple, des recherches épidémiologiques comprenant des populations vulnérables, cela a déjà été dit. Nous devons également demeurer attentifs sur les conditions d’autorisation de recherche sur les mineurs. N’oublions pas en effet que les conséquences des dommages subis par les enfants sont différées, en raison de la fragilité particulière de leur organisme en croissance. N’oublions pas non plus les incidences de ces conséquences sur le plan assuranciel.

Mes chers collègues, devant l’approche de la recherche sur les personnes que nous proposent les auteurs de cette proposition de loi, nos concitoyens nous observent, inquiets et attentifs et ils ne manqueront pas de nous juger sévèrement si nous décevons leurs attentes exigeantes en ce domaine.

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