Intervention de Muriel Jourda

Réunion du 8 novembre 2023 à 21h30
Immigration et intégration — Article 3

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda :

Il convient de revenir sur ce qu’est l’article 3 afin de dégager les raisons qui ont motivé cet amendement de suppression.

Partons de faits connus de tous. Dans ce pays, des employeurs emploient, de façon irrégulière, des étrangers dépourvus d’autorisation de travail, lesquels, de ce fait, travaillent aussi de façon irrégulière.

Je renvoie ces irrégularités dos à dos. En effet, si la responsabilité des uns et des autres peut être discutée, la réalité est que tout le monde trahit la loi. En tant que législateurs, nous ne pouvons pas nous résigner à ce que la loi soit en permanence bafouée.

La première position que nous devons avoir, me semble-t-il, est donc de ne pas accepter cette situation où tant l’employeur que le salarié ne respectent pas la loi.

Pour autant, une fois cette position de principe affirmée, nous savons aussi – pour être quasiment tous des élus locaux, avoir parfois dirigé des exécutifs et avoir une connaissance du terrain – que la réalité est souvent plus complexe que la sèche application de la loi.

C’est pourquoi, en matière de droit des étrangers et de séjour irrégulier, il existe un dispositif, l’admission exceptionnelle au séjour, qui permet de façon exceptionnelle de régulariser la situation d’une personne qui, par définition, n’est pas en situation régulière.

Ce dispositif résulte de l’application, dans le domaine du droit des étrangers, d’un principe général de droit administratif, selon lequel chaque personne – un étranger comme un Français – qui habite sur le territoire français peut solliciter de l’administration une révision de sa situation individuelle.

Dans ces conditions, l’administration peut parfaitement admettre que la personne qui sollicite la révision de sa situation puisse bénéficier d’un droit auquel elle ne peut prétendre selon la stricte application du texte.

Dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie, au regard de l’irrégularité et de la situation de l’étranger, si ce dernier peut se voir délivrer un titre de séjour.

Nous connaissons tous la circulaire Valls : elle définit les orientations générales qui guident les préfets dans le cadre de la procédure d’admission exceptionnelle au séjour. On l’apprécie ou on ne l’apprécie pas, selon les travées où l’on siège dans cet hémicycle. Ces orientations générales permettent d’ailleurs de régulariser plus souvent au titre de la vie privée et familiale que par le travail.

Je ne fais là que rappeler le droit positif, qu’aucun de nous n’a voulu modifier. Nous admettons tous – ou presque – l’existence de l’admission exceptionnelle au séjour.

L’article 3, dans la version initiale, visait la régularisation de travailleurs irréguliers dans des métiers en tension.

Toutefois, dans cet article, le procédé juridique choisi était tout à fait différent. Les travailleurs en situation irrégulière devaient fournir la preuve de leur activité, accomplie pendant un certain nombre de mois après un certain nombre d’années de présence sur le territoire français. Cette preuve étant fournie par tout moyen et sans l’aide de l’employeur, les travailleurs en situation irrégulière auraient été automatiquement régularisés.

Nous ne l’avons pas accepté, parce que nous sortions de la casuistique de l’admission exceptionnelle au séjour qui, par définition, nécessitait d’étudier extrêmement précisément la situation de chacun.

L’application de cette régularisation de droit entraînait la régularisation automatique, sans que l’État, par l’intermédiaire du préfet, fasse usage de son pouvoir discrétionnaire. Cette régularisation était donc automatique, l’État se départait de son droit, dans un domaine aussi régalien que le droit des étrangers. En outre, le mécanisme induisait qu’en faisant la preuve de la fraude un droit était automatiquement créé.

Nous en avons longuement débattu. Il existe un principe de droit, que chacun connaît ici, selon lequel la fraude corrompt tout : ainsi, la fraude devenait créatrice de droit. Nous dépassions largement, nous semblait-il, le cadre de ce que devait être le droit.

À notre sens, le législateur ne pouvait donc pas adopter une disposition qui aurait juridiquement créé un droit uniquement fondé sur la preuve de la fraude, pour peu qu’elle fût suffisamment longue et habile.

En conséquence, nous n’avons pas souhaité maintenir ce dispositif et avons demandé la suppression de l’article 3 au bénéfice d’une autre disposition, laquelle revient à l’admission exceptionnelle au séjour, qui existe et que personne n’a jamais voulu modifier. Elle permet de restaurer le pouvoir régalien de l’État et de rétablir un examen au cas par cas de la situation de chaque personne ayant déposé une demande auprès du préfet, que ce dernier pourra ainsi examiner.

Voilà exposées de façon factuelle les raisons pour lesquelles l’article 3 pourrait être supprimé si notre assemblée votait l’amendement de suppression de la commission.

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