Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 5 juin 2008 à 9h30
Réforme de la prescription en matière civile — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur :

madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici de nouveau devant la réforme des règles de la prescription en matière civile que nous avons engagée au Sénat il y a un peu plus d’un an et qui, je l’espère, est sur le point d’aboutir.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue la traduction législative de travaux très importants qui ont été menés par la mission d’information de notre commission des lois sur le régime des prescriptions civiles et pénales, conduite par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung de février à juin 2007.

Déposée sur le bureau de notre assemblée par notre collègue Jean-Jacques Hyest au mois d’août 2007, elle a été adoptée par le Sénat en première lecture lors de la séance mensuelle réservée du 21 novembre 2007, puis par l’Assemblée nationale le 6 mai dernier.

Cette réforme est très attendue.

La prescription constitue un principe fondamental de notre droit. Elle répond à un impératif de sécurité juridique : le titulaire d’un droit resté trop longtemps inactif est censé y avoir renoncé ; les personnes concernées par cette action doivent pouvoir retrouver une sécurité en la matière. Elle joue également un rôle probatoire, car chacun sait que les preuves ne sont pas éternelles et elle permet aux acteurs économiques et juridiques de ne pas avoir à conserver trop longtemps des justifications qui ne s’imposent plus.

Cependant, les règles qui la régissent dans le code civil s’avèrent pléthoriques – on a ajouté sans cesse de nouvelles dispositions –, complexes et inadaptées à la société moderne.

La Cour de cassation a recensé plus de deux cent cinquante délais de prescription différents – cela laisse pantois –, dont la durée varie de trente ans à un mois. Cette disparité est source d’incohérences – dans de nombreux cas, ces règles ne se justifient plus – et d’incertitudes pour le justiciable.

Le délai trentenaire de droit commun, qui date de l’origine de notre code civil, se révèle aujourd’hui inadapté ; il est en décalage par rapport aux délais retenus par la plupart de nos voisins.

Les modalités de computation de ces délais s’avèrent, elles aussi, complexes en raison des incertitudes entourant parfois leur point de départ et des possibilités multiples d’interruption ou de suspension de leur cours.

Bref, il était grand temps de moderniser et de mettre en cohérence ces règles devenues foisonnantes, complexes et éparses, faute de réforme d’ensemble.

Comme vous l’avez dit, madame la garde des sceaux, il s’agit d’une réforme ambitieuse qui s’articule autour de trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, la simplification de leur décompte, et l’autorisation, sous certaines conditions, de leur aménagement contractuel.

Parmi les multiples mesures adoptées par le Sénat, la plus spectaculaire est sans doute la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, qui correspond tout à fait aux nécessités d’une vie économique moderne et sur laquelle se sont déjà engagés un certain nombre de pays voisins, avec pour point de départ « le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir des délais plus courts, comme le délai biennal de prescription de l’action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu’ils leur fournissent, mais aussi des délais plus longs, comme le délai décennal de prescription de l’action en responsabilité pour dommage corporel. Il est légitime d’assouplir la règle pour tenir de situations particulières dans lesquelles certains sujets de droit doivent être protégés.

J’évoquerai également la création, sous réserve de nombreuses dérogations concernant notamment les actions en responsabilité pour dommage corporel ou encore les actions relatives à l’état des personnes, d’un délai butoir de vingt ans courant à compter des faits ayant donné naissance au droit et non à compter de leur connaissance par son titulaire.

J’évoquerai enfin l’octroi aux parties de la faculté, d’une part, d’allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d’un an, la durée de la prescription, d’autre part, d’ajouter aux causes d’interruption ou de suspension de la prescription fixées par le code civil.

Par souci de protection de la partie faible dans les contrats d’adhésion, de tels aménagements seront prohibés dans le cadre des contrats d’assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel.

Cette réforme des règles de la prescription en matière civile recueille une large adhésion.

À la suite des travaux de la mission d’information associant la majorité et l’opposition, la proposition de loi a été adoptée en première lecture par l’ensemble des groupes politiques du Sénat, à l’exception du groupe communiste républicain et citoyen, qui, après avoir proposé sans succès de fixer à dix ans et non pas à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive, a finalement décidé de s’abstenir.

Les débats à l’Assemblée nationale se sont avérés moins consensuels, peut-être parce qu’ils avaient été moins préparés. Quoi qu’il en soit, la majorité des députés n’en a pas moins très largement souscrit à la réforme proposée.

L’Assemblée nationale n’a en effet apporté que quelques modifications de fond, qui ne remettent pas en cause les apports du Sénat.

Elle a écarté l’application du délai butoir pour la prescription entre époux ou partenaires d’un pacte civil de solidarité ; c’est, me semble-t-il, justifié.

Elle a interdit l’aménagement conventionnel des règles de prescription des actions en paiement ou en restitution de l’ensemble des créances périodiques alors que, sur proposition de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, nous n’avions visé que les créances salariales et les baux à usage d’habitation. Étendre l’interdiction à d’autres créances périodiques comme les baux professionnels ou commerciaux ne s’imposait pas ; il s’agit néanmoins d’une simplification que la commission vous propose d’accepter.

L’Assemblée nationale a également consacré la jurisprudence selon laquelle les dommages trouvant leur origine dans la construction d’un ouvrage doivent être dénoncés dans les dix ans qui suivent la réception des travaux, que ces ouvrages relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun ou du régime spécifique de la garantie décennale.

Elle a réduit de dix à cinq ans le délai de prescription des actions en responsabilité civile engagées à l’occasion des ventes aux enchères.

Enfin, elle a souhaité soumettre les experts judiciaires au délai de droit commun de la prescription extinctive.

Par ailleurs, les députés ont repris sans les modifier le contenu de deux amendements identiques adoptés dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et qui avaient pour objet de préciser que la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière n’était pas remise en cause.

Compte tenu du fait que les modifications introduites par l’Assemblée nationale ne remettent pas en cause les principales dispositions de la proposition de loi, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter celle-ci sans nouvelles modifications. Cela permettra une application plus rapide de ce texte qui est attendu, qui est nécessaire et qui apportera une plus grande sécurité à tous les justiciables. Il constituera en outre une première étape dans la réforme du droit des obligations que vous avez entreprise, madame la garde des sceaux, et que nous appelons de nos vœux.

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