Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 13 novembre 2023 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2024 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner le deuxième projet de loi de financement de la sécurité sociale de la législature. Or, les conditions de cet examen sont étonnamment proches de celles d'il y a un an.

Tout d'abord, comme l'année dernière, dans le cadre de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a été conduit à recourir à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter les deux parties relatives à l'exercice suivant.

Ensuite, comme l'année dernière, pour ne pas prolonger excessivement la durée d'examen du texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'a pas engagé sa responsabilité sur les autres dispositions du texte. Celui-ci nous arrive donc, cette fois encore, en étant dépourvu de certaines dispositions pourtant obligatoires, dont l'absence pourrait entraîner la censure de l'ensemble.

L'année dernière, il manquait le tableau d'équilibre rectifié et l'Ondam rectifié pour l'exercice en cours. Il en va de même cette année, mais il manque en outre l'article liminaire, relatif à l'ensemble des administrations de sécurité sociale.

Le Sénat fera, bien évidemment, preuve de responsabilité, et, comme l'année dernière, il rétablira les dispositions obligatoires manquantes.

Le PLFSS pour 2024 nous arrive donc tronqué. Surtout, le débat parlementaire lui-même a jusqu'à présent été tronqué.

Au vu des enjeux financiers et politiques très importants des projets de loi de financement de la sécurité sociale – madame, messieurs les ministres, vous venez de les rappeler –, nous avons la responsabilité de faire vivre au Sénat des débats complets sur le PLFSS pour 2024. Soyez sûrs que ces débats seront à l'image de la Haute Assemblée, c'est-à-dire non seulement sérieux et respectueux, mais aussi exigeants, et parfois en contradiction avec votre approche.

Un autre point commun avec la situation d'il y a un an est que, paradoxalement, l'examen du PLFSS pour 2024 coïncide, cette fois encore, avec celui d'un projet de loi de programmation des finances publiques.

En effet, le projet de loi de programmation des finances publiques, rejeté par l'Assemblée nationale et adopté, profondément modifié, par le Sénat, à l'automne de l'année dernière, nous est revenu de l'Assemblée nationale cet automne, le Gouvernement ayant cette fois-ci eu recours à l'article 49.3 de la Constitution. Le Sénat a adopté le texte en nouvelle lecture le 16 octobre dernier.

Des dispositions essentielles du PLFSS 2024 sont donc la déclinaison de mesures figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques. C'est le cas de celles qui visent à fixer jusqu'en 2027 le montant annuel des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou bien de celles qui sont relatives à l'Ondam.

La situation a toutefois évolué depuis le 16 octobre. Par exemple, compte tenu des perspectives d'exécution de 2023, l'Ondam pour 2024 peut désormais sembler optimiste, raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposerons de supprimer l'article 43.

Ces similitudes institutionnelles avec la situation d'il y a un an ne doivent pas masquer deux profondes évolutions, qui font de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale un texte de rupture.

La première rupture est celle de l'abandon affiché, non seulement de l'objectif de retour de la sécurité sociale à l'équilibre, mais aussi du simple objectif de stabilisation du déficit.

Ce dernier a atteint 40 milliards d'euros en 2020 du fait de la crise sanitaire, ce qui était inévitable et parfaitement normal, puisque la France a connu sa pire récession économique depuis la Seconde Guerre mondiale et a, de surcroît, dû assumer le coût direct de la crise sanitaire – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.

On peut aussi considérer que, pour l'essentiel, le point de départ de 8, 8 milliards d'euros en 2023 est normal. En effet, le produit intérieur brut de la France a été réduit de manière durable, voire pérenne, par la crise, ce qui explique l'essentiel de ce déficit.

Ce qui est sans doute moins normal, c'est qu'à partir de ce point de départ de 8, 8 milliards d'euros, la situation se dégrade fortement : l'augmentation du déficit se poursuivrait pour atteindre 17, 5 milliards d'euros en 2027. C'est une différence majeure par rapport à la situation qu'a connue notre pays dans les années 2010 : après la crise des dettes souveraines, le solde des comptes de la sécurité sociale est passé d'un déficit de plus de 25 milliards d'euros au quasi-équilibre qui prévalait avant la survenue de la crise sanitaire.

Il y a là comme un aveu d'impuissance, l'idée assumée que l'on transmet notre dette sociale aux générations futures.

Schématiquement, la branche maladie, actuellement déficitaire d'environ 10 milliards d'euros, le resterait jusqu'en 2027. La branche vieillesse verrait, quant à elle, son déficit exploser : il passerait de 2 milliards d'euros en 2023 à 14 milliards d'euros en 2027.

Évidemment, il ne faut pas se tromper sur le sens à donner à ces chiffres concernant les retraites. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui supposait déjà dans sa programmation un report de l'âge légal de la retraite, prévoyait un déficit de la branche vieillesse de 15, 7 milliards d'euros en 2026, déficit ramené à 14, 2 milliards d'euros par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui a réformé les retraites, ce qui n'est pas significativement différent des 14 milliards d'euros de déficit actuellement prévus pour 2027.

Cette augmentation du déficit de la branche vieillesse n'est donc pas une nouveauté : elle était prévue lors de la récente réforme des retraites qui, selon le Gouvernement, permettra de réduire le déficit à 6, 3 milliards d'euros en 2027.

Ce qui est nouveau en revanche, c'est que, contrairement à ce que les précédentes lois de financement de la sécurité sociale prévoyaient, on n'escompte plus d'amélioration du solde de la branche maladie. Le Gouvernement assume de financer durablement la santé par le déficit. Voilà ce qui est véritablement contestable dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La seconde rupture tient à ce que l'on assiste en 2023 à une déconnexion historique entre le déficit de 8, 8 milliards d'euros de la sécurité sociale et l'excédent – je dis bien l'excédent, pas le déficit ! – de l'ensemble des administrations de sécurité sociale, qui comprennent, en plus de la sécurité sociale, des entités comme la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), l'Unédic ou les régimes complémentaires de retraite.

Ces administrations de sécurité sociale, dont le périmètre est donc nettement plus vaste que celui de la sécurité sociale, seraient très largement excédentaires cette année, ce qui est nouveau – un tel excédent est apparu l'année dernière seulement.

Le Gouvernement suppose que ce phénomène historiquement atypique, loin de se résorber, s'accentuera d'ici 2027, année où l'excédent des administrations de sécurité sociale atteindrait un point de PIB, c'est-à-dire 30 milliards d'euros.

D'où ces 30 milliards d'euros d'excédent global proviendraient-ils ?

D'un côté, il y aurait 17, 5 milliards d'euros de déficit de la sécurité sociale stricto sensu.

De l'autre, il y aurait une cinquantaine de milliards d'euros d'excédents divers, qui correspondent essentiellement à ceux de la Cades, de l'Unédic et des régimes complémentaires de retraite et à 6 milliards d'euros d'économies restant à documenter, monsieur le ministre

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