Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, c’est à un exercice original que nous nous consacrons aujourd’hui, puisque le présent texte est le premier de son genre. Il s’agit d’une nouvelle catégorie de loi de finances. Pas de nouvelle impulsion économique ou fiscale, pas d’infléchissement de la politique du Gouvernement, seulement un bilan comptable de la loi de finances initiale de 2023, auquel s’ajoutent quelques mesures d’urgence pour la fin de l’année.
Pour rappel, la loi de finances pour 2023 s’est caractérisée par le maintien de la politique fiscale impulsée depuis 2017 : moins d’impôts et plus d’aides pour les entreprises. Ce PLFG 2023 raconte la même politique, très favorable aux grandes entreprises et aux plus hauts patrimoines, alors que l’année qui s’achève a été marquée, notamment, par une inflation plus forte que prévu, entraînant avec elle une hausse corollaire de la précarité et de la pauvreté pour les classes les plus fragiles.
Que contient réellement ce texte ?
Tout d’abord, il dresse un panorama des hypothèses macroéconomiques, lesquelles restent inchangées : croissance de l’activité de 1 % en volume et solde public de –4, 9 % du PIB ; rien de nouveau sous le soleil ! Ensuite, il acte, pour le budget de l’État, quelques modifications, notamment un solde budgétaire fixé à –171, 7 milliards d’euros en 2023, en diminution de 6, 4 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale, ce qui s’explique principalement par la hausse de la charge de la dette et par la baisse des recettes non fiscales. Enfin, il est prévu une augmentation des recettes fiscales de 2, 4 milliards d’euros, notamment grâce à une hausse des recettes de la TVA – inflation oblige –, de l’impôt sur le revenu et de l’IS.
C’était à peu près tout dans la version initiale du texte. Heureusement, le parcours parlementaire de ce projet de loi n’a pas été inutile, puisque plusieurs amendements de nos collègues députés ont apporté des réponses à des problèmes urgents. Citons ainsi un abondement de 200 millions d’euros du fonds de soutien à l’Ukraine, ainsi qu’une enveloppe de 6, 7 millions d’euros supplémentaires pour l’hébergement d’urgence afin de répondre à la crise sociale d’ampleur qui frappe notre pays. Sur ce point tous les signaux sont au rouge, et, malheureusement, c’était déjà prévisible voilà un an.
Au Sénat, notons également les amendements de notre rapporteur général visant à mieux financer l’entretien des ouvrages d’art du réseau national non concédé, à rénover les infrastructures du réseau d’eau, afin de lutter contre les fuites, ou encore à apporter un soutien important aux banques alimentaires, véritables amortisseurs sociaux et acteurs essentiels de la lutte contre la pauvreté qui s’installe dans notre pays. Nous voyons tout cela d’un bon œil.
Ces constats ne changent toutefois pas grand-chose à notre analyse première de ce texte. Ce projet de loi aurait pu être l’occasion pour le Gouvernement de prendre en considération le besoin d’un certain nombre d’amortisseurs sociaux et d’une meilleure répartition de l’effort. Notre pays en a besoin dès aujourd’hui, en 2023.
Nous sommes face à une urgence sociale causée par l’inflation. Oui, l’inflation, surtout alimentaire, a frappé durement nos concitoyens, notamment les classes moyennes et populaires. Or, face à ce choc, la politique gouvernementale a participé de la non-assistance à personne en danger, alors que tous les signaux d’alerte étaient au rouge.
Le ministre de l’économie s’est surtout fait remarquer par le verbe et l’agitation stérile. En avril, l’inflation alimentaire atteignait 17 % sur un an ; il a pris sa plume pour adresser un courrier à l’agro-industrie et aux grandes surfaces, sans effet ! En juin, alors que l’Insee démontrait que l’inflation servait principalement les marges de l’agro-industrie, il menaçait de publier les noms des plus gros profiteurs ; sans suite, donc sans effet ! En août, devant le Medef, il a annoncé la poursuite des baisses d’impôts pour les entreprises et leur a demandé d’augmenter les salaires… si elles le pouvaient. Passons ensuite poliment sur son idée consistant à autoriser la vente à perte, refusée par l’agro-industrie en septembre dernier. Enfin, il y a un mois, Bruno Le Maire redemandait aux industriels, tout aussi gentiment, de faire un effort…
Nous pourrions plaisanter sur l’agitation en pure perte de notre ministre de l’économie, mais tout cela a des conséquences bien concrètes sur la vie de nos concitoyens.
Ce projet de loi de fin de gestion est, en creux, la réponse aux questions qui nous préoccupent tous : pour qui nous endettons-nous ? Pour quel avenir et quel présent ?
Pour le présent, nous pouvons faire le constat : 9 millions de personnes en situation de privation matérielle et sociale, avec une précarité alimentaire qui s’installe ; l’urgence sociale qui explose jusqu’à des niveaux jamais atteints, avec des alertes rouges relayées par tous les acteurs de la solidarité.
Pour l’avenir, c’est l’urgence écologique qui devrait être notre boussole. Notre pays doit faire face à un rythme de catastrophes qui ne cesse de s’accélérer : tempêtes Ciaran, Domingos, Frederico, canicules de plus en plus intenses et de plus en plus tardives, feux de forêt ravageurs… Le chaos climatique s’installe, déjà destructeur, déjà meurtrier. Sommes-nous armés pour y faire face ? Quand le ministre de l’écologie parle d’adapter la France à une hausse de quatre degrés Celsius, le Gouvernement devrait être mobilisé pour faire face à la multiplication des catastrophes, mais où sont les budgets d’urgence pour nos pompiers, pour la sécurité civile, pour l’adaptation des infrastructures et des réseaux ?
Ce projet de loi de finances de fin de gestion devrait nous permettre d’apporter l’aide d’urgence dont nos territoires sinistrés ont besoin. Il est temps de le réaliser : plus nous attendons pour nous préparer, plus les coûts exploseront. La situation actuelle n’est qu’un avant-goût de qui nous attend.
Les sénatrices et sénateurs écologistes proposeront une série d’amendements indispensables pour sortir de notre inaction collective, soutenir les acteurs qui en subissent de plein fouet les conséquences et amorcer une réelle transition dans les comportements, les modes de production et l’action publique.