Intervention de Nicolas Sarkozy

Réunion du 14 décembre 2005 à 15h00
Lutte contre le terrorisme — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce monde tourmenté qui est le nôtre, la sécurité de nos concitoyens constitue incontestablement l'un de nos devoirs les plus sacrés.

La Haute Assemblée est aujourd'hui appelée à se prononcer sur les moyens de dissuader et de combattre l'une des formes les plus barbares et les plus pernicieuses de la violence : celle du terrorisme.

Barbare, le terrorisme l'est, parce que sa logique de terreur est fondée sur le meurtre, et le meurtre d'innocents. Pernicieux, le terrorisme l'est, parce que ses modes opératoires n'obéissent à aucune des règles juridiques ou morales qui régissent la communauté internationale.

La France a déjà été frappée par ce fléau.

La France connaît le prix de cette épreuve sanglante.

La France connaît ce sentiment de peur qu'il convient précisément de maîtriser.

La France connaît les objectifs et les pratiques de cette guerre souterraine qu'elle n'a pas déclarée, mais à laquelle elle a décidé de répondre sans faiblesse.

Toutes majorités confondues, de gauche comme de droite, notre pays n'a pas varié à l'égard du terrorisme : il n'a jamais cédé et ne cédera jamais aux intimidations des fanatiques et des assassins.

La France vit en paix et n'a aucun adversaire désigné. Mais avec la disparition de la bipolarité Est Ouest qui structura le jeu international durant un demi-siècle, notre planète est traversée par des tensions nationales, régionales et culturelles dont les répercussions ne sont pas localement circonscrites. C'est l'étrange paradoxe de notre monde contemporain : d'un côté, il se décloisonne, de l'autre, il s'unifie. Il libère simultanément des haines longtemps retenues et fait apparaître des rivalités nouvelles.

La France est une nation pacifique ; pourtant, je viens de prononcer le mot « guerre ».

Ce terme n'est pas excessif. C'est une guerre d'un genre particulier qui est en cours, une guerre qui ignore les frontières, une guerre qui ignore les États, une guerre dont les « combattants » vivent dans l'ombre, une guerre au sein de laquelle les structures et les acteurs sont à la fois ordonnés et hiérarchisés, mais également disséminés et isolés.

Notre pays n'a pas été confronté à des actes terroristes sur son sol depuis plusieurs années. Mais nous ne sommes nullement à l'abri de cette guerre, car ses instigateurs sont parfaitement imprévisibles.

Je vous le dis avec gravité, mesdames, messieurs les sénateurs : les ingrédients d'une menace terroriste existent, les scénarios d'actions violentes sur notre sol sont réels.

Rien ne serait donc plus trompeur, ni plus inconséquent, que de croire que ce qui s'est déroulé à New York, à Madrid, à Londres, pourrait passer à côté de la France. Les prétendus motifs géopolitiques ou spirituels qui ont motivé ces attentats sont à géométrie variable, ils sont extensibles et transposables ailleurs. La raison en est simple : ces motifs sont sous-tendus par une logique de haine dont nous sommes les cibles, la haine à l'endroit des sociétés démocratiques, prospères, ouvertes et tournées vers les horizons du monde. Voilà pourquoi il serait irresponsable et illusoire de faire preuve d'attentisme ou d'angélisme face au terrorisme.

L'heure est donc venue de prendre acte de ces mutations, car ce sont bien elles qui nous contraignent à ajuster notre posture et nos modes de protection.

Deux questions centrales se posent.

La première est de savoir si les attentats terroristes perpétrés au cours de la dernière décennie marquent l'émergence d'une évolution fondamentale des phénomènes terroristes. Toutes les indications dont nous disposons me conduisent à répondre oui à cette première question.

La seconde question va de pair : assiste-t-on à l'émergence d'un « terrorisme global » représentant pour la sécurité de la France et, plus généralement, de l'Europe une menace de niveau stratégique ? Tous les renseignements dont nous disposons m'amènent, là aussi, à répondre par l'affirmative.

Le constat est malheureusement tout à fait irréfutable : dans la nature et l'organisation du terrorisme, un saut qualitatif et quantitatif a été franchi : franchi dans l'attractivité idéologique et la capacité fédératrice de mouvements divers, franchi dans l'élévation du niveau de violence infligé, franchi dans les moyens sophistiqués employés, franchi dans son extension géographique.

Du terrorisme d'État des années soixante-dix, nous sommes passés à un terrorisme infraétatique infiltré dans nos sociétés ; du terrorisme politique aux objectifs relativement ciblés, nous sommes passés à un terrorisme idéologique aux desseins élargis et parfois « apocalyptiques » ; du terrorisme localisé, nous sommes passés à un terrorisme globalisé exploitant les outils modernes de communication et de destruction.

Voilà la métamorphose qui est en cours, voilà le visage actuel du terrorisme. Ce visage s'est trouvé au surplus une « identité nouvelle », une identité dont il se pare de façon odieuse et injurieuse pour couvrir ses crimes et structurer ses élans, une identité dont je n'esquive pas le nom : celle de l'islam.

Cette ancienne et si respectable religion du Livre, dont les préceptes de paix et de tolérance mutuelle sont bafoués, constitue pour l'heure l'axe doctrinal autour duquel nos adversaires s'organisent.

Cette exploitation éhontée de l'islam nous place, là encore, devant un défi nouveau, un défi politique et moral lancé au coeur de nos sociétés occidentales : celui de l'unité et de la cohésion face au prétendu choc des civilisations.

Nous devons non seulement lutter contre les terroristes et leurs alliés, mais aussi combattre les idées fausses et les réflexes de rejet qui pourraient conduire à assimiler islam et terrorisme. En fait, nos démocraties sont appelées à agir sur deux fronts : celui de l'extrémisme et celui de l'amalgame, cet amalgame que les terroristes cherchent très précisément à provoquer.

À cet égard, j'indique avec force que la lutte contre le terrorisme n'est en rien un conflit contre l'islam : c'est un conflit contre des filières, des groupes, des réseaux, qui en dévoient la tradition humaniste. Aujourd'hui, la principale menace stratégique réside dans ce phénomène que les experts appellent « le jihadisme global ». Ce « jihadisme global » n'est pas ancré territorialement, ne fonctionne pas sur un mode exclusivement hiérarchique et structuré : il est souple, il est furtif, il est décentralisé.

Ces modes d'actions sont complexes et difficiles à déjouer : stratégie d'implantation de petites cellules autonomes ; division du travail entre doctrinaires, logisticiens, financiers et auteurs ; raccourcissement des trajectoires d'embrigadement entre le recrutement et le passage à l'acte par le fait d'un processus de dépersonnalisation des individus... Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir des individus ayant un comportement barbare et des raisonnements archaïques s'adapter parfaitement aux méthodes de communication les plus modernes et à l'organisation en réseaux de nos sociétés.

Face à cette situation, qu'en est-il pour la France ?

Je serai clair : la menace qui pèse sur nous provient d'abord de mouvements ou de groupes implantés à l'étranger. Les déclarations de l'émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, en sont l'illustration la plus évidente.

Mais je dois vous indiquer que la menace provient aussi de personnes vivant chez nous, recrutées par les structures salafistes, formées dans les écoles du Proche-Orient ou du Moyen-Orient, et qui, lors de leur retour dans notre pays, constituent un véritable danger.

Tous les suspects ne présentent pas un profil aussi inquiétant mais, je le répète, il existe sur notre sol des disciples de la violence.

Sur le plan judiciaire, depuis le début de l'année 2002, 367 personnes ont été interpellées et près de 100 ont été écrouées. Lundi dernier, 25 personnes supplémentaires ont été interpellées, parmi lesquelles 24 sont encore en garde à vue. C'est une affaire importante !

Dois-je vous préciser que cette menace intérieure a, par ailleurs, ses prédicateurs ? Depuis le 1er janvier 2005, nous avons expulsé 20 islamistes intégristes. La semaine dernière encore, un imam de vingt-six ans a été éloigné vers son pays d'origine. Les choses sont désormais très claires : les prêcheurs de haine n'ont pas leur place sur le territoire national.

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