Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 14 décembre 2005 à 15h00
Lutte contre le terrorisme — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Afin de prévenir et de réprimer le terrorisme, votre projet de loi permet le développement de la vidéosurveillance des personnes sur les lieux publics, le contrôle des déplacements - sur le territoire national et hors de l'Union européenne - de personnes susceptibles de participer à une action terroriste, le contrôle de leurs échanges téléphoniques et électroniques ; enfin, l'accès à certains fichiers centraux du ministère de l'intérieur.

Tous ces outils seront mis à la disposition des services de police et de gendarmerie, qui bénéficieront alors, en dehors de toute procédure judiciaire, d'un accès permanent à des fichiers et à des enregistrements d'images susceptibles de concerner la population tout entière.

C'est dire la dimension considérable que prendront ces nouveaux fichiers qui pourront concerner les actes de la vie quotidienne, les habitudes de vie et les comportements : on est bien loin, ici, de la lutte contre le terrorisme !

Il nous semble que le nécessaire équilibre entre les droits des citoyens et les prérogatives de l'État n'est pas assuré. De même, l'exercice des libertés constitutionnellement protégées n'est pas préservé dans votre texte, qui porte atteinte à la liberté d'aller et venir et aux libertés individuelles, dont le droit au respect de la vie privée est l'une des composantes.

Sans compter les moyens considérables que nécessitera le traitement des données ainsi collectées : les images, les échanges téléphoniques et électroniques, les fichiers... Combien de personnes faudra-t-il pour regarder les images, pour traiter les millions de courriels échangés dans les cybercafés, ou encore les dizaines de milliers de noms de voyageurs de tous les aéroports et de toutes les gares de France ?

Et je ne mentionne que pour mémoire le coût que va induire, par exemple, la vidéosurveillance. Comment allez-vous financer les milliers de caméras supplémentaires, leurs systèmes d'exploitation, leur entretien, la gestion des réseaux, le remplacement du matériel frappé de vétusté ?

Votre projet de loi paraît d'ores et déjà inapplicable.

Pour notre part, nous estimons que la lutte contre le terrorisme passe nécessairement par une lutte résolue contre le financement des activités terroristes. Sans argent, le terrorisme - activité qui coûte cher et qui a, par conséquent, besoin de sources diversifiées de financement - n'aurait plus d'avenir.

L'économie illégale est estimée à environ 1 500 milliards de dollars, soit 5 % de l'économie mondiale, ou deux fois le produit national brut du Royaume-Uni. Un tiers de cette somme provient de l'argent sale généré par les activités criminelles : les trafics de drogue, d'armes, d'or, de diamants ou d'êtres humains. Un autre tiers correspond aux fuites de capitaux provenant de l'évasion fiscale, de la corruption et des transactions frauduleuses. Le tiers restant représente l'économie liée au terrorisme, laquelle est financée pour partie par de l'argent propre.

Si le gel des avoirs figurant à l'article 12 est une mesure intéressante, nous estimons cependant qu'il faut aller plus loin en luttant plus efficacement, par exemple, contre le blanchiment de l'argent sale.

C'est ainsi qu'il aurait été souhaitable de renforcer l'obligation de déclarer les opérations soupçonnées d'être d'origine illicite qui ne s'applique actuellement qu'aux opérations entre les organismes financiers et les personnes physiques ou morales domiciliées, enregistrées ou établies dans l'ex-Birmanie. Nous estimons que cette obligation devrait être étendue à tous les pays dont la législation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Nous sommes, par ailleurs, également favorables à la mise en place d'un droit d'alerte des salariés des organismes financiers lorsqu'ils sont confrontés à une opération douteuse.

Enfin, et toujours dans un souci de renforcer la législation française en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, pourquoi ne pas inscrire dans la loi l'une des recommandations adoptée par la Conférence des parlements de l'Union européenne contre le blanchiment, qui s'est tenue à Paris les 7 et 8 octobre 2002 ?

S'agissant du renforcement de la lutte antiterroriste, les parlementaires étaient en droit d'attendre de la part du Gouvernement un projet de loi d'une tout autre envergure.

En réalité, votre texte s'apparente davantage à une tentative de manipulation de l'opinion publique ! Comme pour toutes les réformes législatives que vous avez imposées depuis 2002, ce projet de loi se fonde sur des évènements particuliers qui secouent l'opinion.

En l'occurrence, vous profitez de l'émotion légitime suscitée par les attentats de Madrid et de Londres pour faire passer des mesures sécuritaires et liberticides.

Agiter ainsi l'épouvantail du terrorisme vous permet de mettre en place tout un dispositif sécuritaire, qui vise à surveiller, ficher, contrôler non seulement une certaine frange de la population - celle des quartiers que vous appelez « sensibles », qui sont aussi les quartiers populaires ! -, mais également l'ensemble du corps social, afin de guetter toute révolte éventuelle.

De même, la modernisation du fichier national transfrontière, au nom de la lutte contre le terrorisme, vous permettra, au passage, de renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière. Vous faites d'une pierre deux coups, au risque d'entraîner l'opinion publique à pratiquer certains amalgames !

Au-delà, vous jouez sur l'effet d'annonce.

Ce texte vous permet, en effet, d'apparaître sévère, car vous voulez renforcer la confiance de la population, dans la perspective des prochaines élections.

Quand la loi d'exception devient le droit commun, la démocratie est en danger. En proposant des mesures aussi attentatoires aux libertés fondamentales, vous faites le jeu des terroristes, qui mettent à l'épreuve les démocraties et se réjouissent de voir celles-ci placer leurs populations sous contrôle permanent.

N'est-ce pas d'ailleurs cette stigmatisation, prélude au sentiment de persécution, qui fait également le terreau du terrorisme ?

La nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d'une société démocratique. Or votre texte ne préserve pas l'équilibre essentiel entre l'exigence de sécurité et le respect des libertés fondamentales.

À cet égard, les dispositions contenues dans votre projet de loi - contrôles des courriels, transferts des données, etc. -, en façonnant durablement l'ordre public et le lien social dans une société, participent de la transformation de notre société.

Ces mesures aggravent le caractère dérogatoire de la législation, sans pour autant nous donner la certitude que la réforme du code pénal permettra de gagner en efficacité.

Si le laxisme n'est bien évidemment pas de mise en matière de lutte antiterroriste, le déploiement de moyens disproportionnés ne saurait pour autant - vous en conviendrez - nous garantir l'absence totale d'attentat.

Le terrorisme met à l'épreuve l'équilibre entre la liberté et la sécurité, ce qui ne peut laisser place à la facilité. Je l'ai dit, le terrorisme est une négation de l'humanité. Cependant, pour notre part, tout en prenant nos responsabilités, nous ne voterons pas ce projet de loi, car nous ne sommes pas prêts à légitimer les graves entorses faites par votre texte aux principes fondamentaux de la démocratie.

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