Vous les distinguez aussi, mon cher collègue, puisque le nouveau délit de « négationnisme » que vous proposez de créer ne s’appliquerait logiquement pas aux faits commis entre 1945 et 1982.
Pour des raisons de morale politique, la République ne peut endosser la responsabilité des crimes de Vichy, d’autant que, au-delà de son cadre institutionnel particulier, la période 1942-1945 est marquée par la répression politique systématique de l’homosexualité, pour des raisons idéologiques.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois souhaite recentrer le dispositif de l’article 1er sur la période 1945-1982.
La deuxième raison est liée à la réparation financière. Lors de son audition devant la commission, Ariane Chemin a évoqué les nombreux drames qui sont nés de cette législation. Mais, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, ce n’est pas tant l’application de la loi que le regard de la société qui a causé tous ces dommages. Ces derniers sont le produit, non pas des condamnations prononcées par les juges, mais de l’homophobie qui, à l’époque, caractérisait la société française tout entière.
Il y a cinquante ans, de nombreux psychiatres expliquaient que l’homosexualité faisait partie des maladies mentales. Je me souviens – c’est le privilège de l’âge ! – d’un épisode de l’émission Les Dossiers de l ’ écran qui présentait l’homosexualité comme une maladie mentale.
L’on peut certes, après-coup, estimer que le regard posé par la société sur les homosexuels il y a cinquante ans était répréhensible, mais la loi ne peut pas pour autant être tenue pour responsable des préjudices, par ailleurs bien réels, subis par les personnes condamnées.
Si ces personnes ont effectivement été exclues, au point que certaines ont été contraintes de changer de métier ou de déménager, si ces situations terribles ont causé des suicides, ces drames ne sont pas arrivés par la faute de la République, mon cher collègue. La responsabilité, collective, en revient à toute la société et aux préjugés qui étaient les siens il y a cinquante ans.
Or le Sénat n’a pas pour rôle de juger la société. Nous devons nous en tenir au droit, c’est-à-dire au caractère discriminatoire de la loi de la République, puisque ce qui était toléré entre personnes hétérosexuelles était considéré comme un délit entre personnes homosexuelles. La même situation ne produisant pas les mêmes effets juridiques, il s’agit indiscutablement de discrimination. À ce titre, la faute commise par la République est patente.
La réparation des personnes condamnées se heurte par ailleurs, d’une part, à l’effacement des condamnations prononcées par l’amnistie de 1981, et, d’autre part, aux règles de droit commun en matière de prescription. En donnant réparation à des personnes pour un préjudice qu’elles ont subi il y a plus de quarante ans, vous créeriez un dangereux précédent, mon cher collègue, car cela signifierait que les règles encadrant la prescription ne prévalent pas en la matière.