Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme disait un vieux penseur barbu, « celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »
Or cette proposition de loi nous permet justement de revenir sur certaines pages de notre histoire et de les regarder en face.
En effet, de quoi parlons-nous ? Hussein Bourgi l’a dit tout à l’heure, nous parlons de milliers d’hommes qui, en France, ont été réprimés en raison de leur orientation sexuelle : nous parlons de quarante ans de répression pénale de l’homosexualité.
Il y eut, bien sûr, en 1942, cette loi promulguée par le régime de Vichy pour poursuivre les hommes coupables d’avoir des relations sexuelles avec des hommes.
Il y eut aussi, en 1960 – Hussein Bourgi l’a rappelé –, l’adoption de cet amendement du député Paul Mirguet, qui entendait classer l’homosexualité comme un fléau social et punir d’emprisonnement de simples signes d’affection entre adultes consentants du même sexe.
Aux milliers de personnes condamnées sur le fondement de ces dispositions, il faut ajouter les innombrables victimes de la répression et des innombrables raids sur les lieux de rencontre.
Il fallut donc attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l’homosexualité en France. Je veux aussi citer Jack Ralite, ministre de la santé, qui retira cette même année l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
Toute une génération a donc vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle a vécu dans la peur, sous la menace. Toutes ces vies ont été brisées. Certains ont subi l’opprobre social, d’autres le licenciement, d’autres encore, quand ce n’était pas les mêmes, la rupture familiale. L’homosexualité, à cette époque, se vivait dans la honte.
Face à cela, deux questions se posent.
Premièrement, comment se fait-il que cette discrimination inscrite dans notre droit ait pu perdurer aussi longtemps ? Si elle a pu durer quarante ans, jusqu’en 1982, époque qui n’est pas si lointaine, c’est parce que l’inscription de l’homophobie dans la loi avait ses soutiens et qu’il se trouvait des responsables politiques, des ministres et des parlementaires, pour la défendre. Il serait un peu simple de prétendre que c’était la faute de la société : des responsables politiques militaient pour cette homophobie d’État !
Et ce n’est pas faire injure à notre Haute Assemblée que de rappeler que, en 1982, le Sénat a voté contre la dépénalisation de l’homosexualité. Je me suis replongé dans les arguments du rapporteur Étienne Dailly qui, pour justifier son vote et celui de la majorité sénatoriale, exposait que l’homosexualité était un dérèglement physiologique et que les homosexuels étaient des enfants égarés.
Deuxièmement, pourquoi l’homophobie a-t-elle persisté et survécu à la dépénalisation de l’homosexualité ? Pourquoi des hommes et des femmes continuent-ils d’être victimes d’homophobie ? N’est-ce pas parce que, aujourd’hui encore, dans toute la société, y compris à son plus haut niveau, certains tiennent tous les jours des propos homophobes ?
Je veux, en conclusion de mon propos, rappeler une phrase prononcée à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du texte sur le pacte civil de solidarité (Pacs), par la députée communiste de Seine-Saint-Denis Muguette Jacquaint en réponse à Christine Boutin, qui faisait mine de pleurer sur les souffrances des homosexuels. Muguette Jacquaint lui répondit : « Quand ils vous entendent, je comprends qu’ils souffrent ! »
Cet exemple exprime bien le fait que ce n’est pas l’homosexualité qui fait naître la souffrance, mais l’homophobie. Tout ce qui permet de lutter contre l’homophobie est bon à prendre ; tel est le cas de ce texte, à la fois pour ses victimes d’hier et pour ceux qui y sont confrontés aujourd’hui.