J’ai abordé cette question, du moins veux-je le croire, avec un esprit d’ouverture. J’ai eu avec M. Chantrel deux longs entretiens empreints de confiance, qui nous ont permis d’aller au fond des choses.
J’en ai tiré la conclusion que le sujet était sans doute trop important pour qu’on puisse le traiter de manière approfondie dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, puisque le temps qui nous est imparti est à l’évidence très court et que le nombre et la complexité des amendements qui seraient nécessaires pour trouver un terrain d’entente entre nous rendent difficile l’aboutissement de cette démarche dans ce cadre.
Je ne vois pas d’objection de principe à l’extension du champ du référendum. La Constitution a déjà été modifiée, en 1995 et en 2008, pour ce faire. C’est un sujet de réflexion que nous devons avoir entre nous. La vertu du travail parlementaire, c’est précisément qu’il permet de rechercher des terrains d’entente et de trouver une conciliation entre des points de vue au départ différents.
Si j’ai estimé – et la commission des lois a bien voulu s’en convaincre – que nous ne pouvions pas aboutir maintenant sur ce sujet, c’est en raison d’un certain nombre de problèmes technico-juridico-politiques qui méritent d’être regardés à la loupe.
Premièrement, ce texte ne se borne pas à modifier les modalités du référendum d’initiative partagée, mais traite plus généralement des référendums prévus à l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire d’un pouvoir présidentiel dispensé de contreseing, d’une arme qui a été confiée par la Constitution au Président de la République pour qu’il puisse, sur des sujets d’une importance capitale pour le pays, donner la parole aux Français afin que leur décision soit irrévocable.
La banalisation du référendum est d’ailleurs incompatible avec cet apport de la Constitution de 1958, en rupture sur ce point avec la tradition républicaine antérieure, car elle a permis de réacclimater le référendum à la pratique de notre République alors qu’il en avait été proscrit pendant près d’un siècle à cause des abus auxquels il avait donné lieu.
À ce propos, il est tout de même surprenant que ce soit à l’article 11 de la Constitution, parmi les pouvoirs présidentiels dispensés de contreseing, que l’on ait logé le référendum d’initiative partagée, qui mériterait d’être placé ailleurs, et ce tout particulièrement dans un régime dont on critique volontiers la verticalité, laquelle n’a cessé de s’aggraver dans la période récente.
Vous proposez, mes chers collègues, d’élargir le champ du référendum en retirant le barrage que constitue l’exigence de le faire porter sur une réforme et en permettant que des mesures fiscales soient soumises au pays par référendum. Ces points me paraissent mériter discussion.
Vous estimez en effet que le texte de la Constitution issu de la révision de 2008 a empêché d’organiser des référendums qui auraient été utiles pour les Français. Or, en examinant les référendums qui auraient ainsi été empêchés, je me demande s’il eût été bon d’exposer ce référendum à un taux d’abstention considérable, compte tenu du peu d’intérêt que les Français auraient eu pour la question posée. Faut-il privatiser Aéroports de Paris, ou bien le maintenir public ? Vous avez souhaité poser la question aux Français. Mais êtes-vous sûr que vous auriez eu plus de 10 % ou de 15 % de participation ?
La banalisation du référendum dans le cadre du référendum d’initiative partagée est le meilleur moyen de tuer le référendum d’initiative partagée !
C’est la raison pour laquelle j’ai été très circonspect à l’égard de votre proposition, non seulement parce que vous élargissez les pouvoirs du Président de la République – en ce qui me concerne, mais ce n’est peut-être pas votre avis, j’estime qu’il en a déjà bien assez ! –, mais aussi parce que vous risquez de conduire à l’échec le dispositif du référendum d’initiative partagée qui est encore tout jeune. En effet, le fait qu’il n’ait pas fonctionné pendant ses huit premières années de vie n’est tout de même pas une raison pour considérer qu’il ne fonctionnera jamais.
Imaginer qu’il faudrait absolument mobiliser 48 millions d’électeurs parce qu’un million d’entre eux aura décidé qu’un sujet doit être soumis au vote des Français, c’est tout de même une démarche qui me pose problème. Je considère que nous prendrions un grand risque si nous utilisions l’instrument du référendum dans de telles conditions, d’autant que, pour recueillir un million de signatures, il suffit qu’un groupe de pression armé de militants, voire d’activistes, se mobilise. Faisons très attention, mes chers collègues !
Je laisse donc de côté la question du pouvoir présidentiel, qu’il ne me paraît pas forcément opportun d’étendre, pour me prononcer à présent sur les modifications que vous voulez apporter aux dispositions relatives au référendum d’initiative partagée.
Un million de signataires, selon moi, ce n’est sans doute pas assez. Selon vous, 4, 85 millions, c’est trop. Nous n’avons pas eu le temps de discuter pour trouver le bon chiffre. Nous pourrions certainement évoluer, les uns et les autres, sur ce point et trouver un compromis.