Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je dirai quelques mots sur le contexte politique, encore une fois très particulier, dans lequel nous examinons ce projet de loi de finances pour 2024.
C’est après un énième recours du Gouvernement au 49.3, intervenu très tôt dans le cours des débats à l’Assemblée nationale, que le projet de loi de finances pour 2024 nous parvient. Le texte fera donc ici l’objet de son premier véritable examen démocratique dans une chambre parlementaire.
Nous nous apprêtons à travailler pendant trois semaines sur ce texte, à faire des propositions et à confronter nos visions de l’avenir non seulement de nos finances publiques, mais aussi de notre pays.
Toutefois, personne n’est dupe. Le Gouvernement, incapable de construire un compromis autour de sa vision budgétaire, fera une nouvelle fois usage du 49.3 à l’Assemblée nationale, balayant au passage les fruits de notre travail. L’esprit Shadok n’est pas mort et ainsi va le débat parlementaire dans notre pays.
Une formule suffit à résumer le mot d’ordre du Gouvernement : « À l’Assemblée nationale, taisez-vous ; au Sénat, cause toujours ! »
Pourtant, les débats qui commencent aujourd’hui sont cruciaux. Les crises auxquelles notre pays doit faire face se nourrissent les unes des autres, qu’elles soient de nature écologique, sociale ou institutionnelle. Monsieur le ministre, vos œillères et votre dogmatisme budgétaire les renforcent et fragilisent notre contrat social, faisant le lit des profiteurs de haines et entretenant l’anxiété face à l’avenir.
Oui, ce projet de budget traduit une insouciance, notamment sur la question climatique, alors même que notre pays est durement frappé par le chaos des phénomènes climatiques. Dans le Pas-de-Calais, la décrue des cours d’eau est à peine amorcée, laissant tout juste entrevoir un retour à la normale lointain, après plus de deux semaines de crues historiques, et nous peinons encore à mesurer les conséquences financières de la catastrophe. Certaines familles ont tout perdu et ne savent pas si elles seront indemnisées. Certains agriculteurs voient leur exploitation et leurs récoltes menacées ou détruites. Certaines entreprises ont dû fermer, leur outil productif ayant été réduit à néant.
Cette catastrophe s’inscrit dans un contexte d’accélération des phénomènes climatiques extrêmes. Or ce sont les populations les plus précaires et ceux qui, parmi les Français, sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre, qui sont le plus durement frappés par ces catastrophes, qui n’ont rien de naturelles. Ce qui se passe en ce moment concrétise parfaitement ce que les économistes et les experts du climat disent depuis plus de vingt ans : « Plus nous tardons à engager des changements, plus les coûts exploseront. »
Par conséquent, nous devons, en responsabilité, inscrire l’avenir de notre pays, donc son budget, dans une double obligation. D’une part, il faut engager notre économie dans le virage de la décarbonation et de la sobriété, conformément aux engagements de la France en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, nous devons adapter la France, son outil productif, son modèle agricole, ses villes et ses villages pour faire face à l’accélération des catastrophes et au nouveau régime climatique dans lequel nous entrons.
Le mur d’investissement qui découle de cette double obligation, non seulement pour l’État, mais aussi pour les collectivités territoriales, est colossal.
Le rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont rendu à la Première ministre a le mérite de poser les ordres de grandeur. Pour amorcer la transition de notre pays dans le respect de nos engagements, « l’ensemble des investissements supplémentaires, tous secteurs confondus, s’élèverait à environ 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030, soit 2, 3 points de PIB ».
Pour ce qui est de la part publique de ces investissements, les auteurs du rapport préconisent de « recourir pour partie à l’emprunt et à une taxation provisoire des plus hauts patrimoines financiers ».
Le ministre Le Maire a balayé ces deux propositions et l’ensemble de ce rapport dans un geste d’insouciance climatique qui frise le déni. Concentré sur un retour à la normale de la rigueur budgétaire, il est resté sourd à ces suggestions, fragilisant une nouvelle fois la parole de la France sur la scène de la diplomatie climatique, mais aussi notre contrat social, qui fait peser l’effort sur les plus fragiles, quand les plus gros pollueurs sont préservés.
Le besoin de recettes nouvelles et celui de repenser la répartition de l’effort entre les plus gros pollueurs et ceux qui n’en ont pas les moyens reste l’impensé majeur de ce projet de budget.
La crise sociale à laquelle doit faire face notre pays reste forte. L’inflation se maintient à un niveau élevé, avec un taux proche de 5 %. Le Gouvernement table sur une baisse de ce taux à 2, 6 %, l’année prochaine, tout en reconnaissant que ce scénario est incertain et que les aléas sont élevés. Dans le même temps, l’évolution des salaires reste en moyenne inférieure à l’inflation, ce qui signifie que les Français s’appauvrissent.
Mais, là encore, la tendance n’est pas homogène et votre dogmatisme budgétaire accélère la dynamique qui oppose les grands gagnants aux grands perdants.
En effet, durant les dernières années, le Gouvernement s’est attaqué avec constance à nos amortisseurs sociaux. Les minima sociaux sont stables ou augmentent trop peu, vos mauvais coups contre l’assurance chômage ou les retraites se poursuivent, l’État a abandonné la lutte contre l’extrême pauvreté et le résultat est dramatique.
De nombreux étudiants ne mangent pas à leur faim. Des milliers de personnes, dont des enfants, dorment toujours dans la rue, malgré les promesses qu’on leur avait faites. Même les foyers des classes moyennes sont fragilisés par votre refus de lutter de manière affirmée contre l’inflation, notamment des prix alimentaires.
Pour faire face aux conséquences sociales de votre politique économique, nos collectivités locales, notamment les communes et les départements, sont au front pour tenir tous les bouts d’une société qui se tend et se fracture.
Certes, la dotation globale de fonctionnement augmente de 0, 8 %, mais alors que le taux d’inflation est de 5 % et que les missions des collectivités sont toujours plus variées et complexes, le compte n’y est pas.
Nous sommes à un moment charnière de notre histoire et ce projet de loi de finances pour 2024 devrait pouvoir enfin mettre en œuvre un changement de paradigme. Disons-le clairement, nous en sommes très loin. Avec ce Gouvernement, année après année, le processus reste le même : un discours volontariste, des annonces chocs, une bonne dose d’autosatisfaction – nous avons encore pu le constater aujourd’hui – et, pour finir, une traduction budgétaire décevante et des résultats en dessous de nos obligations.
Pourtant, au-delà d’une obligation de moyens, la situation exige une obligation de résultat. Or ils ne sont pas là. La faute en revient à un dogme, une loi d’airain pour ce Gouvernement : toujours moins d’impôts pour les plus aisés, quel que soit le résultat, et pas de dette supplémentaire.
Cette idéologie est profondément incompatible avec le respect de nos engagements climatiques, la préservation de notre modèle social et la mobilisation des leviers institutionnels pour y parvenir.
Monsieur le ministre, vous vous refusez obstinément à trouver de nouvelles recettes. Pourtant, les sources de financement ou d’économies sont là. Ainsi, les entreprises reçoivent plus de 150 milliards d’euros d’aides directes ou indirectes, souvent de manière non conditionnelle. En outre, le patrimoine des Français ultrariches ne cesse de s’accumuler et de se concentrer, année après année, entretenu par vos réformes.
Que reste-t-il donc à un Gouvernement qui refuse de se donner les moyens d’agir, sinon de l’austérité, du saupoudrage et beaucoup de communication ?
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires regrette votre manque d’ambition et vous proposera un ensemble cohérent d’amendements pour un projet de loi de finances réaliste au regard des enjeux de notre époque. Il le fera sur les trois volets que j’ai mentionnés, écologique, social et institutionnel.
Tout d’abord, sur le volet écologique, nous vous proposerons de supprimer un certain nombre de niches fiscales anti-écologiques ou de procéder à un rééquilibrage fiscal entre les comportements ultra-polluants et ceux qui sont plus vertueux.
Ainsi, nous vous proposerons de renforcer les capacités d’investir des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans l’ensemble de nos territoires et pas uniquement en Île-de-France.
Nous souhaitons muscler considérablement le crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte pour qu’il remplisse ses objectifs.
En matière de rénovation énergétique, nous adapterons les moyens à l’ampleur des enjeux, non seulement pour le patrimoine immobilier de l’État et des collectivités territoriales, mais aussi pour le dispositif MaPrimeRenov’.
Ensuite, sur le volet social, nous favoriserons l’égalité et la solidarité, en privilégiant la redistribution. Les mesures ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’ISF climatique, de la contribution sur les hauts revenus et sur le patrimoine ou de l’élargissement de la taxe sur les transactions financières, pour rééquilibrer les inégalités et développer des politiques transversales ambitieuses ayant pour objectif un changement de modèle.
Nous proposerons un panel de mesures en faveur du logement, principale source de préoccupation financière pour des millions de Français. Il s’agira de lutter contre l’habitat indigne, de prévoir la taxation des compléments de loyer et de mettre en œuvre des mesures structurantes en faveur de la construction de logements sociaux.
Enfin, sur le volet institutionnel, nous renforcerons la République des territoires, c’est-à-dire que nous donnerons aux collectivités territoriales les moyens et la possibilité d’agir. Pour cela, il faudra préserver leurs finances et les doter d’une fiscalité orientée vers la transition écologique.
Nous proposerons ainsi de revaloriser la DGF, de compenser réellement la hausse du point d’indice des fonctionnaires ou encore d’adapter la dotation aux départements pour qu’ils puissent revaloriser le revenu de solidarité active (RSA) et faire face au ralentissement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
La situation est urgente. Nous le savons, les collectivités territoriales sont souvent l’échelon charnière pour agir face aux catastrophes climatiques dues à l’activité humaine. Les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) doivent, dès à présent, voir leurs ressources fortement augmenter, puisque la sécurité civile sera en première ligne face aux conséquences de notre inaction collective.
Pour conclure, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce projet de loi de finances de manière extrêmement critique. Nous restons toutefois convaincus que cet exercice budgétaire peut et doit être l’occasion de tracer les contours d’un avenir souhaitable et atteignable.
L’époque ne demande rien de moins que des mesures exceptionnelles. À quelques jours de l’ouverture de la COP28, le secrétaire général de l’ONU a été clair : « Les dirigeants doivent redoubler d’efforts de façon spectaculaire, avec des ambitions records, des actions records, et des réductions des émissions records. » Faisons de ce PLF celui de l’ambition climatique record. Il est encore temps !