Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales interrogations concernant cette mission sont liées à l'application de la Lopmi, mais aussi, sans surprise – d'autres orateurs l'ont rappelé –, aux conséquences des jeux Olympiques.
Comme vous le savez, les sénateurs socialistes avaient fait le choix responsable de voter la Lopmi. Si tout ne nous allait pas dans ce texte, il nous semblait juste et utile de soutenir une politique budgétaire assumant une hausse des moyens consacrés à la sécurité. Ce vote ne valait pas pour nous quitus sur l'ensemble des différends que nous avons avec le Gouvernement ; ceux-ci restent nombreux, s'il était besoin de le préciser !
Cette Lopmi sous-tendait des hausses d'effectifs. Les créations de postes se poursuivront en 2024 avec l'annonce de 2 184 policiers et gendarmes supplémentaires. Pourtant, le diable se cache dans les détails...
Hasard du calendrier, le service public, dans Envoyé Spécial, sur France 2, traite ce soir du « Blues des bleus ». L'émission est ainsi présentée : « La police nationale subit une vague de démissions inédite et de grande ampleur. Confrontés à des missions de plus en plus violentes et à la détestation d'une partie de la population, les gardiens de la paix sont en proie à un profond mal-être. » En effet, la question du recrutement et de la formation du personnel est au cœur de nos débats.
La Cour des comptes, dans son rapport publié au printemps 2023 Analyse de l'exécution budgétaire 2022. Mission « Sécurités », relatif au projet de loi de finances 2022, souligne : « pour répondre à l'objectif politique d'un “recrutement massif de policiers et de gendarmes”, les responsables de programme sont contraints de dégrader la qualité des recrutements et des formations, d'autant que les viviers de recrutement s'assèchent peu à peu. »
De fait, les forces de l'ordre entrent en concurrence avec d'autres recruteurs, comme les polices municipales, les sapeurs-pompiers, la sécurité privée et les forces armées, dont les effectifs et agents sont également amenés à croître dans les prochaines années. À titre d'exemple, la même Cour des comptes, dans une note du mois de novembre 2021, relevait déjà que, de 2014 à 2020, le taux d'admission au concours de gardien de la paix était passé de 2 % à 18 % des candidats, tandis que les formations de gardien de la paix et d'officier avaient été raccourcies.
S'agissant de la formation, justement, le projet de loi de finances soulève des interrogations sur la réalité des moyens alloués, comme d'autres orateurs l'ont souligné. Un des objectifs de la Lopmi est d'augmenter de 50 % le temps de formation continue des policiers. Les indicateurs présentés dans les documents budgétaires font plutôt état d'une légère dégradation de l'effort de formation, puisque, de 2021 à 2022, le nombre d'heures de formation continue individuelle ou collective par actif est en diminution : 31, 20 heures en 2021, 30, 90 heures sur l'année 2022.
Pour inverser cette tendance et pour atteindre les objectifs fixés par la Lopmi, des moyens supplémentaires devront être mobilisés. Or les dépenses de formation du programme « Police nationale » connaissent une forte baisse de 31, 5 %, puisqu'ils passent de 43, 2 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023 à 29, 7 millions d'euros au projet de loi de finances 2024. Par ailleurs, les documents budgétaires évoquent en plusieurs occasions un « renforcement du nombre de formateurs » sans que nous en trouvions la traduction concrète, notamment financière.
Interpellé à ce sujet lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le ministre Darmanin a contesté ces chiffres, affirmant : « Les crédits de formation en personnel ne baissent pas – soit il y a des coquilles dans le document budgétaire, soit il faudra le relire ensemble : ils sont passés de 23 millions en 2022 à 29 millions en 2023 et seront de 30 millions l'année prochaine, avec 4 500 équivalents temps plein et 72 ETP recrutés et créés, en sus des policiers qui basculent dans la formation. »
Si le chiffre pour 2024 est bien exact, soit 29, 7 millions d'euros pour être précis, et non 30 millions d'euros, les documents budgétaires comprennent pour 2023 non pas 29 millions d'euros, comme l'indique le ministre, mais 43, 3 millions. Les crédits alloués à la formation sont donc en baisse !
Quant aux soixante-douze ETP, le fait que le ministre les qualifie de « recrutés et créés » laisse entendre qu'il s'agit de postes déjà en place, et non de postes supplémentaires pour l'année à venir. D'ailleurs, les documents budgétaires pour 2024 n'évoquent pas ces soixante-douze ETP. Sur ces deux points, des éclaircissements de Mme la ministre seraient bienvenus !
À propos de cette mission « Sécurités », il convient de rappeler l'implication de la commission des affaires étrangères dans l'examen des crédits de la gendarmerie nationale. Ce programme est suivi par deux corapporteurs, Philippe Paul et Jérôme Darras, que je salue.
Sur cette question, les crédits de la mission semblent bien s'inscrire dans la trajectoire de la Lopmi, sous réserve d'évoquer plusieurs points de vigilance. En effet, l'accroissement des dépenses de personnel du titre 2, dont nous pouvons nous satisfaire, se fera au détriment des dépenses de fonctionnement et d'investissement.
L'immobilier était déjà un enjeu crucial pour la gendarmerie. Or les problèmes seront accentués par les besoins de logement des nouvelles brigades, fixes et mobiles, par les collectivités d'accueil. Par exemple, dans mon département, les solutions reposent beaucoup sur la bonne volonté du conseil départemental, même si le sujet dépasse ses compétences. Nous avons donc proposé des amendements, déposés par notre collègue Olivier Jacquin, qui ont pour objet cette problématique des casernes.
En outre, les dépenses de fonctionnement sont elles aussi en souffrance, avec une quasi-stabilité qui, compte tenu de l'inflation, constitue une baisse en valeur ; d'autres orateurs l'ont signalé. Par conséquent, si l'immobilier se trouve de plus en plus maltraité et si les équipements, notamment les véhicules, ne suivent pas, nous en arriverons paradoxalement à annuler les effets attendus des revalorisations indemnitaires et des recrutements des gendarmes.
Cette mission contient également le programme « Sécurité civile », dont les crédits sont en hausse de 2, 9 % et s'établissent à 734 millions d'euros, contre 714 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023.
Le renforcement des moyens aériens de la sécurité civile, dans le cadre notamment de la lutte contre les feux de forêt, est une des priorités du programme ; ce point a été de nombreuses fois mis en avant. Ce renforcement se met en œuvre au travers du plan pluriannuel de renouvellement de la flotte d'hélicoptères de secours – une commande de trente-six hélicoptères est programmée par la Lopmi, en plus des quatre déjà livrés – et de canadairs.
Dans le cadre du mécanisme RescUE, deux avions amphibies bombardiers d'eau seront acquis au printemps 2024. Après quelque 70 millions d'euros en 2023, ce sont 66 millions d'euros qui sont inscrits au budget 2024 pour financer le renouvellement de la flotte. Le groupe socialiste appelle cependant de ses vœux à un effort budgétaire supplémentaire pour accroître le soutien aux Sdis, qui se trouvent – d'autres l'ont indiqué – dans une situation financière complexe.
Enfin, il me semble difficile de ne pas évoquer les jeux Olympiques et leurs conséquences financières. Des syndicats de policiers se font très pressants envers le ministère, certains évoquant même un ultimatum. Au-delà de ce climat social, qui fait couler beaucoup d'encre, cela pose quelques questions en matière de sincérité du budget proposé. Au moment où il nous est annoncé pour le 1er décembre prochain l'ouverture d'un premier cycle de négociations entre le ministère et les agents concernés, pourriez-vous nous donner, madame la ministre, de la visibilité sur l'incidence de ces négociations sur le projet de loi de finances ? Face aux difficultés de recrutement d'agents privés et au nombre limité de forces de l'État à engager, quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement ? Nous attendons des éclaircissements sur ces points.
Le groupe socialiste, en cohérence avec sa position sur la Lopmi, votera malgré tout, ces crédits.