Intervention de Thierry Cozic

Réunion du 2 décembre 2023 à 10h30
Loi de finances pour 2024 — Remboursements et dégrèvements

Photo de Thierry CozicThierry Cozic :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai souhaité concentrer mon propos sur la mission « Engagements financiers de l'État », principalement sur le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État ».

Ce programme vise à couvrir le besoin de financement de l'État, tout en minimisant, sur la durée, le coût pour le contribuable.

Cette ambition se traduit essentiellement par la politique d'émission de la dette négociable sur le marché primaire et par le maintien de bonnes conditions de liquidité de cette dette sur le marché secondaire.

Tout d'abord, j'aimerais revenir sur un poncif que l'on assène paresseusement sans analyse économique sérieuse : non, la charge de la dette n'est pas le deuxième poste de dépenses de l'État !

En 2023, le déficit public devrait s'établir à 4, 9 % du PIB, dont 1, 9 point d'intérêts. La France n'a pas remboursé sa dette et cela lui a permis de financer 3 points de PIB de dépenses publiques.

Le taux d'intérêt payé sur la dette est de 1, 7 %, mais la croissance du PIB en valeur devrait s'établir à 6, 5 %, soit un taux d'intérêt corrigé de –4, 8 %.

Je note que ce détail intéresse peu de monde. Pourtant, il fait toute la différence, car, in fine, la dette ne coûte rien, elle ne fait que reporter.

Certes, l'écart va baisser et tendre vers zéro. La France s'endette aujourd'hui à 3 % pour une croissance anticipée de 3, 3 %. À terme, la charge d'intérêt passera à 3, 3 % quand le déficit public devrait passer à 3, 6 %, pour stabiliser le ratio de dette sur PIB. Le solde primaire devrait, quant à lui, passer de –3 % à –0, 3 %.

Ne nous méprenons pas : la dette et ses intérêts ne sont pas des sujets mineurs. Toutefois, soyons honnêtes : la charge de la dette est devenue le nouveau cheval de bataille des prophètes de l'orthodoxie budgétaire. Il est donc utile de remettre dans nos débats de la perspective et du contexte politique.

Si la barre des 70 milliards d'euros était atteinte en 2027, nous retrouverions simplement le niveau moyen de la charge de la dette depuis 1980. Certes, cette charge a bondi en un an d'un peu plus de 15 milliards d'euros. Mais les tenants du chantage à la dette oublient de mentionner que cette véritable « explosion » est liée pour 13 milliards d'euros, comme le souligne l'Insee, à l'effet de la hausse de l'inflation sur les titres indexés sur cette dernière : les obligations assimilables du Trésor indexées sur l'inflation (OATi).

Ils oublient aussi de dire que, si l'inflation ralentit – cela semble se dessiner –, cette charge se réduira alors d'autant. En effet, si les taux augmentent, ils restent inférieurs à l'inflation et sont donc, en réalité, négatifs.

Ces considérations ont conduit M. Pisani-Ferry et Mme Mahfouz à qualifier d'excessives les alarmes sur la remontée des taux et à suggérer d'accroître l'endettement pour la transition écologique de 250 milliards d'euros à 300 milliards d'euros d'ici à 2030.

Enfin, il nous faut aussi relativiser la hausse de la charge de la dette, car cette charge, ainsi que le prix que nous coûtent les emprunts, permet à l'État d'investir. Contrairement à ce qu'on laisse parfois entendre, cet investissement n'est pas de l'argent jeté par les fenêtres. En plus d'être créatrice de richesses, la hausse de la charge de la dette est évidemment nécessaire, dans le système actuel, pour répondre aux besoins des Français.

Enfin, puisqu'il est question de dette dans cette mission, j'aimerais vous rappeler que s'il y en a une dont il faut tenir compte en priorité, c'est la dette écologique. Celle-ci n'est ni négociable, ni reportable, ni renouvelable. Elle pose la question de la survie de l'espèce humaine, question qui me semble infiniment plus grave, concrète et urgente que n'importe quelle dette financière. C'est donc elle qui doit dicter nos choix politiques, au service desquels la dette financière n'est qu'un outil, qu'il faut manier du mieux possible.

Si vous souhaitez trouver des financements pour résorber la dette, l'analyse de la mission « Remboursements et dégrèvements » peut être une piste de réflexion.

Bien que les crédits affichés ne posent pas de difficulté de chiffrage – quelques évaluations restent néanmoins sujettes à caution –, cette mission illustre bien les errements de la politique budgétaire du Gouvernement.

En effet, madame la ministre, en maintenant une trajectoire de désarmement fiscal, ainsi que des niches fiscales coûteuses en dépit d'une utilité contestée, vous n'allez pas dans le sens de la quête du « sérieux budgétaire » dont vous vous réclamez tant.

Les entreprises françaises bénéficient d'environ 80 milliards d'euros d'exemptions d'impôt, dont l'efficacité est loin d'être toujours prouvée. Ce constat pourrait justifier des économies importantes.

Pour ne prendre que l'un des plus coûteux de ces dispositifs, le crédit d'impôt recherche est devenu, depuis sa réforme en 2008, une vache sacrée. Les entreprises sont manifestement très attachées à ce mécanisme fiscal extrêmement avantageux. En volume, le CIR profite surtout aux grands groupes, qui en font de plus en plus un instrument d'optimisation fiscale. Un rapport de la Cour des comptes souligne en revanche son coût élevé pour les finances publiques, alors même que son efficacité est difficile à établir. Cet aspect doit être revu, d'autant que, d'un point de vue macroéconomique, la réduction des niches fiscales accordées aux entreprises améliore leur santé à long terme, en les rendant moins dépendantes des stéroïdes fiscaux.

En conclusion, les trajectoires financières, assises sur des choix politiques que nous ne partageons pas, ne nous permettent pas de voter les crédits de ces missions budgétaires. §

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