Intervention de François Bonhomme

Réunion du 6 décembre 2023 à 21h15
Loi de finances pour 2024 — Administration générale et territoriale de l'état

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission « Administration générale et territoriale de l’État » fait toujours l’objet d’une attention particulière au Sénat, parce que les services préfectoraux, qui en constituent le cœur, sont essentiels à l’efficacité de nombreux services publics, mais aussi parce que, étant pour beaucoup d’anciens élus locaux, nous sommes spécialement sensibles à la qualité de la relation entre lesdits élus et les préfets.

Il est une évidence qu’il faut rappeler : pour que le couple maire-préfet fonctionne, il faut que les préfectures fonctionnent. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2024 comporte certains signaux positifs, notamment un infléchissement de la tendance qui fut celle, au cours des dix années écoulées, du programme 354 « Administration territoriale de l’État » : ce programme bénéficie pour 2024 d’une hausse de 232 ETP, dont 101 sont affectés directement au réseau préfectoral et sous-préfectoral.

Malgré tout, les moyens humains de l’État territorial demeurent rivés à des niveaux préoccupants : ces nouveaux postes compensent mal la perte de 14 % de l’effectif entre 2012 et 2020, pour un total actuel d’environ 30 000 agents des préfectures et sous-préfectures.

Du reste, si le renforcement du rôle de pilotage du préfet de région dans le redéploiement de certains effectifs constitue une intéressante action de déconcentration de certaines décisions dans le domaine des ressources humaines, il importe cependant que ce nouveau processus de décision ne se fasse pas au détriment de la bonne information du Parlement.

Concernant le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », on note un surcroît de vigilance et une réforme du secrétariat général du CIPDR ; voilà qui est bienvenu, surtout après la peu glorieuse – et pour tout dire piteuse – affaire du fonds Marianne.

La hausse importante des autorisations d’engagement de la mission n’est toutefois liée, pour l’essentiel, qu’à une opération immobilière de grande envergure – l’édification d’un nouveau site de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Saint-Ouen –, ainsi qu’à l’amorce de deux cycles électoraux, l’un européen, l’autre en Nouvelle-Calédonie.

Les dépenses engendrées par ces élections figurent dans le programme 232 « Vie politique », dont les crédits fluctuent logiquement au gré du calendrier électoral.

Ces facteurs étant mis à part, on constate que les crédits du programme « Administration territoriale de l’État » continuent de baisser : –7, 9 % en autorisations d’engagement, et surtout –2, 26 % en crédits de paiement, en euros constants. Un tel mouvement s’inscrit dans la continuité de l’érosion historique des moyens des préfectures.

Or, dans le même temps, de multiples versants de l’action territoriale de l’État restent confrontés à des problèmes considérables. Ainsi, le dispositif de délivrance des cartes nationales d’identité (CNI) et des passeports demeure sujet à d’importants dysfonctionnements : les délais de traitement sont trop longs et le recours aux personnels non titulaires se généralise au sein des centres d’expertise et de ressources des titres (CERT), qui sont chargés du traitement des demandes.

Songez que le nombre de contractuels a été multiplié par 11, 7 dans les CERT CNI-passeport entre 2021 et 2023 ! On peut s’interroger, dans ces conditions, sur la capacité des services à tenir les objectifs qui leur sont fixés pour 2024 dans le projet annuel de performances en matière de délais d’instruction et de mise à disposition des titres, mais aussi sur les conditions de fonctionnement et de travail qui ont cours dans les services concernés.

La prise en charge des démarches administratives des étrangers continue elle aussi de faire l’objet de multiples difficultés, malgré la création de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) : l’extrême longueur des délais d’attente complique les procédures, ce qui crée de l’insécurité juridique et des risques contentieux.

En matière de délai de traitement des demandes de renouvellement des titres de séjour, comment imaginer que l’administration puisse atteindre l’objectif de trente jours, quand la durée moyenne constatée est de soixante jours depuis la crise du covid-19 ? La politique française en matière de séjour des étrangers, quelle que soit au demeurant l’orientation qu’on entend lui donner, ne pourra tirer qu’avantage d’une accélération des démarches, dont les étrangers eux-mêmes bénéficieront.

La persistance de dysfonctionnements dans la mise en place des secrétariats généraux communs départementaux, entre préfectures et DDI, est notamment liée aux difficultés de gestion du personnel, qui ont grandement limité l’efficacité de cette réforme.

Enfin et surtout, les besoins en effectifs sont considérables dans le domaine du réarmement de l’État territorial, comme l’a rappelé fortement la Cour des comptes dans son rapport de mai 2022.

À cet égard, la réallocation des effectifs préfectoraux entre les territoires en fonction de leurs besoins demeure un impératif tout particulier. L’exécutif semble, ici ou là, le reconnaître. Cependant, comme l’a relevé le rapporteur spécial, les engagements du Gouvernement à ce sujet sont encore trop vagues : il reste à définir des critères objectifs et transparents de répartition des moyens humains entre les préfectures, prenant en compte les réalités propres à chaque territoire.

En parallèle, la priorisation des missions des préfectures telle qu’elle est présentée dans le document du ministère de l’intérieur intitulé Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 pose question : il semble en effet que cette sélection recoupe en réalité l’essentiel des missions exercées, ce qui limite grandement l’intérêt d’une telle démarche.

La position adoptée par le Sénat lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) et les réflexions du groupe de travail sénatorial sur la décentralisation pourraient inspirer une définition intelligente des priorités ; il y aurait là un moyen utile de réaffirmer l’importance centrale du préfet dans le lien entre les services de l’État et les collectivités en général, mais aussi de promouvoir le développement de la fonction de conseil des préfectures auprès des collectivités locales.

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