Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous attelons aujourd’hui à un exercice particulier. Cette séquence de la deuxième partie du projet de loi de finances constitue effectivement un invraisemblable fourre-tout, peu lisible, flirtant avec les limites de ce qui est acceptable, voire sincère lors d’un examen budgétaire.
Quatre missions différentes, deux comptes spéciaux, quatre rapporteurs, deux ministres au banc pour un total cumulé de 87 milliards d’euros en crédits de paiement, soit davantage que le budget de l’éducation nationale !
Les sujets traités ne sont pas des moindres : immobilier de l’État, administration fiscale, pensions de retraite. Pour tout cela, nous avons droit à quarante-cinq minutes de discussion générale et deux heures quinze minutes d’examen au total.
Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner du décalage entre l’importance de nos travaux en séance publique et l’intérêt de nos concitoyens. Ce que nous nous apprêtons à faire cet après-midi y contribue grandement !
Sur le fond, trois grands sujets se détachent de cette séquence.
Tout d’abord, l’immobilier de l’État.
Ne nous y trompons pas, le compte d’affectation spéciale du même nom ne représente qu’une petite partie de l’ensemble du patrimoine immobilier de l’État : il fait état d’un montant de 340 millions d’euros sur une valeur comptable estimée à 73, 3 milliards d’euros, donc seulement 13 % des dépenses d’investissement de l’État en la matière.
Ce compte, destiné à abonder les entités et ministères qui auraient mutualisé leurs produits de cession, n’est manifestement qu’un gadget comptable à l’intérêt plus que limité. La question de son maintien se pose dès lors clairement et j’aimerais que l’on m’explique ce qu’il apporte en lisibilité et en efficacité à une discussion budgétaire déjà bien complexe.
Ce n’est pas à travers lui, en effet, que se joue la question pourtant centrale et cruciale de la rénovation énergétique des bâtiments. Les montants correspondants se retrouvent principalement dans la mission « Transformation et fonction publiques » et présentent une croissance de 300 millions d’euros en crédits de paiement. Si cette augmentation est à saluer, le retard, lui, est à déplorer : il a effectivement fallu attendre cinq ans après la création du programme 348 pour que tous les travaux des cités administratives débutent, ceux-ci ne devant s’achever qu’en 2025.
Ensuite, l’administration fiscale, au travers de la mission « Gestion des finances publiques ».
La DGFiP, selon les propres termes du Gouvernement, bénéficie d’un « budget de reconduction », après un budget 2023 qui avait interrompu une série noire de dix années successives de baisses de crédits. Le Gouvernement fait preuve d’une ambition qu’il faut saluer : 1 500 postes seront créés pour le contrôle fiscal d’ici à 2027, dont 350 pour 2024. Mais, quand on regarde dans le détail, 250 découlent en fait de moindres suppressions de postes et 100 de redéploiements.
Pourtant, comme cela a déjà été souligné, il y a là un véritable enjeu. Les montants encaissés au titre du contrôle fiscal s’élèvent à 10, 6 milliards d’euros pour 2022, un chiffre rigoureusement identique à celui de 2021. Ce n’est pas satisfaisant au regard de l’évasion fiscale en France, qui est évaluée à près de 80 milliards d’euros. Seul un renforcement des moyens humains et techniques nous permettra de récupérer ces sommes importantes dont nous avons bien besoin.
Ce n’est visiblement pas la direction que compte prendre la majorité sénatoriale. En effet, au sein de la mission « Transformation et fonction publiques », qui traite aussi de tous les emplois de l’État et de ses opérateurs, le rapporteur général va proposer une baisse indifférenciée de 2, 5 % des emplois des opérateurs de l’État, soit 10 000 équivalents temps plein (ETP) pour la seule année 2024. Dans quels services ? Avec quelle finalité ? Pour quelle incidence sur le service public ? Tout cela, nous ne le saurons pas. Il s’agit d’un pur affichage comptable pour une vraie vision dogmatique de l’action publique !
Enfin, les pensions de retraite – le gros morceau de cette séquence budgétaire, la première depuis la réforme des retraites. Elles représentent 60 milliards d’euros, soit la plus grande part des 87 milliards d’euros évoqués précédemment.
La réforme des retraites a eu peu d’impact sur ces comptes. Si l’on élargit le spectre, le constat reste le même : le solde de l’ensemble du système de retraite atteindra un déficit équivalent à 0, 3 % du PIB en 2027, ce qui vient confirmer que cette réforme n’était ni de justice ni de rigueur budgétaire.
En conclusion, nous nous abstiendrons ou voterons contre les crédits de chacun des éléments de cette « méta-mission » ou « super-mission ». Que ce soit sur la forme ou sur le fond, ces crédits ne sont pas à la hauteur !