Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 octobre 2023 à 9h10
Budget de l'union européenne — Audition de Mme Anne-Hélène Bouillon sous-directrice de la 7e sous-direction et de Mme Oriane Penny-lepastier cheffe du bureau des finances et des politiques de l'union européenne à la direction du budget du ministère de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Mes chers collègues, nous recevons ce matin la direction du budget du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et je remercie Mme Anne-Hélène Bouillon, sous-directrice, et Mme Oriane Penny-Lepastier, cheffe du bureau des finances et des politiques de l'Union européenne, pour leur présence. Il nous a semblé en effet important d'échanger avec le Gouvernement sur la contribution de notre budget à l'Union européenne, au moment où celle-ci entreprend, de manière inédite, une révision de son cadre financier pluriannuel à mi-parcours dont le Conseil européen doit discuter demain, et alors que le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi de finances, et notamment le prélèvement sur recettes qu'il prévoit au bénéfice de l'Union européenne.

Adopté en 2020 et destiné à planifier les dépenses européennes pour sept ans, le cadre financier pluriannuel de l'Union n'apparaît plus adapté à présent. Mme Stéphanie Riso, qui est la tête de la direction générale du budget de la Commission européenne, est venue en juillet devant notre commission nous en expliquer les raisons et nous présenter les propositions que la Commission a faites en juin dernier pour le revoir. Il s'agit de mettre en place une facilité pour l'Ukraine et de faire face à la hausse des coûts de financement, due notamment à l'augmentation des taux d'intérêt. En parallèle, la Commission a complété sa proposition de nouvelle Décision Ressources propres, en envisageant une nouvelle ressource assise sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises. Quelle est l'appréciation du Gouvernement sur ces propositions de la Commission ? Approuve-t-il les priorités retenues par la Commission et les montants que l'UE devrait y consacrer ? La nouvelle ressource propre envisagée en est-elle une à proprement parler, dès lors qu'elle ne serait en fait pas vraiment une taxe sur les entreprises, mais bien une contribution budgétaire supplémentaire des États membres, fonctionnant sur le même principe que la ressource TVA ou plastique?

À propos de notre contribution nationale, la légère baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne dans le projet de loi de finances 2024 ne doit pas nous rassurer trop vite : d'abord parce qu'elle trahit un retard dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion 2021-2027 ; ensuite parce que l'inflation gonfle le revenu national brut des États membres et le produit des droits de douane reversés au budget européen, ce qui réduit mécaniquement le niveau de notre contribution nationale. Pourtant les préoccupations de fond demeurent à moyen terme : comment financer les défis supplémentaires que constituent aujourd'hui le soutien à la guerre en Ukraine, le déploiement de la stratégie de souveraineté européenne et la réponse à la pression migratoire croissante, alors même que nul ne sait encore quelles ressources permettront de rembourser à partir de 2028 l'emprunt mutualisé, levé il y a deux ans pour financer la relance post-Covid ? Pour faire court, je dirais que l'équation budgétaire européenne semble en l'état insoluble.

Nous souhaitons donc aujourd'hui faire le point avec vous sur les perspectives du prélèvement sur recettes au profit de l'UE dans le PLF mais, plus généralement, sur l'avenir du financement de l'UE, au regard des propositions de nouvelles ressources propres à l'étude. Il y a là, il me semble, un imbroglio à régler. En effet, la contribution nette française au budget de l'Union ne pourra pas augmenter si elle ne répond qu'à des dépenses de fonctionnement de l'UE, comme Madame la Ministre l'a elle aussi rappelé récemment.

Mme Anne-Hélène Bouillon, sous-directrice de la 7e sous-direction, à la direction du budget du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Je vous remercie monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, pour votre invitation et ces propos liminaires. Je souhaitais tout d'abord aborder brièvement deux éléments d'actualité européenne cette année : d'une part, la révision du Cadre financier pluriannuel (CFP) - inédite en effet par son ampleur et son calendrier - et d'autre part, la décision ressources propres. Les propositions émises par la Commission européenne, aujourd'hui à l'étude au Conseil, revêtent effectivement un enjeu particulier puisqu'il faut aussi préparer le remboursement de l'emprunt européen à compter de 2028.

Concernant la révision du CFP 2021-2027, je tiens à rappeler que le principe de révision a pu déjà être prévu dans le passé. Dans le précédent CFP 2014-2020, une révision à mi-parcours constituait même une condition à l'accord trouvé entre le Conseil et le Parlement. Elle avait concerné un montant bien plus faible que celui aujourd'hui envisagé. Néanmoins, la révision actuelle est proposée alors que l'accord conclu en 2020 excluait explicitement le principe d'une telle révision. La Commission a estimé indispensable de présenter une révision du CFP 2021-2027 en juin dernier, compte tenu de la situation particulière liée à la guerre en Ukraine depuis plus d'un an et de l'évolution du contexte macro-économique.

Cette révision porte sur le montant significatif de 66 milliards d'euros supplémentaires sur la période 2024-2027. L'objectif de cette démarche est de répondre à des besoins non-identifiés au moment de la conclusion de l'accord en 2020. Trois priorités politiques sont identifiées. Tout d'abord, le soutien à l'Ukraine par la création d'une Facilité Ukraine qui serait dotée de 50 milliards d'euros et dont l'objectif est de répondre à des besoins à court-terme (la stabilisation et résilience économiques) et à moyen-terme (la reconstruction de l'Ukraine). Cette proposition comporte deux aspects : un volet budgétaire à hauteur de 17 milliards d'euros et un volet sous forme de prêts à hauteur de 33 milliards d'euros.

La seconde priorité concerne la création d'une plateforme européenne pour les technologies critiques émergentes, dite STEP. Cette plateforme a été demandée en réponse à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain à la suite des conséquences économiques de la guerre en Ukraine sur les États membres de l'Union Européenne. Pour ce faire, la Commission propose de renforcer la synergie entre programmes européens via un volet réglementaire, notamment la flexibilisation des instruments financiers européens en termes au titre de la politique de cohésion, et un volet budgétaire, à hauteur de 10 milliards d'euros supplémentaires.

La dernière priorité est celle des questions migratoires. L'objectif est d'agir à la fois sur les composantes intérieures, c'est-à-dire sur le soutien aux États membres dans l'accueil des réfugiés, mais aussi sur les composantes extérieures, via le soutien à des États tiers comme la Turquie, les pays méditerranéens et balkaniques. La Commission propose à ce titre une augmentation de 15 milliards d'euros.

Deux autres postes correspondent à des besoins qu'il n'avait pas été possible de prévoir en 2020. Le premier concerne le financement des intérêts européens sur l'emprunt levé, qui subit la hausse des taux et est aujourd'hui chiffré à hauteur de 19 milliards d'euros. La Commission prévoyait au moment de la conclusion du CFP des taux d'intérêt moyens, qui se révèlent aujourd'hui inférieurs aux taux effectifs actuels. Sans rentrer dans des détails techniques, les types de dépenses du budget européen sont plafonnés, ces plafonds étant sujets à des accords entre les chefs d'État ou de gouvernement. Ce faisant, la Commission était techniquement contrainte de proposer une révision du CFP a minima pour l'augmentation des intérêts associés à Next Generation EU, avant que ne se greffent d'autres priorités politiques. Le deuxième besoin concerne la hausse des dépenses administratives, chiffrée à 1,9 milliard d'euros. Cette augmentation est justifiée par la hausse des effectifs de la Commission, conséquence de l'accroissement des sujets qu'elle doit traiter, et par l'indexation salariale sur l'inflation.

Les propositions équivalent donc à une hausse de 66 milliards d'euros en termes budgétaires, auxquels s'ajoutent les 33 milliards d'euros sous forme de prêts évoqués précédemment, soit presque 100 milliards d'euros au total.

Les négociations ont débuté formellement en juillet dernier. Des groupes de travail ad hoc ont été constitués au Conseil, des réunions du COREPER se sont également déroulées, et le sujet est à l'ordre du jour du Conseil européen de cette fin de semaine. Il devrait établir des premières orientations, en sachant que le Conseil n'est pas entré dans des discussions chiffrées. Si l'objectif affiché des négociations demeure la finalisation d'un accord d'ici la fin de l'année 2023 pour une mise en oeuvre en 2024, le Conseil européen d'aujourd'hui ne devrait déboucher que sur des orientations, et non sur un accord. La procédure d'adoption du CFP prévoit un accord à l'unanimité, contrairement à la procédure budgétaire annuelle qui se fait à la majorité qualifiée. Il est donc plus délicat de trouver des consensus, chaque État membre défendant ses intérêts propres. Le Parlement européen doit également, depuis 2014, approuver cet accord.

Concernant le volet portant sur les négociations autour de la décision ressources propres, vous savez que la France, comme l'Italie, soutiennent le principe de création de nouvelles ressources propres à chaque négociation du CFP. La Commission propose systématiquement cette création et est soutenue sur ce sujet par le Parlement européen. Les chefs d'État ou de gouvernement réunis au Conseil européen ne parviennent cependant pas à se mettre d'accord sur la question. Il faut rappeler que l'accord global sur l'emprunt de 2020 prévoyait une feuille de route sur l'établissement de nouvelles ressources propres à l'horizon 2028. La Commission s'emploie à respecter cette feuille de route institutionnelle et a présenté en décembre 2021 un paquet contenant de « vraies » ressources propres, à savoir la ressource fondée sur l'ETS 1 & 2 (marchés de quotas carbone) et celle sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Le paquet comprenait également la ressource fondée sur le pilier 1 de l'accord de l'OCDE sur la fiscalité internationale.

Ces trois propositions nécessitent un accord sectoriel pour détailler la mise en oeuvre de ces ressources ainsi qu'une modification transversale de la Décision ressources propres. La modification de cette décision requiert l'unanimité au Conseil et une ratification par les parlements nationaux. C'est un processus long, qui dure généralement 18 mois. Les gouvernements négocient donc en considérant le degré d'acceptabilité des modifications par leurs parlements. La directive ETS et le règlement MACF ont été adoptés en mars 2023 après des progrès considérables enregistrés durant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Ce sont des accords sectoriels de mise en oeuvre des dispositifs.

En juin 2023, la Commission a amendé sa proposition et propose désormais d'affecter 30 % des recettes de l'ETS et 75 % de celles du MACF au budget européen. Elle maintient également sa position concernant le pilier 1 de l'accord OCDE, même si rien ne laisse présager la conclusion proche d'un accord sur ce sujet. La Commission propose également la création d'une nouvelle ressource propre statistique fondée sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises (EBE). Cette ressource statistique correspond à la reconstitution d'une assiette statistique par État membre, ici fondée sur l'EBE, à laquelle on applique un taux d'appel et qui permet une nouvelle contribution nationale. Cette nouvelle ressource n'est donc pas un impôt sur les entreprises, comme celles assises sur les plastiques ou la TVA, quoiqu'elle pourrait poser les jalons d'une future ressource de la sorte. Cette ressource statistique permettrait selon la Commission de générer 36 milliards d'euros de recettes par an en moyenne à partir de 2028. Elle permettrait à la fois de rembourser l'emprunt européen et de financer le fonds social climat, créé dans le cadre de la négociation sur le paquet ajustement climat pour accompagner la transition des États membres. Ce fonds doit aussi être financé par une partie des recettes ETS.

Les discussions au Conseil ont commencé et les groupes « ressources propres » échangent sur les aspects techniques de ces propositions. La France soutient activement ces propositions, comme le fait d'ailleurs le Parlement européen, mais la présidence espagnole n'est à ce stade pas partisane de les intégrer à la révision de mi-parcours. Les États membres disposant de rabais, qui sont par ailleurs ceux qui renâclent à la création de nouvelles ressources propres, n'ont aucun intérêt à soutenir les propositions de la Commission dans la mesure où une révision du CFP ne modifie par leurs rabais. Ils devront cependant défendre, lors des négociations sur le prochain CFP 2028-2034, le renouvellement de leur rabais et seront contraints de négocier avec les États membres défendant la création de nouvelles ressources propres. Le Conseil européen d'aujourd'hui devrait donner des orientations et des priorités de travail à la présidence espagnole. Une autre réunion du Conseil européen étant prévue à la fin de l'année, l'objectif est de parvenir à un accord à cette échéance afin d'ouvrir rapidement les négociations avec le Parlement européen pour une mise en oeuvre début 2024.

Merci pour ces détails. Avant de passer aux questions, j'ai deux remarques à la suite du débat préalable au Conseil européen que nous avons eu avec la ministre Laurence Boone.

Tout d'abord, j'aimerais rappeler que, dans un récent rapport, la Cour des comptes européenne a porté une opinion défavorable sur la légalité et la régularité des dépenses budgétaires de l'Union : elle considère qu'entre 4,2 et 6 % des dépenses du budget européen font l'objet d'erreurs. Or, 5 % de 1 800 milliards (l'enveloppe totale pour 2021-2027) équivalent aux sommes supplémentaires que la Commission souhaite ajouter au CFP. Il me semble donc qu'une lutte accentuée contre ces irrégularités pourrait couvrir les besoins budgétaires européens sans nécessiter une révision du CFP. Nous sommes conscients des difficultés à trouver un accord sur les ressources propres, en dépit de ce qu'on nous faisait miroiter au moment de l'accord sur l'emprunt. Je vois se profiler une hausse de la contribution nette des États, particulièrement ceux qui ne profitent pas de rabais à l'instar de la France.

Ma seconde remarque concerne la possible fragilisation du budget européen par les emprunts consentis en aide à l'Ukraine, sans aucun provisionnement.

Je ne désespère pas que d'un accord sur de nouvelles ressources propres, mais gardons en tête qu'il a fallu trois ans de négociation pour aboutir au CFP actuel. Espérons que les négociations de révision ne prennent pas autant de temps !

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