Mes chers collègues, nous recevons ce matin la direction du budget du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et je remercie Mme Anne-Hélène Bouillon, sous-directrice, et Mme Oriane Penny-Lepastier, cheffe du bureau des finances et des politiques de l'Union européenne, pour leur présence. Il nous a semblé en effet important d'échanger avec le Gouvernement sur la contribution de notre budget à l'Union européenne, au moment où celle-ci entreprend, de manière inédite, une révision de son cadre financier pluriannuel à mi-parcours dont le Conseil européen doit discuter demain, et alors que le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi de finances, et notamment le prélèvement sur recettes qu'il prévoit au bénéfice de l'Union européenne.
Adopté en 2020 et destiné à planifier les dépenses européennes pour sept ans, le cadre financier pluriannuel de l'Union n'apparaît plus adapté à présent. Mme Stéphanie Riso, qui est la tête de la direction générale du budget de la Commission européenne, est venue en juillet devant notre commission nous en expliquer les raisons et nous présenter les propositions que la Commission a faites en juin dernier pour le revoir. Il s'agit de mettre en place une facilité pour l'Ukraine et de faire face à la hausse des coûts de financement, due notamment à l'augmentation des taux d'intérêt. En parallèle, la Commission a complété sa proposition de nouvelle Décision Ressources propres, en envisageant une nouvelle ressource assise sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises. Quelle est l'appréciation du Gouvernement sur ces propositions de la Commission ? Approuve-t-il les priorités retenues par la Commission et les montants que l'UE devrait y consacrer ? La nouvelle ressource propre envisagée en est-elle une à proprement parler, dès lors qu'elle ne serait en fait pas vraiment une taxe sur les entreprises, mais bien une contribution budgétaire supplémentaire des États membres, fonctionnant sur le même principe que la ressource TVA ou plastique?
À propos de notre contribution nationale, la légère baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne dans le projet de loi de finances 2024 ne doit pas nous rassurer trop vite : d'abord parce qu'elle trahit un retard dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion 2021-2027 ; ensuite parce que l'inflation gonfle le revenu national brut des États membres et le produit des droits de douane reversés au budget européen, ce qui réduit mécaniquement le niveau de notre contribution nationale. Pourtant les préoccupations de fond demeurent à moyen terme : comment financer les défis supplémentaires que constituent aujourd'hui le soutien à la guerre en Ukraine, le déploiement de la stratégie de souveraineté européenne et la réponse à la pression migratoire croissante, alors même que nul ne sait encore quelles ressources permettront de rembourser à partir de 2028 l'emprunt mutualisé, levé il y a deux ans pour financer la relance post-Covid ? Pour faire court, je dirais que l'équation budgétaire européenne semble en l'état insoluble.
Nous souhaitons donc aujourd'hui faire le point avec vous sur les perspectives du prélèvement sur recettes au profit de l'UE dans le PLF mais, plus généralement, sur l'avenir du financement de l'UE, au regard des propositions de nouvelles ressources propres à l'étude. Il y a là, il me semble, un imbroglio à régler. En effet, la contribution nette française au budget de l'Union ne pourra pas augmenter si elle ne répond qu'à des dépenses de fonctionnement de l'UE, comme Madame la Ministre l'a elle aussi rappelé récemment.
Mme Anne-Hélène Bouillon, sous-directrice de la 7e sous-direction, à la direction du budget du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Je vous remercie monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, pour votre invitation et ces propos liminaires. Je souhaitais tout d'abord aborder brièvement deux éléments d'actualité européenne cette année : d'une part, la révision du Cadre financier pluriannuel (CFP) - inédite en effet par son ampleur et son calendrier - et d'autre part, la décision ressources propres. Les propositions émises par la Commission européenne, aujourd'hui à l'étude au Conseil, revêtent effectivement un enjeu particulier puisqu'il faut aussi préparer le remboursement de l'emprunt européen à compter de 2028.
Concernant la révision du CFP 2021-2027, je tiens à rappeler que le principe de révision a pu déjà être prévu dans le passé. Dans le précédent CFP 2014-2020, une révision à mi-parcours constituait même une condition à l'accord trouvé entre le Conseil et le Parlement. Elle avait concerné un montant bien plus faible que celui aujourd'hui envisagé. Néanmoins, la révision actuelle est proposée alors que l'accord conclu en 2020 excluait explicitement le principe d'une telle révision. La Commission a estimé indispensable de présenter une révision du CFP 2021-2027 en juin dernier, compte tenu de la situation particulière liée à la guerre en Ukraine depuis plus d'un an et de l'évolution du contexte macro-économique.
Cette révision porte sur le montant significatif de 66 milliards d'euros supplémentaires sur la période 2024-2027. L'objectif de cette démarche est de répondre à des besoins non-identifiés au moment de la conclusion de l'accord en 2020. Trois priorités politiques sont identifiées. Tout d'abord, le soutien à l'Ukraine par la création d'une Facilité Ukraine qui serait dotée de 50 milliards d'euros et dont l'objectif est de répondre à des besoins à court-terme (la stabilisation et résilience économiques) et à moyen-terme (la reconstruction de l'Ukraine). Cette proposition comporte deux aspects : un volet budgétaire à hauteur de 17 milliards d'euros et un volet sous forme de prêts à hauteur de 33 milliards d'euros.
La seconde priorité concerne la création d'une plateforme européenne pour les technologies critiques émergentes, dite STEP. Cette plateforme a été demandée en réponse à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain à la suite des conséquences économiques de la guerre en Ukraine sur les États membres de l'Union Européenne. Pour ce faire, la Commission propose de renforcer la synergie entre programmes européens via un volet réglementaire, notamment la flexibilisation des instruments financiers européens en termes au titre de la politique de cohésion, et un volet budgétaire, à hauteur de 10 milliards d'euros supplémentaires.
La dernière priorité est celle des questions migratoires. L'objectif est d'agir à la fois sur les composantes intérieures, c'est-à-dire sur le soutien aux États membres dans l'accueil des réfugiés, mais aussi sur les composantes extérieures, via le soutien à des États tiers comme la Turquie, les pays méditerranéens et balkaniques. La Commission propose à ce titre une augmentation de 15 milliards d'euros.
Deux autres postes correspondent à des besoins qu'il n'avait pas été possible de prévoir en 2020. Le premier concerne le financement des intérêts européens sur l'emprunt levé, qui subit la hausse des taux et est aujourd'hui chiffré à hauteur de 19 milliards d'euros. La Commission prévoyait au moment de la conclusion du CFP des taux d'intérêt moyens, qui se révèlent aujourd'hui inférieurs aux taux effectifs actuels. Sans rentrer dans des détails techniques, les types de dépenses du budget européen sont plafonnés, ces plafonds étant sujets à des accords entre les chefs d'État ou de gouvernement. Ce faisant, la Commission était techniquement contrainte de proposer une révision du CFP a minima pour l'augmentation des intérêts associés à Next Generation EU, avant que ne se greffent d'autres priorités politiques. Le deuxième besoin concerne la hausse des dépenses administratives, chiffrée à 1,9 milliard d'euros. Cette augmentation est justifiée par la hausse des effectifs de la Commission, conséquence de l'accroissement des sujets qu'elle doit traiter, et par l'indexation salariale sur l'inflation.
Les propositions équivalent donc à une hausse de 66 milliards d'euros en termes budgétaires, auxquels s'ajoutent les 33 milliards d'euros sous forme de prêts évoqués précédemment, soit presque 100 milliards d'euros au total.
Les négociations ont débuté formellement en juillet dernier. Des groupes de travail ad hoc ont été constitués au Conseil, des réunions du COREPER se sont également déroulées, et le sujet est à l'ordre du jour du Conseil européen de cette fin de semaine. Il devrait établir des premières orientations, en sachant que le Conseil n'est pas entré dans des discussions chiffrées. Si l'objectif affiché des négociations demeure la finalisation d'un accord d'ici la fin de l'année 2023 pour une mise en oeuvre en 2024, le Conseil européen d'aujourd'hui ne devrait déboucher que sur des orientations, et non sur un accord. La procédure d'adoption du CFP prévoit un accord à l'unanimité, contrairement à la procédure budgétaire annuelle qui se fait à la majorité qualifiée. Il est donc plus délicat de trouver des consensus, chaque État membre défendant ses intérêts propres. Le Parlement européen doit également, depuis 2014, approuver cet accord.
Concernant le volet portant sur les négociations autour de la décision ressources propres, vous savez que la France, comme l'Italie, soutiennent le principe de création de nouvelles ressources propres à chaque négociation du CFP. La Commission propose systématiquement cette création et est soutenue sur ce sujet par le Parlement européen. Les chefs d'État ou de gouvernement réunis au Conseil européen ne parviennent cependant pas à se mettre d'accord sur la question. Il faut rappeler que l'accord global sur l'emprunt de 2020 prévoyait une feuille de route sur l'établissement de nouvelles ressources propres à l'horizon 2028. La Commission s'emploie à respecter cette feuille de route institutionnelle et a présenté en décembre 2021 un paquet contenant de « vraies » ressources propres, à savoir la ressource fondée sur l'ETS 1 & 2 (marchés de quotas carbone) et celle sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Le paquet comprenait également la ressource fondée sur le pilier 1 de l'accord de l'OCDE sur la fiscalité internationale.
Ces trois propositions nécessitent un accord sectoriel pour détailler la mise en oeuvre de ces ressources ainsi qu'une modification transversale de la Décision ressources propres. La modification de cette décision requiert l'unanimité au Conseil et une ratification par les parlements nationaux. C'est un processus long, qui dure généralement 18 mois. Les gouvernements négocient donc en considérant le degré d'acceptabilité des modifications par leurs parlements. La directive ETS et le règlement MACF ont été adoptés en mars 2023 après des progrès considérables enregistrés durant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Ce sont des accords sectoriels de mise en oeuvre des dispositifs.
En juin 2023, la Commission a amendé sa proposition et propose désormais d'affecter 30 % des recettes de l'ETS et 75 % de celles du MACF au budget européen. Elle maintient également sa position concernant le pilier 1 de l'accord OCDE, même si rien ne laisse présager la conclusion proche d'un accord sur ce sujet. La Commission propose également la création d'une nouvelle ressource propre statistique fondée sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises (EBE). Cette ressource statistique correspond à la reconstitution d'une assiette statistique par État membre, ici fondée sur l'EBE, à laquelle on applique un taux d'appel et qui permet une nouvelle contribution nationale. Cette nouvelle ressource n'est donc pas un impôt sur les entreprises, comme celles assises sur les plastiques ou la TVA, quoiqu'elle pourrait poser les jalons d'une future ressource de la sorte. Cette ressource statistique permettrait selon la Commission de générer 36 milliards d'euros de recettes par an en moyenne à partir de 2028. Elle permettrait à la fois de rembourser l'emprunt européen et de financer le fonds social climat, créé dans le cadre de la négociation sur le paquet ajustement climat pour accompagner la transition des États membres. Ce fonds doit aussi être financé par une partie des recettes ETS.
Les discussions au Conseil ont commencé et les groupes « ressources propres » échangent sur les aspects techniques de ces propositions. La France soutient activement ces propositions, comme le fait d'ailleurs le Parlement européen, mais la présidence espagnole n'est à ce stade pas partisane de les intégrer à la révision de mi-parcours. Les États membres disposant de rabais, qui sont par ailleurs ceux qui renâclent à la création de nouvelles ressources propres, n'ont aucun intérêt à soutenir les propositions de la Commission dans la mesure où une révision du CFP ne modifie par leurs rabais. Ils devront cependant défendre, lors des négociations sur le prochain CFP 2028-2034, le renouvellement de leur rabais et seront contraints de négocier avec les États membres défendant la création de nouvelles ressources propres. Le Conseil européen d'aujourd'hui devrait donner des orientations et des priorités de travail à la présidence espagnole. Une autre réunion du Conseil européen étant prévue à la fin de l'année, l'objectif est de parvenir à un accord à cette échéance afin d'ouvrir rapidement les négociations avec le Parlement européen pour une mise en oeuvre début 2024.
Merci pour ces détails. Avant de passer aux questions, j'ai deux remarques à la suite du débat préalable au Conseil européen que nous avons eu avec la ministre Laurence Boone.
Tout d'abord, j'aimerais rappeler que, dans un récent rapport, la Cour des comptes européenne a porté une opinion défavorable sur la légalité et la régularité des dépenses budgétaires de l'Union : elle considère qu'entre 4,2 et 6 % des dépenses du budget européen font l'objet d'erreurs. Or, 5 % de 1 800 milliards (l'enveloppe totale pour 2021-2027) équivalent aux sommes supplémentaires que la Commission souhaite ajouter au CFP. Il me semble donc qu'une lutte accentuée contre ces irrégularités pourrait couvrir les besoins budgétaires européens sans nécessiter une révision du CFP. Nous sommes conscients des difficultés à trouver un accord sur les ressources propres, en dépit de ce qu'on nous faisait miroiter au moment de l'accord sur l'emprunt. Je vois se profiler une hausse de la contribution nette des États, particulièrement ceux qui ne profitent pas de rabais à l'instar de la France.
Ma seconde remarque concerne la possible fragilisation du budget européen par les emprunts consentis en aide à l'Ukraine, sans aucun provisionnement.
Je ne désespère pas que d'un accord sur de nouvelles ressources propres, mais gardons en tête qu'il a fallu trois ans de négociation pour aboutir au CFP actuel. Espérons que les négociations de révision ne prennent pas autant de temps !
Merci mesdames pour vos très clairs propos liminaires. Vous avez évoqué la suppression lointaine, à l'horizon 2028, des rabais et des rabais sur rabais. La France reste-t-elle la première contributrice au financement de ces rabais ?
Ma deuxième question porte sur le prélèvement sur recettes de la France au profit de l'UE, évalué dans le PLF 2024 à 21,6 milliards d'euros, en baisse par rapport à 2023. Une des raisons évoquées de cette baisse est le retard pris par la mise en place de la politique de cohésion 2021-2027. Comment explique-t-on ce retard, et comment devrait évoluer la contribution de la France au CFP 2021-2027 pour les annualités budgétaires suivantes ?
Concernant les ressources propres, quelles seraient les conséquences pour la France et sa contribution de la non-adoption des nouvelles ressources propres proposées par la Commission ?
Enfin, vous n'avez pas évoqué la question de la taxe sur les transactions financières : où en est-on sur ce sujet ?
J'ai deux remarques. La France est depuis longtemps à la pointe pour demander la création de nouvelles ressources propres. Une taxe sur les produits financiers a été évoquée dans le passé, un sujet porté par Alain Lamassoure. Où en est-on concrètement ? Je suis personnellement persuadé que cette taxe demeure pertinente.
Par ailleurs, je découvre que la Présidente de la Commission, Mme von der Leyen, qui comme à son habitude prend des décisions unilatérales, vient d'annoncer 83 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine. Je ne remets pas en cause la légitimité de cette aide, mais j'insiste sur son niveau important. À quel niveau la France contribue-t-elle aujourd'hui au budget européen, étant historiquement un contributeur net ?
Nous sommes dans une situation ubuesque. La contribution de la France va diminuer l'an prochain mais nous réfléchissons en même temps à des moyens pour augmenter les recettes. Comment peut-on mieux utiliser les ressources disponibles et donc épuiser l'ensemble des programmes avant de demander des fonds supplémentaires ?
Concernant la hausse des dépenses administratives de la Commission, j'ai compris que la France estime trop élevée les 1,9 milliard d'euros demandés. Sommes-nous les seuls à penser ainsi ?
Enfin, concernant la contribution statistique sur les entreprises, je comprends de vos propos qu'elle constitue une nouvelle contribution des États membres. La Commission souhaite-t-elle en rester là, où cela ne présage-t-il pas, comme vous avez semblé l'esquisser, de la création d'un impôt sur les sociétés européennes ?
Concernant les rabais, l'accord sur la décision ressources propres 2021-2027 a simplifié le paysage des rabais existants. Le Brexit a permis de supprimer le rabais britannique ainsi que les « rabais sur le rabais » britannique obtenus par des États membres et auxquels la France contribuait de manière très importante. Surtout, les rabais restants ont une date d'expiration, ce que n'avait pas le rabais britannique. Tous les États disposant d'un rabais devront choisir lors des prochaines négociations entre l'obtention d'un nouveau rabais, la promotion de dépenses qui leur sont favorables, ou encore la création de ressources propres. Cela change considérablement la dynamique des négociations. La France reste de fait le premier financeur des rabais.
Dans l'esprit de ses partenaires, la France bénéficie de son propre rabais sous la forme de la PAC. La France est toujours le premier bénéficiaire de la PAC et jouit d'un taux de retour important. Or, les rabais ont initialement été créés pour compenser les déséquilibres entre les contributions nationales et les taux de retour des politiques européennes. La France est le 1er contributeur des rabais et le 2e contributeur du budget européen en volume derrière l'Allemagne. Si l'Allemagne ne disposait pas de son rabais, elle contribuerait bien au-delà de sa part relative. Le Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l'Autriche bénéficient également des rabais.
Vous avez évoqué le retard dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion. L'accord européen prévoit en la matière des plafonds annuels sur sept ans, avec une montée en charge progressive. Les premières années du cadre nécessitent le passage de textes législatifs et la structuration des instruments politiques avant le décaissement de fonds. L'année 2024, étant la 4e année de mise en oeuvre du CFP, aurait dû être une année de montée en charge. Or la Commission a présenté une baisse notable du budget u titre de la politique de cohésion. Les analyses qui nous ont été communiquées indiquent que, compte tenu des nombreux nouveaux programmes européens, de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) et des modifications des règles de dépenses de cohésion, les États n'ont pas la capacité de mettre en oeuvre de manière simultanée la FRR et la politique de cohésion. Les programmes nationaux de réforme en réponse à la FRR ont demandé un temps significatif aux États, qui en ont fait une priorité au détriment de la mise en oeuvre de la politique de cohésion. Cette baisse constitue un creux et n'entraine pas une perte des crédits initialement alloués, qui seront dépensés dans les années à venir, sans date ou modalités d'utilisation encore fixées. Les années budgétaires prochaines verront donc un accroissement des dépenses en théorie, mais il est difficile de prédire l'impact du creux de l'année 2024.
cheffe du bureau des finances et des politiques de l'Union européenne, à la direction du budget du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - S'agissant du rapport de la Cour des comptes européenne, les autorités de gestion font en réalité face à un « embouteillage » avec la mise en place concomitante de nombreux programmes : React-EU, la FRR, la fin de programmation 2014-2020 pour la cohésion, la programmation 2021-2027... Les autorités de gestion sont ainsi en difficulté, ce qui explique l'augmentation du taux d'erreur constaté.
Pour participer au fonctionnement d'une autorité de gestion en tant que conseiller régional, je confirme la frilosité dans l'utilisation des fonds européens par crainte de devoir les rembourser. Les gestionnaires craignent d'avoir à se retourner vers les porteurs de projets des années plus tard pour leur demander de rendre l'argent alloué. C'est un réel problème, qu'il est nécessaire de traiter en amont.
Merci pour la clarté de vos propos. La question des ressources propres ne date pas d'aujourd'hui : c'est un serpent de mer ! J'ai côtoyé par le passé Jean-Louis Bourlanges, qui était député européen, et avec qui j'ai beaucoup discuté de ce sujet. Derrière cette notion se cache la création d'un nouvel impôt, d'une nouvelle taxe ou bien même des deux. Vous faites un lien entre l'établissement de ces nouvelles ressources et le paiement de la dette et de l'aide à l'Ukraine. J'ai le sentiment qu'il est peu convaincant. En lisant les propos du commissaire Thierry Breton, j'avais le sentiment que ces ressources propres étaient plutôt liées à un projet, celui du fonds de souveraineté ou de la mutualisation des outils pour la transition environnementale. J'ai du mal à croire que nous mobiliserons les opinions publiques seulement sur un narratif « négatif » de remboursement de la dette. C'est en effet très important d'un point de vue budgétaire, mais cela ne permet pas une dynamique d'adhésion de la part de la population.
Sur les 66 milliards d'euros de nouveaux crédits injectés, seuls 10 sont dédiés à la plateforme STEP, censée remplacer le fonds de souveraineté pour la politique industrielle. Le ministre de l'économie et des finances français déclarait pourtant, il n'y a pas si longtemps, qu'il fallait répondre à l'IRA américain par une initiative d'échelle similaire au niveau européen. Or, on en est malheureusement très loin, d'autant que les 10 milliards d'euros visent à renforcer des programmes tels qu'Invest-EU ou Horizon censés mobiliser des investissements privés. De mémoire, la Commission a annoncé une enveloppe de 160 milliards d'euros pour le développement économique de l'Europe. Donnez-vous du crédit à ce chiffre, et dans quelle mesure cette somme pourrait-elle être utilisée dans la période ?
Vous n'avez pas évoqué l'éventualité de redéploiement de crédits au sein de programmes existants. En additionnant les sommes supplémentaires annoncées, on atteindrait un total supérieur aux 66 milliards d'euros proposés, il me semble.
Concernant les nouvelles ressources propres, vous n'avez apporté qu'une réponse partielle à la question de ma collègue. Vous n'avez pas évoqué la taxe sur les transactions financières (TTF), que le Président de la République avait portée devant ses pairs mais dont nous n'entendons plus parler. La France continue-t-elle de défendre cette proposition lors des négociations ? C'est selon moi une question indispensable au regard à la fois de la nécessité de rembourser l'emprunt contracté et de la pérennité de la capacité d'emprunt de l'Union pour répondre aux défis climatiques et technologiques.
S'agissant des redéploiements et de la bonne utilisation des fonds existants, il reste 4 années d'exécution du budget européen et tous les crédits ne sont pas encore engagés. On assiste, il est vrai, à des débats autour de la re-priorisation. Il est admis que les priorités de l'UE sont aujourd'hui le soutien à l'Ukraine, la question migratoire et la souveraineté industrielle et que des dépenses, qui avaient été discutées en 2018, devraient être réallouées. Ces discussions ont lieu entre les États membres et il existe déjà une certaine flexibilité sur ce sujet. C'est à la Commission d'aider les États à identifier leur marge de redéploiement. Nous verrons au sortir du Conseil européen d'aujourd'hui si les dirigeants européens ont demandé de l'aide à la Commission à cet effet, compte tenu du montant important des crédits supplémentaires demandés à mi-parcours.
Concernant la position des États membres sur la révision du CFP, les négociations actuelles ont plusieurs particularités. Au moment de négocier un CFP, chaque État a une logique de retour net : les États bénéficiaires de la politique de cohésion regardent les critères de cette politique, ceux bénéficiaires de la PAC se penchent sur l'enveloppe prévue...Nous ne sommes pas dans une logique de ce type car les lignes d'augmentation budgétaire présentées par la Commission concernent des priorités européennes qui dépassent les intérêts nationaux particuliers (soutien à l'Ukraine, plan NGEU, enjeu européen de l'immigration...). La dynamique de négociation en est changée. De manière générale, les États ont accueilli fraîchement le volume des augmentations demandées par la Commission, et les discussions devraient s'orienter sur les augmentations par rubrique.
La France continue de soutenir le principe d'une TTF au niveau européen sur le modèle de ce qui a été fait en France. Malheureusement la Commission n'a pas fait de proposition en ce sens. Elle a privilégié la simplicité et la rapidité de mise en oeuvre en proposant des textes qu'elle pensait pouvoir aboutir d'ici 2028. À l'heure actuelle, il n'y a effectivement pas de soutien suffisant parmi les États membres pour la mise en place d'une TTF même sous la forme d'une coopération renforcée.
Je partage votre analyse : la question des ressources propres est en effet un serpent de mer. Les négociations ont un côté répétitif, la Commission proposant inlassablement la création de nouvelles ressources, toujours soutenue par la France et par le Parlement européen mais toujours bloquée par les autres États. Ces ressources propres doivent en effet servir un projet nouveau et pas seulement rembourser l'emprunt. Elles doivent financer d'autres politiques européennes : une partie doit également financer le Fonds social climat qui s'inscrit dans une logique d'accompagnement des États membres vers la transition énergétique et climatique. Une nouvelle ressource propre constitue, il est vrai, un nouvel impôt, qui doit être juste et utile pour l'ensemble de l'Union. Quoiqu'il en soit, il y a bel et bien un projet politique derrière la création de nouvelles ressources propres, même si la communication de la Commission met en avant la nécessité de rembourser l'emprunt et l'échéance de 2028.
La Commission a proposé la plateforme STEP pour répondre à l'IRA, poussée par la volonté française de construire une réelle politique industrielle au niveau européen. Néanmoins, cette politique industrielle européenne n'est pas un sujet consensuel au niveau européen, et son financement par le budget de l'Union l'est encore moins. La Commission a publié une étude sur les effets de l'IRA, où elle estime que 580 milliards d'euros sont déjà mobilisés en termes de soutien public via le budget européen, pour des objectifs comparables à l'IRA. La problématique ne serait pas tant le volume du soutien public - les montants européens et américains étant comparables - mais concernerait davantage la facilité et la simplicité d'accès pour les entreprises. Aux Etats-Unis, le système de crédit d'impôts est facilitant pour les entreprises quand l'accès au financement européen reste complexe pour les acteurs privés.
Dans une logique de rapidité, la France a fait le choix de répondre nationalement par la loi Industrie verte, par le crédit d'impôt qui y est associé ou par les financements utilisés dans le cadre de France 2030. La question de la réponse européenne à l'IRA est également à l'ordre du jour du Conseil européen d'aujourd'hui, mais le sujet n'est pas consensuel, a fortiori dans le contexte des négociations budgétaires en cours.
Vous avez évoqué la possibilité d'un accord d'ici la fin de l'année, sans mentionner le différend qui oppose la France et l'Allemagne sur la vitesse de diminution de l'endettement des États membres. Je comprends que c'est ce différend qui bloque les évolutions sur le CFP. Hier, Eurostat publiait des chiffres n'incitant pas à l'optimisme. La France est 23e sur 25 au niveau européen en termes de taux d'endettement. Si on s'en tient à la loi de programmation de finances publiques corrigée par le Sénat, avec une baisse de seulement 3,7 point sur le quinquennat, il faudrait 64 ans pour que la France atteigne le niveau d'endettement de l'Allemagne. Peut-on trouver un accord au regard de telles données ?
Il y a, il est vrai, un désaccord franco-allemand sur la réforme de la gouvernance économique. Nous ne suivons pas dans le détail ce sujet, qui est du ressort prioritaire de la direction générale du Trésor. Nous ne percevons pas, à la direction du budget, de lien entre la position de l'Allemagne sur la révision de la CFP et la situation des finances publiques françaises, du moins au niveau des négociations techniques. Cela est peut être différent au niveau politique.
La tenue des élections européennes en juin prochain peut-elle jouer un rôle dans l'accélération ou le ralentissement de la prise de décisions ?
C'est une question à laquelle nous n'avons pas la réponse. La Commission avait annoncé en juin l'objectif d'une révision « chirurgicale » du CFP, pour permettre un accord rapide. Compte tenu de l'ampleur de la révision, du nombre de rubriques concernées et des désaccords entre États membres sur les dépenses administratives, l'objectif d'un accord au Conseil européen d'aujourd'hui n'est pas atteignable. En revanche, il nous semble qu'il ne serait bon pour aucun État membre d'échouer à trouver un accord avant les élections européennes.
Permettez-moi de revenir sur le risque que représentent pour le budget européen les 18 milliards d'euros de prêts à l'Ukraine qui ne sont pas provisionnés.
Les 18 milliards d'euros correspondent à l'assistance macro-financière (AMF+), mise en place l'an passé pour venir en aide en urgence à l'Ukraine en 2023. La facilité Ukraine a vocation à prendre le relais de l'AMF+ en tant qu'instrument de soutien à l'Ukraine.
L'AMF+ est l'outil de financement pour l'année 2023. La Facilité Ukraine prendrait le relais en 2024. Ce sont donc deux instruments qui se relayent dans le temps.
Ils sont provisionnés de manière indirecte par la marge sous plafond des ressources propres du budget européen. Cela signifie que les États membres garantissent ces prêts indirectement en cas de défaut. Ils seront peut-être restructurés par la suite. Certains prêts datent d'avant la guerre puisque l'UE accordait déjà des aides macro-financières à l'Ukraine avant 2022.
L'AMF+ est un prêt très concessionnel avec une période de grâce de 10 ans. La question ne se poserait donc pas à court terme.
33 des 50 milliards d'euros proposés par la Commission seraient en effet sous forme de prêts, dans le même format que les prêts réalisés en 2023 et garantis par le budget européen.
Concernant les ressources propres, à quelle date peut-on espérer un accord et quand tomberait la période de ratification par les parlements nationaux ?
Le scénario le plus probable est qu'il n'y ait pas d'accord sur les ressources propres dans l'immédiat. Un accord rapide est à exclure, les décisions ressources propres ne sont pas rapides par définition. Si un accord en 2027 est trouvé pour respecter la feuille de route à l'horizon 2028, les processus de ratification peuvent être lancés à cette période. Même si le processus de ratification s'achève après la date visée, le texte prévoit une entrée en vigueur rétroactive.
Je vous remercie pour vos éclairages.
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