Intervention de Marie Mercier

Réunion du 14 décembre 2023 à 15h12
Droits de l'enfant — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans l'histoire quelque peu heurtée de la résidence alternée. Je remercie à cet égard notre collègue Élisabeth Doineau, qui nous donne l'occasion de débattre et de nous prononcer sur le sujet.

Consacrée juridiquement en 2002, la résidence alternée constituait en réalité, dès avant cette date, une modalité d'organisation déjà pratiquée par certains parents. Depuis son inscription dans la loi, le recours à la résidence alternée a connu une progression constante : aujourd'hui, selon des données qui m'ont été communiquées par le ministère de la justice, environ 29 % des décisions rendues par les juges aux affaires familiales (JAF) prescrivent un régime de résidence alternée pour les enfants de parents séparés.

À rebours du constat parfois dressé par ses partisans les plus ardents, la résidence alternée ne connaît donc pas un échec, mais croît progressivement, à mesure de son appropriation par les parents.

Si cette pratique demeure minoritaire, c'est notamment en raison du faible nombre de demandes dont elle fait l'objet : la dernière étude complète et actualisée de la direction des affaires civiles et du sceau, qui date de 2012, montrait ainsi que la résidence alternée était peu demandée par les mères, comme par les pères, ce qui aboutissait à un taux général relativement faible.

Malgré cet état de fait, le régime de la résidence alternée fait régulièrement l'objet d'initiatives législatives tendant à renforcer le recours à ce dispositif.

Saisie de ce texte, la commission des lois a tâché de faire œuvre utile, dans un esprit de responsabilité. Ses travaux ont été guidés par deux principes.

Le premier est la volonté de donner corps, dans la stricte mesure du possible, à l'objectif visé dans la proposition de loi, celui d'un renforcement du principe de coparentalité par la poursuite d'une implication aussi équilibrée que possible entre les deux parents dans l'éducation de l'enfant en cas de séparation.

Le second est la préservation à tout prix de l'intérêt de l'enfant, valeur qui innerve le droit de l'autorité parentale – à bon droit, me semble-t-il. Les dernières années ont bien montré combien la structure familiale peut malheureusement se révéler violente et maltraiter les enfants. Dans la conciliation que nous devons opérer entre les divers principes qui irriguent le droit de la famille, celui-ci me paraît toujours devoir primer.

Animée par les principes que je viens d'indiquer, la commission a abouti à une conclusion très claire : l'entretien aussi régulier que possible de relations entre les parents séparés et leur enfant ne saurait s'opérer au prix de l'intérêt de l'enfant. Celui-ci ne se présume pas ; il se constate.

Force est de constater que la résidence alternée ne saurait convenir à l'ensemble des enfants. Néanmoins, notre droit peut être marginalement modifié pour faire apparaître, au travers de dispositions de portée essentiellement interprétative, la pertinence que peut revêtir, pour certains enfants, l'entretien aussi régulier que possible de relations avec leurs deux parents.

En conséquence, guidée par la volonté de la préservation la plus protectrice possible de l'intérêt de l'enfant, la commission a d'abord rejeté les dispositions de l'article 2 tendant à instaurer une présomption d'intérêt de l'enfant à la résidence alternée et liant la compétence du juge dans le choix du mode de résidence de l'enfant.

Convaincue de la nécessité de maintenir une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant, la commission a ainsi estimé qu'il aurait pu être contraire à l'intérêt de l'enfant de systématiser la résidence alternée. Elle a donc fait en sorte que la marge d'appréciation du juge soit aussi étendue que possible.

La commission a néanmoins souhaité renforcer la prise en compte par le juge aux affaires familiales de la pertinence de l'entretien régulier entre les parents séparés et leur enfant.

D'une part, la commission n'a pas considéré que l'article 1er était malvenu, tout en estimant que sa portée juridique était extrêmement limitée. Elle a jugé qu'il viendrait signifier plus clairement aux parents que leurs obligations incluent l'entretien aussi régulier que possible de relations personnelles avec leur enfant.

D'autre part, la commission a très significativement modifié l'article 2 pour que le juge, lorsqu'il se prononce sur un droit de visite et d'hébergement (DVH), c'est-à-dire lorsque la résidence alternée n'a pas été ordonnée, tienne compte de la nécessité d'un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parent et enfant.

Ce faisant, la commission n'a souhaité en rien contraindre le juge ; elle a plutôt cherché à lui envoyer un signal symbolique, lui demandant, sous réserve que cela soit conforme à l'intérêt de l'enfant, qu'il tâche d'octroyer un DVH aussi large que possible.

Enfin, la commission n'a pas vu de difficulté à l'adoption de l'article 3 : si des situations de violences d'un parent à l'égard de l'enfant étaient déjà prises en compte dans les faits, la précision apportée par cet article viendrait utilement le rappeler au juge.

En conclusion, mes chers collègues, je vous propose d'adopter le texte issu des travaux de notre commission, qui me paraît pouvoir recueillir un large assentiment.

Si les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain et s'ils méritent évidemment toute notre attention, il ne faut pas oublier que nous sommes aussi, dans cet hémicycle, le reflet des enfants que nous étions. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion