« Faites-vous confiance à la justice ? » À cette question, une majorité de Français répondent par la négative, si l’on en croit la « République sondagière ». Ainsi, l’idée que les Français se font de notre institution judiciaire est dégradée. Ce constat est naturellement préoccupant, car la justice est l’un des fondements régaliens de l’État. Pourtant, par manque de volonté politique de la part de nos gouvernements successifs ou de constance dans la décision, elle a été malheureusement trop souvent et trop longtemps sacrifiée sur l’autel des choix budgétaires.
Les causes de cette défiance sont multiples et bien connues : des procédures d’instruction qui s’éternisent ou qui sont trop lentes, un manque de proximité de l’institution ou encore une politique pénale jugée souvent incohérente ou trop laxiste. Songez en effet que, chaque année, environ 80 000 peines de prison ne seraient pas exécutées, alors même que la délinquance ne cesse de progresser, puisque le nombre d’homicides augmente de 8 %, celui des coups et blessures volontaires de 15 %, celui des violences sexuelles et des cambriolages de 11 % et celui d’usages de stupéfiants de 13 %.
Les crédits affectés à la mission « Justice » doivent donc être à la hauteur de la situation. Ce budget s’inscrit dans le sillage de la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ). Les autorisations d’engagement augmentent ainsi de plus de 13 %, pour s’établir à 14, 23 milliards d’euros, tandis que les crédits de paiement progressent de 5, 3 %, soit de 503 millions d’euros, par rapport à 2023.
Nous prenons acte de cette augmentation, mais il convient aussi de s’interroger sur sa portée réelle. En effet, ces taux de croissance doivent être comparés avec notre fort taux d’inflation. En euros constants, la hausse est plus modeste. Reconnaissons toutefois que, au cours des quatre dernières années, le budget de la justice a crû de 32 %. Cette évolution est notable. La trajectoire paraît aller dans le bon sens, même si, selon nous, le rythme devrait être parfois plus soutenu.
Quels sont les principaux axes budgétaires de cette mission ?
Le premier consiste à consacrer des moyens humains supplémentaires à la justice.
Il convient de rappeler, à cet égard, que notre justice demeure très largement sous-dotée en moyens humains. Ainsi, dans son rapport publié l’année dernière, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l’Europe dressait un constat peu reluisant : on compte 17, 6 juges et 11 procureurs pour 100 000 habitants au sein des pays du Conseil de l’Europe, contre respectivement 11, 2 et 3 en France. En définitive, le nombre de magistrats professionnels a très peu augmenté depuis un siècle, alors que, dans le même temps, notre pays a vu sa population, donc le nombre de ses justiciables, croître fortement.
Soyons justes : le Gouvernement semble avoir pris conscience de la carence manifeste en moyens humains. La loi précitée de programmation et d’orientation de la justice 2023-2027 prévoit ainsi la création de 10 000 équivalents temps plein. L’année prochaine, 1 661 ETP renforceront nos services judiciaires en magistrats, greffiers ou assistants de justice.
Nous espérons tous que le traitement des contentieux civils et des affaires pénales s’améliorera dans les juridictions, afin que le stock d’affaires se réduise, tout comme les délais d’instruction et de jugement. Il s’agit en effet, nous le savons, de l’un des dysfonctionnements majeurs de la justice. Le chemin sera long toutefois, car nous partons de très loin ; la ligne d’horizon en la matière s’est déjà souvent dérobée au fur et à mesure des budgets et des annonces… À ce sujet, le rapporteur spécial et l’une des rapporteurs pour avis des crédits de la mission « Justice » ont fait part de leur souhait que des indicateurs fiables de performance soient mis en place pour mieux évaluer l’efficacité de l’effort budgétaire.
Le deuxième axe concerne l’accès au droit et à la justice. Après avoir connu un rattrapage de 155 millions d’euros entre 2019 et 2023, le budget des frais de justice connaît une hausse de plus de 20 millions d’euros, soit de presque 3 %, qui seront consacrés pour l’essentiel au financement de l’aide juridictionnelle. Cette enveloppe ne semble pas toujours bien dimensionnée. En 2022, en raison de la consommation des crédits, il a fallu procéder à un dégel de la réserve de précaution et à des redéploiements budgétaires. Une évaluation et un meilleur pilotage des crédits en la matière s’avéreraient donc opportuns.
Le troisième axe est celui de la modernisation du service public pénitentiaire.
La tâche, en ce domaine, est immense, tant la surpopulation carcérale est préoccupante. En septembre 2023, les prisons françaises accueillaient 73 993 détenus pour 60 000 places disponibles. Le taux d’occupation des maisons d’arrêt est de 143 %. Voilà longtemps, donc, que la cote d’alerte est dépassée ! Comment peut-on imaginer appliquer une politique ferme en matière d’exécution des peines, quand les prisons atteignent un tel niveau de surcharge ? Comment, dans ces conditions, est-il possible de respecter la dignité humaine à laquelle chaque détenu a droit, quelle qu’ait été sa faute ?
Notre pays, « patrie des droits de l’homme » selon la formule consacrée, ne peut être indifférent aux conditions de détention existant dans ses prisons. Dans ce contexte de surpopulation, les dépenses immobilières de l’administration pénitentiaire s’élèveront à 713 millions d’euros en autorisations d’engagement, en baisse de 7, 6 % par rapport à cette année.
Il semble que de nouveaux retards aient été enregistrés dans les programmes immobiliers du plan Prison, notamment en raison des difficultés à trouver des emprises foncières et à obtenir les autorisations d’urbanisme indispensables pour l’accueil des centres. On peut comprendre ces difficultés, monsieur le garde des sceaux, mais elles sont toujours invoquées…
Rappelons que 7 000 places supplémentaires auraient déjà dû être livrées, si j’en crois le programme d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2017