Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nos concitoyens ont en matière de justice des attentes fortes et légitimes, qui sont parfois déçues.
Il nous revient d’y répondre sérieusement et sans démagogie, sans tomber dans les mêmes travers que ce sénateur du Rassemblement national – il nous a du reste quittés depuis son intervention – qui nous expliquait, il y a quelques instants, que son parti était du côté non pas des délinquants mais des victimes, alors que le Rassemblement national est le parti le plus condamné de France et qu’il y a cinq jours à peine, une adjointe au maire RN de Fréjus a été accusée d’avoir volé le téléphone portable d’une caissière de supermarché. Cela nous invite à relativiser – c’est le moins que l’on puisse dire – les propos tenus devant la Haute Assemblée…
Nombre de nos concitoyens ont donc des attentes importantes en matière de justice et, si celles-ci sont parfois déçues, cela est dû à un sous-investissement budgétaire chronique du service public de la justice.
Notre justice est devenue lente et elle n’a pas toujours les moyens de fonctionner correctement. Les acteurs de la justice en sont conscients. Leur souffrance au travail est du reste manifeste. Elle s’exprime très régulièrement, y compris récemment au travers de mouvements sociaux massifs.
Si le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky salue les efforts budgétaires substantiels portés par ce texte, la réponse reste cependant à ses yeux insuffisante face aux difficultés structurelles de notre justice.
Le budget que la France alloue à sa justice est parmi l’un des moins élevés d’Europe, même s’il augmente. Quand la France dépense 73 euros par an et par habitant pour sa justice, l’Italie en dépense 82, l’Espagne 88 et l’Allemagne 141, soit deux fois plus. Pour ce qui est du nombre de juges, la France n’en compte que 11 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est deux fois plus élevée. Il en va de même pour les greffiers, qui portent notre justice à bout de bras et qui sont seulement 35 pour 100 000 habitants en France, contre en moyenne 56 pour 100 000 habitants en Europe.
En tant que parlementaires, notre rôle ne consiste pas seulement à saluer les hausses de crédits prévues par ce texte, mes chers collègues. S’il convient certes de le faire, il nous revient aussi d’évaluer les arbitrages budgétaires en les confrontant aux besoins du service public de la justice. Or ces derniers demeurent substantiels.
Nos magistrats exercent leurs fonctions dans des conditions difficiles. Ils sont souvent confrontés à une justice chronométrée, dépourvue d’écoute, et à un ministère qui ne respecte pas le droit européen ni les normes élémentaires de temps de travail. Depuis la publication de l’« Appel des 3 000 », la souffrance des magistrats n’est plus un tabou. La cause de leur surmenage est bien connue : comme cela a été évoqué, la France compte seulement 9 000 magistrats, alors qu’il en faudrait bien davantage pour atteindre les standards européens.
Le justiciable est la victime collatérale de ces multiples abandons, avec des délais qui s’allongent, des requérants non écoutés et des juges confrontés à des choix difficiles.
En ce qui concerne le volet pénitentiaire, les arbitrages budgétaires actuels ne permettent pas de redonner tout son sens à la peine. Les orientations prioritaires devraient être la lutte contre les conditions indignes de rétention – ma collègue Mélanie Vogel l’a indiqué –, la prévention de la récidive et la promotion de la réinsertion.
Je rappelle que la surpopulation carcérale atteint un niveau sans précédent en France. En juillet, notre pays a de nouveau été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le taux d’occupation moyen de nos prisons s’établit à 146 %, et plusieurs établissements ont un taux d’occupation de 200 %, si bien que plus de 3 000 détenus dorment tous les soirs sur un matelas à même le sol. Cette surpopulation carcérale a des conséquences dévastatrices et en cascade. Elle prive les détenus de perspectives de réinsertion.
Nous pensons que les peines alternatives à l’incarcération, les aménagements de peine et les mesures de réinsertion nécessitent des investissements plus significatifs, alors que les crédits alloués à ces dispositifs dans le présent budget stagnent. Les peines alternatives ne sont pas pleinement exploitées. Seule la moitié des places des dispositifs de placement à l’extérieur sont occupées, et les crédits alloués à l’insertion professionnelle des détenus sont pour leur part bien trop faibles, puisque seulement 7 % des détenus bénéficient d’une formation, contre 9 % en 2021.
La justice restaurative, essentielle pour réduire la récidive, ne bénéficie par ailleurs d’aucune majoration budgétaire. Des exemples étrangers comme celui du Québec démontrent pourtant le succès de tels programmes.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous ne voterons pas les crédits de cette mission. Tout en saluant leur augmentation, nous estimons en effet qu’elle ne va pas assez loin.