Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’une question délicate et complexe, celle de la coparentalité et, plus particulièrement, de la résidence alternée des enfants de parents séparés.
Je tiens à saluer l’initiative de la sénatrice Élisabeth Doineau, qui a eu le courage de s’attaquer à cette question. Celle-ci est au cœur même des relations familiales et touche à l’intimité la plus profonde des individus, dans le contexte ô combien difficile de la séparation parentale.
Aussi est-il crucial d’aborder cette matière avec la plus grande prudence, car nous sommes amenés à manipuler des équilibres fragiles, déterminants pour l’intérêt supérieur de l’enfant.
En dépit de la volonté claire du législateur de favoriser, dans cet esprit, le recours à la garde alternée, les chiffres témoignent d’une réalité différente. Selon l’Insee, en France, seuls 12 % des enfants de parents séparés bénéficieraient de la résidence alternée.
La France figurerait ainsi parmi les pays d’Europe ayant le plus faible taux de résidence alternée, loin derrière la Belgique, l’Espagne, la Norvège, le Danemark ou encore la Suède, qui ont fait de la résidence alternée la norme, avec des taux parfois proches de 50 %.
Parmi les obstacles à la généralisation de la résidence alternée, les pratiques judiciaires jouent un rôle crucial.
Ainsi, lorsque la mère s’oppose à cette solution, la demande formulée par le père est accordée uniquement dans 25 % à 40 % des cas. Cette incertitude judiciaire alimente la crainte légitime d’un aléa dépendant non seulement du tribunal saisi, mais aussi du juge chargé de l’affaire.
Cette situation peut nourrir le sentiment que notre institution judiciaire serait, en matière familiale, encore influencée par des dogmes et des biais cognitifs allant à rebours de l’idéal égalitaire auquel aspire notre société.
Outre les atteintes que cette situation peut porter à la confiance de nos citoyens en l’institution judiciaire, il n’est pas certain qu’elle serve, en définitive, l’intérêt de l’enfant.
L’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant et la consécration du droit de l’enfant de vivre, d’être éduqué et aimé par ses deux parents en maintenant les liens parentaux, y compris après une séparation, plaide en faveur du développement de la résidence alternée. Ce droit sous-entend que l’accès à ses deux parents serait, pour l’enfant, un déterminant de son bien-être et de son bon développement.
Ainsi, la présente proposition de loi vise précisément à favoriser la résidence alternée, lorsque cela est envisageable, et, à défaut, à promouvoir un temps parental aussi équilibré que possible.
Le texte initial prévoyait un régime de présomption simple qui n’affranchissait cependant pas le juge de tenir compte de la diversité des situations familiales afin de préserver sa marge d’appréciation. Plutôt qu’une présomption légale, il a été décidé, lors de l’examen en commission, d’inciter le juge à prendre en considération l’obligation du parent d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec son enfant, afin de favoriser la mise en place d’un droit de visite et d’hébergement élargi. Si l’article 1er venait à être supprimé, comme le propose l’une de nos collègues, le texte serait alors vidé de sa substance.
Alors que notre société aspire à raison à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, et que ces derniers sont encouragés à davantage assumer leur rôle dans la parentalité, ce texte fixe un objectif légitime et cohérent avec le souhait de nombreux parents de vivre pleinement leur parentalité, au-delà même de leur séparation.
J’entends les craintes quant à la préservation de l’intérêt de l’enfant et au danger qui consisterait à faire primer sur celui-ci un droit des parents, mais c’est justement au juge de veiller à concilier au mieux ces intérêts, et ce texte l’y invite.
Au regard des enjeux et de la complexité du sujet, le groupe RDPI adoptera une position de liberté de vote. Pour ma part, je suis et reste personnellement attachée à ce texte et j’espère que son chemin législatif permettra d’aboutir à une évolution courageuse, synonyme de progrès.