Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis pour la nouvelle lecture de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants.
Nous sommes pleinement conscients que le recours toujours accru aux réseaux sociaux entraîne une numérisation exponentielle de notre société. Ainsi sommes-nous, toutes et tous, susceptibles de nous retrouver exposés numériquement, volontairement ou involontairement.
Lorsque l’exposition est consentie, elle ne soulève aucune difficulté de principe. En revanche, quand elle ne l’est pas, des mécanismes doivent protéger les victimes, en particulier les mineurs, qui, en raison de la vulnérabilité et de la fragilité de leur statut, méritent toute l’attention du législateur et l’engagement résolu des pouvoirs publics.
Dans ce domaine, le dernier texte porté par un exécutif date de 2016 ; il a été examiné sous la présidence de François Hollande, sur l’initiative d’Axelle Lemaire, alors secrétaire d’État chargée du numérique. Ces travaux avaient abouti à l’adoption de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui a permis la dernière grande avancée pour les enfants dans ce domaine, à savoir une amélioration substantielle du droit à l’oubli des mineurs sur internet.
Depuis 2016, le cyberenvironnement a beaucoup évolué, accompagnant, voire précédant les mutations de notre société. Dans un rapport de 2018, le commissaire à l’enfance pour l’Angleterre indiquait – c’est dire l’ampleur du phénomène – qu’un enfant apparaît en moyenne, avant l’âge de 13 ans, sur 1 300 photographies publiées en ligne sur ses propres comptes, sur ceux de ses parents ou sur ceux de ses proches.
Si poster des photos d’enfants sur les réseaux sociaux peut sembler anodin au premier abord, la situation devient plus grave lorsque ces images sont utilisées à des fins sordides.
Aux États-Unis, selon le Centre national des enfants disparus et exploités, la moitié des photographies d’enfants s’échangeant sur les réseaux pédophiles et pédopornographiques ont initialement été postées sur internet par leurs parents ou leurs proches.
Ces publications, innocentes dans leur intention, peuvent ainsi être détournées, mais aussi donner lieu à des pratiques de cyberharcèlement.
Face à ces dangers aux multiples facettes, nous devons nous interroger sur la pertinence, l’utilité et même l’efficacité du texte que nous étudions aujourd’hui en nouvelle lecture.
La portée normative de cette proposition de loi est somme toute limitée. Le texte, adopté par deux fois par l’Assemblée nationale, possède les atours d’une proposition de loi déclarative visant à sensibiliser l’opinion, notamment les parents, aux risques auxquels sont exposés les enfants faisant l’objet de publications sur internet.
Son auteur, le député Bruno Studer, l’a lui-même décrite comme un texte « de pédagogie à destination des parents ».
Au sein de mon groupe, nous avons noté les efforts de Mme la rapporteure – je salue au passage Valérie Boyer, qui fut rapporteure de cette proposition de loi lors de son examen en première lecture. Nous avons relevé et apprécié les apports de nos deux rapporteures successives pour amender le texte dans un esprit de consensus avec nos collègues de l’Assemblée nationale.
Aussi ne sommes-nous pas réfractaires aux nouvelles rédactions proposées pour les articles 2 et 3, visant tous deux à renforcer l’obligation des parents de protéger conjointement le droit à l’image de leur enfant.
La suppression de l’article 1er nous semble également aller dans la bonne direction, ses dispositions étant déjà incluses, implicitement, dans l’article 371–1 du code civil.
Nous demeurons en revanche plutôt défavorables à la suppression de l’article 4 de cette proposition de loi. Son dispositif ayant été encadré par l’Assemblée nationale, celui-ci n’aurait concerné que de rares affaires, et il aurait pu trouver sa place au sein de notre arsenal législatif.
Enfin, l’usage du référé dans le cadre de l’article 5 nous paraît toujours peu adapté à des situations ne présentant pas un caractère urgent et imminent. Nous notons toutefois que la rédaction de cette disposition a évolué à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle rédaction est davantage susceptible de nous convenir, même si nous restons vigilants quant à sa portée.
Ces réserves étant exprimées, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de cette proposition de loi.
Oui, cette proposition de loi est parcellaire. Oui, elle est lacunaire. Oui, son champ d’application est extrêmement restreint dès lors que l’on considère la thématique qu’elle souhaite traiter dans sa globalité, son exhaustivité et sa transversalité.
Cette proposition de loi a toutefois le mérite de mettre en lumière les risques liés à l’univers numérique, en particulier pour les enfants, au XXIe siècle.
Formons le vœu qu’elle permette d’ouvrir de nouveaux débats en la matière et espérons que, cette fois, ce sera le Gouvernement qui en prendra l’initiative. Cela est d’autant plus nécessaire et urgent que – nous le savons toutes et tous – ce n’est pas parce que nous faisons évoluer notre législation pour doter les citoyens de nouveaux droits que ces derniers sont aisés à mettre en œuvre.
Convaincre les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) de modérer leurs contenus et de retirer ceux qui sont attentatoires à la dignité humaine, discriminent ou incitent à la haine ou à la violence, relève d’un véritable parcours du combattant.
Convaincre les Gafam de respecter et d’appliquer les droits des citoyens, tels que le droit à l’oubli, reste un immense chantier qu’aucun gouvernement, aucun État ne semble avoir sérieusement entrepris à ce jour.
Mais ce n’est pas parce que la tâche est difficile qu’il faut renoncer à s’y attaquer. Je vous engage à entreprendre sans tarder ce lourd et difficile chantier, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d’État. Vous nous trouverez naturellement à vos côtés.