Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la menace que représentent les dérives thérapeutiques et sectaires se diversifie, notamment à la faveur d’évolutions profondes de notre société, de son approche vis-à-vis du soin, des difficultés auxquelles fait face notre système de santé, ou encore du développement des communications numériques.
En effet, on constate que les Français ont massivement adopté les pratiques dites « non conventionnelles » en santé, aussi désignées sous le terme de PNCS.
Ainsi, 70 % de nos concitoyens ont une image positive de ces pratiques selon un sondage Odoxa publié en mai dernier, alors qu’en parallèle le nombre de signalements et de demandes d’avis à la Miviludes concernant les médecines complémentaires et alternatives est passé de 214 en 2015 à 892 en 2021, comme l’indique l’étude d’impact du présent projet de loi.
C’est de ce constat que Sabrina Agresti-Roubache et moi-même sommes parties pour fixer un objectif que je pense partagé par un bon nombre d’entre vous : mieux encadrer ces pratiques et renforcer notre arsenal pour réprimer les dérives les plus dangereuses.
Pour mieux encadrer ces pratiques – c’est l’occasion pour moi de souligner que le Gouvernement ne s’est évidemment pas contenté de mobiliser des leviers de répression pénale –, j’ai mis en place, le 28 juin dernier, un comité d’appui à l’encadrement des PNCS.
Composé de tous les acteurs institutionnels de la santé, notamment des ordres et des fédérations d’établissement, et ouvert à la société civile, puisqu’y participent des associations de victimes et des universitaires, ce comité travaille depuis bientôt six mois et commence déjà à produire ce qui servira demain de fondement à une meilleure information des patients sur ces pratiques, à une meilleure évaluation et à une véritable formation des professionnels.
Ce matin même, à l’occasion d’une nouvelle session, ce comité a notamment élaboré tout un programme de travail pour l’année 2024 et a formulé des propositions en vue de la mise en place d’un outil d’information au public sur les comportements déviants de certains praticiens, ces comportements qui doivent les alerter et les pousser à faire un signalement.
Au-delà de ces travaux, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un débat sur notre arsenal pénal pour lutter contre les dérives les plus dangereuses. En effet, trop souvent, des gourous continuent de tenir des discours qui sont autant de risques concrets pour celles et ceux qui les écoutent.
Tous les professionnels de santé l’affirment : ils sont trop nombreux à s’être sentis impuissants face à des patients ayant suivi les conseils irresponsables de charlatans, les entraînant vers le pire.
C’est cette logique qui a prévalu à l’élaboration du présent projet de loi et, en particulier, des articles 4 et 5 du texte initial.
L’article 4, supprimé par votre commission, visait à réprimer, dans certains cas bien précis sur lesquels je reviendrai, la provocation à s’abstenir de suivre un traitement. J’entends les critiques qui ont pu être formulées à ce sujet, mais laissez-moi exprimer à nouveau mon désaccord.
Certains ont expliqué que cet article n’était pas nécessaire au regard des incriminations existantes, notamment le délit d’exercice illégal de la médecine. Permettez-moi de rappeler que ce délit ne concerne que les cas de colloque singulier, c’est-à-dire de relation individualisée, et que la jurisprudence l’a qualifié de « délit d’habitude », imposant donc la réitération des faits pour qu’il soit caractérisé.
Ainsi, tous les discours tenus dans le cadre d’un collectif dirigé par un gourou ou diffusés en ligne se situent le plus souvent en dehors du champ de cette incrimination. De plus, certains médecins déviants échappent eux aussi à cette qualification en raison de leur situation régulière d’exercice.
L’article 4, tel que le Gouvernement l’avait rédigé, représentait donc une véritable plus-value.
Ensuite, nombreux sont ceux qui ont présenté cet article comme attentatoire à la liberté d’expression, ou qui l’ont résumé à une condamnation de tout propos qui s’éloignerait d’un prétendu discours scientifique officiel.
Je rappelle que la rédaction proposée introduit quatre critères cumulatifs pour la caractérisation de l’incrimination mentionnée au premier alinéa, veillant ainsi à ne pas porter atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’expression : il faut que les personnes visées soient atteintes d’une pathologie, que l’abandon du traitement soit présenté comme bénéfique pour la santé, que les conséquences pour la santé soient graves et que le risque pour la santé soit avéré au regard des connaissances médicales.
La portée de cette nouvelle incrimination est donc circonscrite aux discours présentant un danger concret ; celle-ci ne saurait être considérée comme une interdiction, dans l’absolu, de toute critique envers des traitements recommandés ou comme un obstacle à la controverse scientifique.
En ce sens, le Gouvernement, encouragé dans sa démarche par l’ensemble des ordres professionnels de santé, présentera un amendement tendant à réintroduire l’article 4.
L’article 5 vise, quant à lui, à systématiser la transmission des informations aux ordres professionnels par les parquets lorsqu’un professionnel de santé est condamné ou placé sous contrôle judiciaire pour des faits caractéristiques d’une dérive sectaire.
L’objectif de cette mesure est notamment de faciliter les procédures disciplinaires des ordres, et ce au bénéfice d’une meilleure protection des patients, alors que les ordres ne sont souvent informés qu’à l’issue des procédures en appel, après de longs mois au cours desquels la menace qui pesait sur des patients a continué de s’exercer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue qu’il est nécessaire de se doter de nouveaux outils de politique pénale pour faire face à une menace d’un genre nouveau, qui constitue un danger concret pour les patients.
Je vous prie de croire que le Gouvernement a travaillé dans un esprit de responsabilité à la rédaction de dispositions exigeantes, dans le souci de ne pas porter atteinte aux droits et libertés fondamentales de façon disproportionnée au regard de l’objectif de santé publique visé.
Je sais que nous partageons cette ambition : alors, travaillons ensemble dans l’intérêt des patients !