Intervention de Lauriane JOSENDE

Réunion du 19 décembre 2023 à 14h30
Lutte contre les dérives sectaires — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Lauriane JOSENDELauriane JOSENDE :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, issu des assises organisées au mois de mars dernier, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires procède d’une intention louable qui doit tous nous mobiliser : lutter efficacement contre les dérives sectaires, dont la multiplication et la diversité doivent nous interroger collectivement.

Ce projet de loi marque un regain d’intérêt bienvenu pour la lutte contre les dérives sectaires, après des années de relatif désengagement.

Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a aujourd’hui dix ans, une période au cours de laquelle il n’a été suivi de presque aucun effet. Au contraire, ces dix années ont été celles d’une remise en cause de la Miviludes et de son fonctionnement.

Ce projet de loi est présenté comme une réponse aux nouveaux visages des dérives sectaires, que l’arsenal pénal existant peinerait à appréhender, en particulier dans le domaine de la santé.

En effet, l’ensemble des acteurs s’accordent à décrire deux évolutions majeures : d’une part, on assiste au développement des moyens électroniques de communication et des réseaux sociaux ; d’autre part, des polémiques ont éclaté autour de l’épidémie de covid-19, ce qui a provoqué une remise en cause du discours des autorités publiques en matière de santé, ainsi que des données scientifiques concernant les caractéristiques des pathologies, l’efficacité des traitements et leurs risques.

Toutefois, au lieu de procéder à une évaluation approfondie de l’arsenal pénal existant et de s’interroger sur les causes de l’émergence de nouvelles formes de dérives sectaires, le Gouvernement a considéré que les assises organisées au mois de mars dernier appelaient une réponse législative centrée, non pas sur un renforcement des moyens de la justice ou sur une meilleure formation des professionnels, ni même sur une véritable politique de prévention, d’éducation et de sensibilisation, mais sur la création de nouvelles dispositions répressives.

À l’issue des auditions de l’ensemble des acteurs impliqués dans cette lutte, ma conviction se trouve renforcée sur un point : il convient avant tout d’appliquer les lois existantes et de renforcer les moyens budgétaires et humains pour agir concrètement et pratiquement contre les dérives sectaires.

En conséquence, si nous ne pouvons qu’approuver les objectifs du Gouvernement, je vous propose, comme la commission des lois en est convenue, d’aborder l’examen de ses propositions avec pragmatisme, dans le souci de favoriser des solutions opérationnelles et inscrites dans la durée, plutôt que de nous contenter d’effets d’annonce et de solutions de façade pour affronter des problèmes malheureusement trop réels.

Juridiquement, le contenu de ce projet de loi n’apparaît pas à la hauteur des enjeux.

Je regrette en particulier que le Gouvernement ait tenu à maintenir certaines dispositions en dépit de l’avis négatif du Conseil d’État, qui a estimé, selon les cas, qu’il n’était pas nécessaire de légiférer ou que certaines dispositions pourraient être considérées comme inconstitutionnelles.

Il me semble que la gravité du sujet, ainsi que les difficultés que nous rencontrons pour combattre des acteurs parfois très organisés et disposant d’importants moyens, doivent nous inciter à la plus grande responsabilité et, avant tout, à une vigilance particulière.

Depuis la loi About-Picard, le Sénat a toujours fait preuve de constance sur ce point : il n’est ni envisageable de proposer de fausses solutions aux victimes ni souhaitable de légiférer sans que la nécessité de le faire soit avérée, au risque de fragiliser tout l’arsenal pénal existant.

Il convient également de veiller aux effets de bord de règles que l’on nous dit destinées à lutter contre les dérives sectaires, mais qui auront en fait une portée générale.

La commission des lois a, en conséquence, décidé de supprimer les articles 1er, 2 et 4 du projet de loi.

L’article 1er doublait en effet les infractions existantes et risquait de créer une confusion dommageable dans l’application du droit pénal, notamment s’agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.

L’article 2 en tirait les conséquences en créant, en miroir de la circonstance aggravante d’abus de vulnérabilité, une circonstance aggravante de mise sous sujétion pour les infractions les plus graves.

L’article 4 visait enfin à réprimer les provocations à l’abstention ou à l’arrêt d’un traitement susceptibles de porter gravement atteinte à la santé d’une personne, que cette provocation ait été ou non suivie d’effet.

Bien que restreint dans sa portée depuis les sévères critiques du Conseil d’État, cet article demeurait attentatoire aux libertés, sans pour autant garantir une grande efficacité contre l’essor du discours en faveur des dérives sectaires. Nous finirions paradoxalement par desservir la cause que nous prétendons défendre si nous laissions les tenants de ces dérives se draper dans le manteau des libertés.

D’autres dispositions proposées par le Gouvernement nous semblent en revanche aller dans le bon sens. C’est pourquoi nous nous sommes attachés, en commission des lois, à en renforcer la solidité juridique.

Je pense à l’article 3, qui vise à rendre plus aisée la faculté donnée aux associations de se porter partie civile, en substituant à la nécessité d’une reconnaissance d’utilité publique un nouveau mécanisme d’agrément plus souple. Cette mesure exprime une reconnaissance du rôle indispensable joué par les associations de défense de victimes aux côtés de la Miviludes.

De la même manière, l’article 5 renforce l’information des ordres professionnels, au premier rang desquels l’ordre des médecins, sur les décisions judiciaires prises à l’encontre de leurs membres pour des agissements impliquant des dérives sectaires en lien avec leur exercice professionnel. J’y vois une avancée qui éclairera les décisions ordinales dès lors qu’une condamnation ou un contrôle judiciaire en lien avec l’exercice médical aura été prononcé.

Enfin, l’article 6 prévoit de confier à la Miviludes le rôle nouveau d’amicus curiae, pour faciliter son intervention en tant qu’expert dans les procès.

Par ailleurs, la commission des lois a considéré que ce texte nous donnait l’occasion de mettre en œuvre les recommandations des rapports parlementaires ayant fait date, particulièrement celles du rapport de la commission d’enquête sénatoriale de 2013.

Nous avons tout d’abord voulu doter la Miviludes d’un statut législatif, ce qui permettra enfin d’inscrire cette mission dans la durée et de conforter sa vocation interministérielle, qui est actuellement très paradoxale pour un organisme rattaché à un service du ministère de l’intérieur. En outre, ce statut protégera son président, ainsi que les personnes qui lui adressent des signalements contre les procédures abusives.

Ensuite, je n’ai pu que m’étonner de l’absence, dans le texte du Gouvernement, de dispositions réprimant les nouveaux modes opératoires des auteurs d’infractions en lien avec les dérives sectaires, et ce malgré les récentes évolutions du droit pénal en matière de répression des infractions commises en ligne.

En conséquence, nous avons introduit dans le texte de nouvelles mesures renforçant la répression des délits d’exercice illégal de la médecine, de pratique commerciale trompeuse et d’abus de faiblesse, dès lors qu’ils sont commis en ligne ou au moyen de supports numériques ou électroniques.

En outre, j’ai apporté un soin particulier à la prise en compte de la situation spécifique des mineurs victimes de dérives sectaires, en prévoyant que le délai de prescription ne courra qu’à partir de leur majorité, et en renforçant les sanctions applicables au placement d’un enfant dans une situation d’isolement social. Je souhaite remercier sur ce point Nathalie Delattre avec qui j’ai travaillé sur ce sujet tristement d’actualité.

Enfin, il me semble que certains amendements déposés par nos collègues de toutes sensibilités politiques pourraient utilement compléter la version sénatoriale de ce projet de loi.

Je pense en particulier aux amendements de François Bonneau, Corinne Imbert et Martine Berthet relatifs à l’exercice illégal de la pharmacie et de la biologie en ligne, mais également aux amendements de Guy Benarroche sur le maillage territorial des acteurs de lutte contre les dérives sectaires. J’émettrai en conséquence un avis favorable sur ces amendements.

Pour conclure, il me semble que nous ferons œuvre utile si nous parvenons à ne pas donner l’illusion de créer ce qui existe déjà, si nous évitons par conséquent de faire moins bien et de contribuer à la confusion des normes et si, en revanche, nous conduisons un travail législatif réfléchi et transpartisan jusqu’à son terme.

Je vous propose en conséquence d’adopter ce texte, largement complété par la commission des lois et expurgé de ses principales fragilités juridiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion