Intervention de Sylviane Noël

Réunion du 19 décembre 2023 à 21h45
Lutte contre les dérives sectaires — Discussion générale

Photo de Sylviane NoëlSylviane Noël :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours seulement des fêtes de Noël, ce projet de loi relatif à la lutte contre les dérives sectaires aurait presque pu passer inaperçu, tant son titre et l’objectif qu’il prétend se donner peuvent paraître consensuels.

En effet, vous ne trouverez – je pense – personne dans cet hémicycle qui puisse s’opposer d’une quelconque manière à la lutte contre les véritables dérives sectaires, incarnées par les marabouts et manipulateurs en tout genre qui abusent de façon malveillante de la faiblesse ou de la détresse de certains.

La perversité de ce texte réside dans le fait qu’il mélange volontairement les genres, en traitant à la fois des dérives sectaires et du débat scientifique, au travers notamment de son article 4.

Ledit article prévoit que sera punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique ».

Que recouvre cette notion de « provocation à s’abstenir de suivre » ? Et que signifient les mots « en l’état des connaissances médicales » ? De quelles connaissances médicales s’agit-il ? Celles des laboratoires pharmaceutiques, alors même que la balance bénéfice-risque peut varier largement dans le temps ?

Rappelons-nous des péripéties du vaccin AstraZeneca, d’abord recommandé pour tous malgré les mises en garde de certaines voix dissonantes, avant d’être réservé à certaines catégories, puis finalement complètement retiré. On voit au travers de cet exemple toute la difficulté qu’il y a à demander au juge pénal de condamner les prises de position scientifiques : ce qui apparaît vrai scientifiquement aujourd’hui peut ne plus l’être demain !

Cette notion d’état des connaissances médicales est beaucoup trop vague et sujette à interprétation. Elle peut ainsi conduire à qualifier de dérive sectaire toute opposition personnelle à un traitement médical, quels que soient le contexte et les motivations personnelles.

Inversement, des pratiques médicales complémentaires, dont un grand nombre sont officiellement reconnues dans d’autres pays, pourraient être non seulement discréditées, mais aussi criminalisées. Le syndicat des médecins libéraux s’est d’ailleurs ému des risques de dérives graves que pourrait entraîner l’adoption de ce texte.

Et que dire de tous les lanceurs d’alerte, dont la vigilance et la ténacité ont pourtant permis de dénoncer des scandales sanitaires qui ont émaillé l’histoire de notre pays et de stopper des prescriptions thérapeutiques délétères pour la santé de nos concitoyens ?

Distilbène, Mediator, Vioxx, Dépakine, statines, Levothyrox, prothèses mammaires PIP : tous ces scandales ont été révélés par des patients victimes ou par leurs familles. Auraient-ils eu le courage de lancer l’alerte devant la menace d’un emprisonnement ou d’une peine d’amende ? Rien n’est moins sûr…

Qui, en dehors du médecin et de son patient, peut décider qu’un traitement est manifestement susceptible d’entraîner des conséquences graves pour la santé physique ou mentale des personnes concernées ? Quelle sera la prochaine étape ? Renoncer au secret médical ? Où placerez-vous la limite ?

Au travers de ce texte, c’est le retour en force de l’État « nounou », qui décide pour nous de ce qui est vrai ou faux, de ce qui est bon ou pas pour notre santé et même de ce qui peut ou ne peut pas être dit.

Les citoyens sont-ils trop stupides pour ne pas être capables de se forger une opinion par eux-mêmes, en étudiant les arguments avancés par des personnes de points de vue différents ?

Cela n’a pas échappé au Conseil d’État, qui considère que « ni la nécessité ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées ». Je salue également la clairvoyance de notre rapporteure Lauriane Josende, que je tiens à féliciter pour la rigueur de son analyse, sur l’initiative de laquelle l’article 4 ainsi que d’autres dispositions plus que discutables ont été purement et simplement supprimés.

Madame la secrétaire d’État, est-ce une façon pour le Gouvernement de cadenasser le débat scientifique ? De quoi avez-vous peur ?

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