Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en décembre 2000, l’émission d’investigation Envoyé spécial présentait un document édifiant, inédit à l’époque, sur la secte menée par Claude Vaurilhon, surnommé Raël. Après les drames de l’Ordre du temple solaire, le grand public découvrait comment s’installait l’emprise d’un gourou aussi fantasque que dangereux sur des adeptes fragilisés et bientôt dépouillés, humainement comme financièrement.
Aujourd’hui, chacun le sait, les dérives sectaires ne s’incarnent plus seulement dans ces groupes mimant des croyances religieuses : le phénomène s’est emparé d’internet, des réseaux sociaux et, plus généralement, de tous les outils du numérique.
Les gourous en ligne fleurissent, cachés derrière des pseudonymes et des discours aux allures de science alternative. Mais les conséquences sont toujours aussi dramatiques pour ceux qui adhèrent à leur parole.
Le groupe du RDSE se préoccupe depuis longtemps déjà des dérives sectaires. Nous avions pris l’initiative, en 2012, d’une commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, dont le rapporteur fut notre ancien collègue Jacques Mézard.
Le rapport qu’il rendit l’année suivante reste extrêmement pertinent ; notons en particulier que certaines de ses recommandations ont été reprises par notre commission des lois. Nous nous en réjouissons.
Toutefois, le fait qu’un rapport datant d’une dizaine d’années soit encore si actuel sonne comme un avertissement préoccupant : j’y vois le signe d’une décennie au cours de laquelle nous avons trop peu agi en la matière.
Vous l’aurez donc compris, notre groupe a accueilli avec enthousiasme ce projet de loi. Cependant, nous déplorons qu’il nous soit présenté en fin d’année, à la suite du marathon budgétaire, nous privant ainsi du temps suffisant pour engager un travail de fond d’ampleur, à la mesure de la problématique.
C’est d’ailleurs une difficulté que vous semblez avoir également rencontrée, mesdames les ministres, avec le Conseil d’État, qui en fait mention dans son avis. Ce texte dont des vies humaines dépendent a été préparé dans un délai contraint ; force est de constater que cela a produit une rédaction approximative. Le sujet méritait mieux !
Il n’en reste pas moins que le texte du Gouvernement comportait des mesures fortes. Je pense aux articles 1er et 2, qui créaient un dispositif répressif protégeant les victimes d’un état de sujétion psychologique ou physique, si cette situation aboutissait à une dégradation grave de leur santé.
Je pense ensuite à l’article 4, par lequel le Gouvernement proposait, certes maladroitement, de réprimer la provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins, ou à l’adoption de pratiques pseudo-thérapeutiques, lorsque ces actions, présentées comme bénéfiques, exposaient les personnes concernées à des risques d’une particulière gravité pour leur santé.
Je regrette que notre commission ait fait le choix de supprimer ces trois articles, alors même que le Conseil d’État, tout en soulignant leurs imperfections rédactionnelles, avait néanmoins affirmé le caractère incontestable de la légitimité de l’objectif recherché.
Je vois cette suppression comme un pas de côté, que notre groupe regrette. Toutefois, je reconnais que la commission n’a pas disposé du temps nécessaire pour faire aboutir ses travaux. À cet égard, je veux saluer le travail de Mme la rapporteure, d’autant que c’est son premier rapport !
Avec modestie, je vous proposerai de rétablir les articles 1er et 2. J’ai en outre cherché à réécrire l’article 4, en introduisant des garde-fous supplémentaires. Le Gouvernement a également déposé un amendement de rétablissement de cet article, dans lequel les contours de l’infraction semblent mieux dessinés.
Certes, ce texte comporte des imperfections. Toutefois, la navette parlementaire pourrait porter ses fruits ; c’est en tout cas ce que nous espérons vivement.
Pour le reste, les apports de la commission nous satisfont. Je pense en particulier à l’article 2 bis, issu d’un amendement que j’avais défendu en commission, aux côtés de Mme la rapporteure, et qui devrait permettre l’allongement du délai de prescription lorsque l’abus de faiblesse est commis sur une victime mineure.
Je pense également à l’inscription dans la loi du statut de la Miviludes, conformément à une recommandation du rapport Mézard. Il est impératif que cette instance soit protégée et renforcée statutairement. Jacqueline Eustache-Brinio et moi-même avions d’ailleurs été alertées sur ce sujet en 2020, dans le cadre de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, que je présidais. Nous avions donc fait de cette mesure notre première proposition.
Ces ajouts à notre droit sont les bienvenus. Par conséquent, même si aucune des dispositions supprimées n’était rétablie, nous voterions malgré tout le texte, mais non sans regret, au regard des enjeux.