Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Défense » nous invite à nous interroger sur le prix et l’effectivité de notre souveraineté.
À cet égard, je souhaite partager avec vous un motif de satisfaction et un motif d’inquiétude.
Le motif de satisfaction réside dans la hausse, à hauteur de 3, 3 milliards d’euros, des crédits proposés, portant ainsi le budget à 47, 2 milliards d’euros, ce qui est strictement conforme à la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM), adoptée l’été dernier après la révision de sa trajectoire par le Sénat.
Le motif d’inquiétude réside dans une charge de la dette supérieure de près de 5 milliards d’euros au budget des armées. Mes chers collègues, quelle peut être la souveraineté d’un pays qui consacre davantage de moyens au remboursement de sa dette qu’à sa défense, alors que, en outre, plus de la moitié de cette dette est détenue par des avoirs étrangers ? Dans un monde qui devient sans cesse plus instable et plus dangereux, il est indispensable de fournir des efforts pour notre sécurité ; nos concitoyens l’ont bien compris. Toutefois, de tels efforts ne sont tenables que si nous savons faire des choix, fussent-ils douloureux. C’est, me semble-t-il, le rôle de la commission des finances que de le rappeler ici solennellement.
Avant de vous livrer mes principales observations sur le budget qui nous est proposé pour 2024, je souhaite dire un mot sur le schéma de fin de gestion pour l’année 2023, qui détermine les conditions d’entrée dans la nouvelle LPM. Malgré les efforts menés pour réduire le report de charge à la fin de l’année 2023, celui-ci s’élèverait encore à 4, 7 milliards d’euros, ce qui grèvera d’emblée l’exécution du budget pour 2024. Cela représente 15 % du budget de la mission, hors masse salariale, soit un dépassement significatif de l’objectif, fixé à 12 %. Force est donc de constater que, d’une certaine façon, nous entrons à crédit dans la nouvelle programmation.
J’en viens au projet de loi de finances pour 2024. Si l’on ne peut que se féliciter de la hausse des crédits que j’ai rappelée, quelques points de vigilance méritent d’être soulignés.
Le plus saillant d’entre eux porte sur les ressources humaines, véritable ombre au tableau de la programmation.
La nouvelle LPM a déjà nettement revu à la baisse l’objectif d’augmentation des effectifs prévu pour 2024 par rapport à la précédente programmation, en réduisant la cible d’augmentation nette du nombre d’ETP de 1 500 à 700. Or voilà que, deux mois à peine après l’adoption de la LPM, le présent projet de loi de finances abaisse encore cette cible, désormais fixée à 400 ETP.
Du reste, l’atteinte de cet objectif, même révisé à la baisse, n’est en rien acquise, les schémas d’emplois étant négatifs depuis 2021. Or une forte sous-réalisation des cibles en matière d’effectifs fragilise considérablement la crédibilité de l’atteinte des objectifs du contrat opérationnel.
À cet égard, la situation du service de santé des armées (SSA) est particulièrement préoccupante et mérite toute notre attention. Comme l’ensemble du monde médical, ce service rencontre de considérables difficultés de recrutement, car, pour chaque opération, le SSA est le premier arrivé et le dernier parti. Or son renforcement constitue la condition sine qua non de la remontée en puissance de nos armées.
Un second point de vigilance concerne les équipements.
Je ne reviens pas sur le regrettable report de 2030 à 2035 de certaines cibles capacitaires, entériné dans la nouvelle LPM.
Indépendamment de cela, malgré la hausse des crédits de la mission, nos armées continuent de faire face à des remises en cause capacitaires pour certains segments. Je pense notamment à la décision, prise en 2021, de prélever pour l’export 24 avions Rafale sur la dotation de l’armée de l’air et de l’espace. Le recomplètement de cette opération, qui ne devrait être achevé qu’en 2027, pèse lourdement sur nos capacités à former nos équipages, sans compter le surcoût d’acquisitions financé sous enveloppe.
Doivent être également soulignés les effets des importantes cessions opérées au profit des forces armées ukrainiennes, qui affectent en particulier notre parc de canons Caesar. Tout doit être mis en œuvre pour que les recomplètements y afférents, cette fois financés par la solidarité interministérielle comme le prévoit la LPM, soient réalisés le plus rapidement possible.
Enfin, monsieur le ministre, je profite de l’occasion qui m’est offerte pour vous interroger sur la décision de classification des indicateurs de performance relatifs à la préparation opérationnelle. Si j’ai été en mesure de les consulter en tant que rapporteur spécial, il ne nous est plus loisible d’en débattre publiquement à compter de cette année.
Je comprends aisément la nécessité de faire preuve de discernement dans ce que nous publions et dévoilons. Néanmoins, cette nouvelle classification frappe, pour l’intégralité des matériels, l’ensemble des indicateurs de disponibilité et d’activité. Je me demande si un meilleur équilibre entre les exigences de la sécurité nationale et celles de la transparence à l’égard des parlementaires et des citoyens n’aurait pas dû être recherché. En effet, la transparence est le gage d’un débat budgétaire de qualité et de l’acceptabilité de l’effort demandé à nos concitoyens.
À l’avenir, il serait opportun que le Gouvernement publie, dans le projet de loi de règlement, le taux d’atteinte des cibles, même sans référence à leur niveau en valeur absolue, afin que le débat puisse s’engager, à tout le moins, sur les résultats du ministère en matière de préparation opérationnelle. Demander plus de crédits à la représentation nationale sans lui permettre d’apprécier la situation ne me paraît pas tenable dans la durée, à l’heure où l’impératif de préparation à la haute intensité se fait de plus en plus pressant.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances est favorable à l’adoption de ces crédits.