Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 17 janvier 2024 à 15h00
Intégrité territoriale de la république d'arménie — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Madame la présidente, mes chers collègues, ce débat, inscrit à l’ordre du jour sur l’initiative de MM. Retailleau et Devinaz, pourrait paraître décalé au vu des négociations qui ont été récemment entamées.

Pourtant, cette avancée diplomatique ne doit pas cacher les tensions qui restent prégnantes dans la région. Le risque d’invasion du sud de l’Arménie ne s’est pas évaporé, et le sort réservé aux intérêts arméniens reste préoccupant. La préservation de la souveraineté nationale de ce petit pays du Caucase doit rester notre priorité.

Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a conduit à la mise en place collective d’instances internationales de régulation permettant en principe de favoriser la résolution pacifique des conflits, y compris territoriaux, voire de la garantir. Quarante ans plus tard, à la fin de la guerre froide, lorsque résonnaient les notes de Bach sur le violoncelle de Rostropovitch à Checkpoint Charlie, l’espoir de l’apaisement nous animait !

Ce moment fut bref. Les tensions ont repris ; à présent, elles prennent une forme extrêmement douloureuse. Depuis quelques années, nous assistons à une escalade délétère. Mes chers collègues, je nous exhorte à ne pas nous y habituer ! Je nous souhaite de toujours porter haut l’étendard de la paix face à une sorte de fatalisme belliqueux.

L’élimination ethnique est, rappelons-le, la forme extrême de violence entre humains. Celle qui a eu lieu en Arménie ne peut être tolérée. La solution monstrueuse qui a été imaginée par l’Empire ottoman doit être dénoncée et l’indolence occidentale lors du génocide arménien de 1915 reconnue.

Cette proposition de résolution permet aussi cela : nommer les choses et mettre en exergue un conflit qui est depuis trop longtemps invisible, qui s’est transformé dans le Haut-Karabagh en épuration ethnique territoriale.

Madame l’ambassadrice, on dit du peuple arménien qu’il est résilient. Souvent, il est comparé à un phénix qui renaît de ses cendres.

Cette image est cependant sujette à caution, dans la mesure où elle nous donnerait trop facilement bonne conscience. En effet, lorsqu’elles ne sont pas sous le feu des médias et que la communauté internationale ne s’élève pas contre elles, les puissances belligérantes, portant souvent une vision impérialiste, peuvent avoir le sentiment que leurs actions se feront en toute impunité.

C’est le cas dans de trop nombreuses régions du monde. Par exemple, les menaces sur Taïwan ou l’instabilité politique au Yémen n’ont pas suscité de grands émois médiatiques ; quant à l’Ukraine, elle s’efface peu à peu de nos informations devant le nouveau conflit israélo-palestinien ou au profit des événements internes. Pourtant, l’actualité de notre pays est nécessairement influencée par le reste du monde, et réciproquement.

La montée des nationalismes est inquiétante. Elle favorise les revendications territoriales et l’extrémisme, qui est le vecteur naturel de la conflictualisation des relations. Les tendances nationalistes sont en train de submerger notre pays, ces idées mortifères n’étant plus réservées à l’extrême droite. En effet, monsieur le ministre, le Gouvernement en reprend parfois les éléments de langage pour alimenter ses choix politiques. Je pense au projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Or, à l’aube des élections européennes, ces phénomènes de division, de fracturation et d’attisement des tensions devraient être dénoncés par l’ensemble de nos États. La banalisation des phénomènes violents doit être refusée, ce qui interroge la capacité de nos organisations européennes, mais aussi internationales à peser pour résoudre pacifiquement les conflits de ce monde.

Les élections européennes doivent être l’occasion de réaffirmer notre responsabilité en ce domaine. Notre conception du droit international doit primer les nouveaux rapports de force qui nous sont imposés dans une logique d’impunité.

Mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui doit n’avoir qu’un seul but : rendre possible l’avènement d’une humanité réconciliée.

Aussi, permettez-moi de vous livrer une pensée de l’écrivain arménien William Saroyan : « Essayez donc de détruire l’Arménie. […] Il suffirait que deux Arméniens se rencontrent, n’importe où dans le monde, pour qu’ils [en] créent une nouvelle. »

Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.

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