Je vous répondrai, d’abord, à travers le propos que je vais tenir devant vous, puis à travers les questions que vous aurez tout loisir de me poser par la suite.
Je ferai, pour commencer, deux remarques liminaires.
Premièrement, je veux souligner l’importance de ce sujet. De la même manière que l’on mesure la solidité d’une chaîne à celle de son maillon le plus fragile, on est forcément attentif, dès lors que l’on est un tant soit peu attaché à notre République et à sa cohésion, à ce que les politiques de transition aussi lourdes que l’on mène permettent aux plus fragiles de ne pas se sentir écartés sur le bord du chemin.
Deuxièmement, même si la transition écologique peut apparaître comme un « choc », pour reprendre un mot de l’intitulé de notre débat de ce soir, un autre choc se ferait sentir encore plus fortement sur notre cohésion et sur nos politiques de solidarité : celui de l’inaction climatique.
Nous discutons des coûts, nous discutons des modalités, nous discutons de la façon dont il faut conduire ces politiques, mais il y a une constante : ne pas agir nous coûterait beaucoup plus cher que d’investir dans cette transition.
Depuis près de vingt ans, avec une grande constance, les rapports pointent ce que seraient les conséquences à la fois pour les individus et pour notre société d’une absence de politique climatique : selon le rapport Stern de 2006, entre 5 % et 20 % du PIB.
Les derniers scénarios de l’Ademe, publiés en décembre, se situent dans cette fourchette : différer un certain nombre de ces politiques en considérant qu’il n’y a pas d’urgence nous coûterait, estime-t-elle, sept points de PIB annuel d’ici à la fin du siècle. C’est absolument considérable.
L’inaction climatique, ce serait l’appauvrissement de notre pays et de tous les Français. Je n’ai donc pas peur de dire que la transition écologique est en elle-même une politique sociale en ce qu’elle vise à préserver notre prospérité et nos modes de vie dans un monde qui change, sans que nous puissions arrêter ce changement.
Évidemment, j’entends parfaitement, à la place qui est la mienne, les critiques, les interrogations qui se font jour sur les politiques que nous menons pour accélérer cette transition ; de même, j’entends les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Pour tout vous dire, comme nombre d’entre vous dans cet hémicycle, où que vous siégiez, cette question est au cœur de mon engagement politique.
Je comprends les inquiétudes légitimes des sénateurs qui ont provoqué ce débat qui nous réunit ce soir. En répondant à ces questions, je vous invite à bien mesurer que, faute de trouver des réponses qui permettent de conduire cette politique de transition à la fois au bon rythme et d’une façon suffisamment ambitieuse et solidaire, nous alimenterions un populisme qui a deux facettes, les uns expliquant que ne pas faire tout, tout de suite, revient à ne rien faire, les autres prétendant qu’on irait toujours trop vite, ce qui, à la fin, ne ferait qu’« emmerder » les Français.
Au cours de ces derniers mois, auprès des personnes ayant subi les inondations dans le Pas-de-Calais ou de celles qui ont été victimes des écoulements d’eau dans la vallée de la Vésubie, ou au cours de ces dernières heures, dans les contacts que j’ai eus – notamment avec le préfet de l’île - avec ceux qui ont été confrontés au cyclone que vient de connaître La Réunion, j’ai pu mesurer que c’est bien notre inaction qui pourrait, à terme, provoquer bien plus de réactions et d’« emmerdements » que les réponses que nous tentons d’apporter, au bon rythme et de manière adaptée.
Et parce que je refuse qu’elle serve de carburant aux extrêmes, je suis persuadé que l’écologie peut être à la fois bonne pour la planète et bonne pour le pouvoir d’achat, bonne pour la planète et bonne pour notre souveraineté industrielle. Je suis convaincu qu’écologie doit rimer avec économie, loin de toute forme d’hypocrisie, que la réindustrialisation permet à la fois de créer de la richesse, donc des emplois mieux rémunérés, et des dispositifs de solidarité.
Il faut en finir avec ce modèle d’une mondialisation débridée qui détruit une partie de notre tissu industriel, de nos emplois, aggrave notre bilan carbone et notre dépendance à des modes de production basés sur le charbon, à l’autre bout du monde, alors même que nous nous efforçons de décarboner notre mix énergétique.
Les exemples sont multiples et, au travers des questions que vous me poserez, vous aurez sans doute l’occasion de zoomer sur tel ou tel aspect propre à la réalité de vos territoires ou sur des faits qui vous ont été rapportés par nos concitoyens.
Je ne me lancerai pas dans une revue de détail consistant à balayer l’ensemble des champs ; je me contenterai de citer trois exemples.
Premier exemple, celui de la mobilité, dont nous savons l’importance dans notre pays, d’autant plus si l’on est attaché à la ruralité, à ces espaces peu denses où elle prend une acuité particulière.
Certes, il y a ceux qui pensent que la voiture serait, par nature, l’ennemi de la transition écologique, mais nous pouvons trouver des modes de déplacement qui permettent de préserver la liberté individuelle là où des transports en commun ne seraient ni pertinents ni efficaces au regard des densités de population.
C’est bien le souci de prendre en compte cette dimension sociale et d’accompagner les plus fragiles qui nous a conduits à mettre en place cette mesure permettant d’acquérir en leasing une voiture électrique. Ainsi, pour 100 euros par mois, c’est-à-dire le montant d’un plein, il sera possible de disposer d’un tel véhicule, ce qui permettra de répondre en partie aux impératifs d’une transition écologique solidaire. Je me félicite d’ailleurs du succès de ce dispositif – les réservations ne cessent de se multiplier –, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans les prochains jours.
Ensuite, j’évoquerai le logement, qui représente la première dépense des ménages.
Même si elle fait parfois l’objet de débats, qu’il s’agisse du calendrier fixé ou des contraintes retenues, la politique menée dans ce domaine ne doit pas nous faire oublier cette réalité : si nous luttons contre les passoires énergétiques, c’est d’abord pour rendre du pouvoir d’achat à ceux qui, parce qu’ils vivent dans des biens mal isolés, se retrouvent avec des factures dont le montant dépasse de très loin celui qu’ils acquitteraient si leur habitation avait fait l’objet de suivi et de travaux.
Quand deux logements ont deux classes d’écart au titre du diagnostic de performance énergétique (DPE), la facture énergétique varie du simple au double à la fin du mois. L’enjeu de cette politique n’est donc en aucun cas de contrarier les propriétaires, mais de résorber la facture énergétique acquittée des ménages et la facture climatique payée par notre pays.
En réduisant les consommations ou en soutenant la réindustrialisation, notre but est in fine de recréer, dans notre pays, des opportunités et des emplois. Et, dans ce domaine, je ne crains pas les comparaisons avec nos voisins : les politiques de transition écologique dans lesquelles nous sommes engagés se déploient non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Elles sont encore parfois un peu timides, mais, à l’échelle mondiale, l’Europe a pris un train d’avance dans ce domaine, même si nous devons encore trouver le bon rythme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique d’adaptation au changement climatique, à laquelle on pense souvent moins qu’aux politiques d’atténuation, est précisément à la croisée de chemins entre, d’une part, la préservation de nos paysages, de nos identités et de nos modes de vie et, de l’autre, le soutien à nos concitoyens les plus fragiles, envers qui nous avons un devoir de solidarité.
En ce sens, adapter notre pays à la perspective d’une France à +4 degrés, c’est d’abord se préoccuper de ceux qui seront les plus exposés si nous ne le faisons pas.
J’aurai certainement l’occasion de développer ces différents sujets au cours du débat.