Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste que nous vous présentons est aujourd’hui indispensable.
C’est d’abord le maintien de la menace terroriste à un niveau très élevé, ainsi que l’évolution de ses formes, qui la rendent nécessaire.
Les récents attentats d’Arras et du pont de Bir-Hakeim ont malheureusement révélé notre vulnérabilité face à des attaques terroristes d’autant plus difficiles à combattre qu’elles sont désormais perpétrées par des personnes que l’on peut qualifier de « loups solitaires ». Dans les deux cas, nous nous sommes en effet trouvés confrontés à des individus isolés, qui ne s’étaient jamais rendus dans la zone syro-irakienne et dont l’action n’était pas soutenue par un réseau djihadiste organisé.
Ces réseaux ont d’ailleurs tiré toutes les conséquences de cette évolution en recentrant leur action sur l’endoctrinement, directement sur notre sol, d’individus incités via les réseaux sociaux à commettre des actes de terrorisme.
En l’état du droit, il est particulièrement ardu, pour les services de renseignement, de surveiller efficacement ces individus, qui se sont souvent radicalisés en ligne et dont le passage à l’acte est imprévisible. Ces personnes se situent par ailleurs dans un angle mort du droit pénal jusqu’au jour de leur passage à l’acte, puisque, vous le savez, le recel d’apologie du terrorisme n’est aujourd’hui pas sanctionné.
L’intensification de la problématique des sortants de prison contribue également au maintien de la menace à un niveau élevé.
Les chiffres sont sans appel : depuis l’été 2018, 486 détenus islamistes sont sortis de détention, selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; environ 50 % d’entre eux restent engagés dans une idéologie radicale. Cette dynamique ne peut aller qu’en s’accentuant, avec près de 70 libérations programmées dans les deux prochaines années et, surtout, les premières remises en liberté d’individus condamnés à de lourdes peines pour des faits de terrorisme.
Nous ne pouvons pas non plus éluder la question des mineurs radicalisés, qui prend chaque année un peu plus d’ampleur. Je ne donnerai qu’un seul exemple : en 2023, 19 mineurs ont été déférés à la justice pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Il s’agit en la matière du troisième chiffre le plus élevé depuis 2012. Les services constatent par ailleurs une évolution préoccupante des profils, avec des individus plus jeunes et présentant des projets d’attentat relativement aboutis.
Dans ce contexte, propice aux débordements de tout genre, nous devons agir comme nous l’avons toujours fait au Sénat, avec à la fois sang-froid et responsabilité, sans renoncer à notre rôle traditionnel de gardien des libertés publiques.
Soyons clairs : avec ce texte, nous ne voulons pas révolutionner la législation antiterroriste. Cela serait d’ailleurs peu judicieux, voire dangereux, à six mois d’une échéance telle que celle des jeux Olympiques.
Notre approche est beaucoup plus pragmatique : nous nous appuyons exclusivement – j’insiste sur ce point – sur les retours d’expérience et les besoins exprimés par les acteurs de terrain, judiciaires comme administratifs. Il s’agit de gommer les imperfections et les lacunes du cadre législatif actuel. En d’autres termes, nous entendons, dans le strict respect des libertés publiques, donner à nos forces de sécurité tous les moyens juridiques nécessaires à un combat efficace contre les nouvelles expressions de la menace terroriste.
Le premier volet de notre proposition de loi rénove le régime des mesures judiciaires de sûreté applicables aux terroristes sortant de détention. C’est en effet peu dire que la mesure de prévention de la récidive terroriste récemment mise en place n’a pas abouti : elle n’a pu être mise en œuvre qu’à une seule reprise, tant les critères de son édiction sont déconnectés de la réalité des profils observés sur le terrain.
Nous avons donc souhaité réintroduire une mesure hybride, déjà votée par deux fois dans cet hémicycle, mêlant suivi et surveillance judiciaire, et dont les critères de prononcé sont plus souples.
De la même manière, la proposition de loi étend le champ d’application de la rétention de sûreté en raison de troubles psychiatriques graves aux criminels terroristes et crée un nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale. L’objectif est simple : éviter à tout prix les « sorties sèches » – selon l’expression consacrée – de condamnés terroristes n’ayant pas renoncé à leur projet mortifère.
Le deuxième volet de notre proposition de loi prend à bras-le-corps la question de la prise en charge des mineurs radicalisés, selon un principe cardinal : l’accompagnement autant que nécessaire, la sanction dès que nécessaire.
Ainsi, l’article 3 renforce l’arsenal mis à la disposition des juges des enfants dans les dossiers à caractère terroriste, en étendant les possibilités de placement sous contrôle judiciaire ou en centre éducatif fermé, d’assignation sous bracelet électronique, ou de détention provisoire.
En ce qui concerne l’accompagnement, notre proposition de loi reprend notamment une proposition formulée, dès 2017, par nos anciennes collègues Esther Benbassa et Catherine Troendlé : pour éviter les ruptures d’accompagnement à la majorité, on autorise une poursuite de la prise en charge de ces jeunes par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Par le troisième volet de notre proposition de loi, nous entendons mettre la législation antiterroriste en adéquation avec les nouveaux modes opératoires observés sur le terrain. Pour ce faire, nous estimons incontournable l’introduction dans notre droit d’une nouvelle forme de délit de recel d’apologie du terrorisme, ainsi que d’une peine complémentaire de « bannissement numérique » et d’interdiction de paraître ; cette peine serait distincte des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas).
Selon nous, tous ces instruments redonneront aux services des marges de manœuvre face à des individus qui sont objectivement très dangereux, mais ne peuvent, en l’état du droit, faire l’objet de poursuites pénales en amont de leur passage à l’acte.
La régulation de l’accès à l’espace numérique de condamnés terroristes est également une mesure de bon sens, tant les réseaux sociaux sont désormais, dans ce domaine comme dans d’autres, le premier vecteur de radicalisation.
Enfin, notre proposition de loi ajuste plusieurs dispositifs antiterroristes qui, à l’épreuve de la pratique, présentent des limites opérationnelles. C’est le cas de la procédure d’autorisation d’achat de fournitures sous pseudonyme, dont les lourdeurs actuelles limitent singulièrement l’efficacité pour les services. Je pense également à la modernisation des critères permettant la dissolution administrative des associations ou groupements de fait.
Je remercie le rapporteur, Marc-Philippe Daubresse, pour l’important travail qu’il a réalisé pour la commission des lois sur cette proposition de loi, travail dont il vous présentera les résultats dans quelques instants.
Je crois que nous partageons tous ici le même objectif, et nous pouvons nous en réjouir. La commission des lois et le Sénat dans son ensemble ont toujours répondu présents lorsqu’il a fallu réformer la législation antiterroriste. Il est vrai que nous nous sommes parfois heurtés à la jurisprudence du Conseil constitutionnel…