Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme est une priorité indiscutable. Il est de notre responsabilité collective de mettre en place des dispositifs efficaces pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
L’accomplissement de cette tâche complexe pose une exigence particulière : nous devons collectivement prendre garde à ne pas céder au terrorisme. À cet égard, la société française a résisté. Elle a refusé jusqu’à présent – tant mieux ! – de tomber dans les pièges tendus par les terroristes, contrairement aux États-Unis avec Guantanamo. Nous avons collectivement fait le choix de ne pas sacrifier notre État de droit. Cela doit rester notre boussole. En effet, le terrorisme, tel un poison, cherche sans cesse à nous contraindre à changer de modèle. Notre droit n’a pas été fait seulement pour les temps calmes !
Dès lors, lutter contre le terrorisme revient à réfléchir à ce que peut faire l’État de droit pour combattre légalement ceux qui balayent toute forme de légalité, sans succomber à la tentation du déni, de l’indifférence, ou de la surenchère.
C’est là que le rôle du politique est crucial : il peut et doit faire face au terrorisme en respectant nos principes fondamentaux, pour protéger notre société et apporter réparation aux victimes.
La vague d’attentats qu’a connue la France en 2015, dont le souvenir a été ravivé par le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, a profondément marqué notre pays. Elle a bouleversé l’institution pénitentiaire et, au-delà, la justice. Depuis ces événements, la politique pénale a connu un durcissement considérable. L’augmentation du nombre de personnes incarcérées pour des affaires en lien avec le terrorisme a mis les prisons sous pression. Toutefois, face à des injonctions contradictoires, l’administration pénitentiaire peine à donner un sens à leur prise en charge.
Dans le fond, cette proposition de loi, qui traite principalement d’individus sortant de prison, doit nous interroger. Considérons-nous ces personnes comme définitivement irrécupérables ? Notre société fait-elle face à des causes perdues qu’elle choisit indistinctement de neutraliser ?
Le point aveugle de ce texte est précisément la prison et la mission de prise en charge assignée à l’administration pénitentiaire. À nos yeux, la répression seule ne peut être la réponse complète à cette problématique.
Il faut s’attaquer aux causes profondes du terrorisme en mettant en place des politiques cohérentes de prise en charge des détenus radicalisés. Sur ce sujet, l’heure n’est pas aux querelles, mais à l’action. Il est impératif de professionnaliser le travail autour de la radicalisation. Celle-ci doit être abordée avec méthode afin d’obtenir des résultats concrets. Le monde carcéral est le talon d’Achille de la société face à la radicalisation ; il manque considérablement de moyens pour prendre ce problème à bras-le-corps.
En outre, la psychiatrie ne doit pas être oubliée. Le cas de l’assaillant du pont de Bir-Hakeim à Paris, présentant des troubles psychiatriques et neurologiques, souligne l’importance de renforcer les moyens de la psychiatrie de ville pour le suivi de patients au profil complexe.
Quant aux mineurs, ce texte renvoie la prise en charge de certains d’entre eux à la protection judiciaire de la jeunesse et semble ainsi reconnaître l’utilité de la PJJ. Nous nous en félicitons, mais je ne peux que faire le lien avec la défense par notre groupe, lors des débats budgétaires, de la hausse des moyens humains de la PJJ. La majorité sénatoriale n’avait pas souhaité nous suivre sur ce point.
Il n’est pas ici question de la seule évolution du droit pénal : on doit aussi s’intéresser aux moyens donnés aux services publics pour fonctionner correctement. Ce texte élude donc un certain nombre de questions essentielles et s’illustre, à nos yeux, par ses manques.
Cependant, il se distingue aussi par ses ajouts, notamment ceux du rapporteur, bien éloignés de l’ambition initiale. À cet égard, un certain nombre d’éléments ne manquent pas de nous inquiéter : des dispositions qui vont bien au-delà de la question du terrorisme.
Tout d’abord, le texte comporte des dispositions portant modification du régime des dissolutions administratives, lesquelles, comme le rappelait dans son intervention le ministre de l’intérieur, ont déjà connu de considérables révisions au travers de la récente loi Séparatisme. Le rapporteur nous propose, par un amendement, de définir légalement la provocation justifiant la dissolution d’une association. En outre, la création d’un régime de transfert des biens des structures dissoutes est suggérée.
Ensuite, l’article 6 ajuste les règles d’autorisation pour les enquêteurs effectuant des achats de produits licites dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme.
Enfin, toujours à la suite d’un amendement du rapporteur, il nous est proposé de faire de la notion d’« inconduite notoire » un motif de révocation d’un sursis probatoire ou d’un suivi sociojudiciaire.
Vous conviendrez que nous sommes bien loin de l’objectif initialement assigné à cette proposition de loi. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé plusieurs amendements afin de modifier les éléments qui nous préoccupent ; nous espérons qu’ils seront adoptés.