Intervention de Dominique de Legge

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 janvier 2024 à 8h40
Politique étrangère et de défense — Point de suivi concernant la compétence de la cour de justice de l'union européenne cjue en matière de politique étrangère et de sécurité commune pesc et la stratégie industrielle de défense européenne : communication de m. françois bonneau mme gisèle jourda et m. dominique de legge

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Face à ce tourbillon d'annonces ou de déclarations, qui ne paraissent pas toutes s'inscrire sur la même trajectoire, il nous semble que l'audition de Thierry Breton pourrait permettre de clarifier un certain nombre d'enjeux. Sans prétendre être exhaustifs, nous souhaitons mettre en lumière les points suivants concernant la future stratégie industrielle et le programme d'investissement associé.

Premièrement, la secrétaire d'État aux affaires européennes nous a assuré le 21 décembre dernier qu'« il ne s'agit pas de créer un marché unique de la défense, mais un marché intégré, qui permette aux États de bénéficier d'une meilleure défense à un coût moindre ». Le SGAE nous l'a confirmé en début de semaine et a botté en touche sur l'idée « d'Union de la défense » mise en avant par la Présidente de la Commission européenne. Il conviendrait néanmoins de clarifier les intentions réelles de la Commission européenne.

De manière très concrète, l'un des marqueurs des intentions de la Commission sera la base juridique qu'elle retiendra pour le texte EDIP. La France et l'Allemagne ne souhaitent pas que ce texte se fonde sur l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (...) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». La France demande qu'il s'appuie sur l'article 173 du traité, selon lequel « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées », en excluant « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Or, lors de la présentation du texte ASAP, la Commission européenne s'était appuyée sur ces deux articles, avant de rencontrer des déconvenues sur lesquelles je vais revenir.

Deuxièmement, l'articulation entre les textes EDIRPA et ASAP, d'un côté, et le futur texte EDIP, de l'autre, amène trois séries de questions.

D'une part, il serait souhaitable de pouvoir disposer d'un retour d'expérience sur la mise en oeuvre concrète d'EDIRPA et d'ASAP avant de figer le dispositif de l'EDIP. Cela n'est pas assuré, dès lors que ce dernier devrait entrer en vigueur en 2025. Il conviendrait donc que Thierry Breton nous éclaire sur ce point.

D'autre part, dès lors qu'il s'agira cette fois d'un dispositif pérenne, et non plus d'un dispositif d'urgence à vocation temporaire, il conviendra d'être particulièrement vigilant afin que le soutien qui sera mis en place bénéficie bien à l'industrie européenne et à elle seule. Je ne suis pas certain que tous les États membres partagent cette analyse.

Enfin, le texte ASAP a été marqué par une tentative de la Commission européenne d'accroître considérablement ses prérogatives par le biais de dispositifs réglementaires. Je rappelle que le texte initial comprenait des mesures d'harmonisation destinées à déterminer, à cartographier et à surveiller en permanence la disponibilité des produits de défense concernés, de leurs composants et des intrants correspondants, ainsi que des mesures destinées à établir des exigences assurant la disponibilité durable et en temps utile des produits de défense concernés dans l'Union.

Cette cartographie aurait ensuite permis de mettre en place un cadre de « commande prioritaire » auprès d'une entreprise, sous certaines conditions, notamment en cas de graves difficultés liées à des pénuries ou des risques graves de pénuries de produits de défense vulnérables aux approvisionnements.

La proposition de la Commission prévoyait également la possibilité pour les entreprises d'effectuer des transferts d'équipements militaires au sein de l'Union sans obtenir du gouvernement concerné la licence d'exportation habituellement requise.

Ce volet du texte ASAP avait été supprimé en juin, dans un contexte de grande urgence. Nous nous y étions opposés avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Qu'en sera-t-il dans le cadre de l'EDIP ? Thierry Breton s'était engagé devant le Parlement européen à réintroduire ce volet réglementaire. Nous comprenons des échanges que nous avons eus avec le SGAE qu'une forme de cartographie semble jugée nécessaire par de nombreux États membres, mais jusqu'où va-t-on, avec quelles conséquences ?

La France apparaît en revanche toujours opposée aux commandes prioritaires et aux transferts d'équipements militaires sans aval des gouvernements concernés. Il nous apparaît clair aujourd'hui qu'elle entend privilégier une approche préservant la place des gouvernements et cantonner les initiatives de la Commission.

Ces enjeux ne sont pas minces et nous renvoient au contrôle de subsidiarité que nous devrons effectuer de manière extrêmement rigoureuse sur le texte EDIP, qui sera transmis à notre commission.

Troisièmement, nous avons besoin de davantage de clarté sur le plan des financements, même si une part de la réponse n'interviendra qu'à l'occasion des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel.

La mise à contribution de la BEI ne soulève pas de difficulté technique ou réglementaire et elle a déjà débuté. Une « Facilité de participation au secteur de la défense », cofinancée par le Fonds européen de la défense et le Fonds européen d'investissement, a été annoncée la semaine dernière afin de soutenir des fonds de capital-risque et de capital-investissement investissant dans des entreprises innovantes du secteur, en particulier sur les technologies à double usage. Le vice-président de la Banque européenne d'investissement a souligné à cette occasion que ces enjeux devenaient une priorité stratégique pour la BEI.

Nous avons en revanche besoin de plus de clarté sur l'articulation entre les différents instruments de l'Union et sur le rôle dévolu, en particulier, au Fonds européen de la défense dont l'enveloppe reste très limitée, ainsi qu'à la Facilité européenne de paix.

Nous comprenons que Thierry Breton a lancé son chiffre de 100 milliards d'euros comme un objectif à terme mais qu'il ne repose sur rien de tangible à ce stade. Certains évoquent la possibilité d'un nouvel emprunt commun sur le modèle de ce qui a été fait pour assurer le financement de NextGenerationEU. Je suis pour ma part très sceptique.

Quatrièmement, nous nous interrogeons sur l'articulation entre la future stratégie industrielle et la planification de l'OTAN, qui reste le fondement de la défense collective pour ses membres, ainsi que le souligne à nouveau le Conseil européen dans ses conclusions de décembre.

Cinquièmement, nous considérons qu'il faut clarifier les intentions et les modalités d'intégration de l'Ukraine dans les programmes de soutien à l'industrie de défense européenne. Jusqu'où va-t-on ? Comment marquer notre soutien sans basculer dans une forme de co-belligérance vis-à-vis de la Russie ?

Enfin, je veux souligner que ces équipements de défense ont vocation à être remis aux armées. Cela doit donc nous conduire à prêter une attention toute particulière à la manière dont les états-majors des États membres sont associés à la définition de ces équipements prioritaires.

Voilà quelques points qu'il nous paraissait utile de vous présenter avant l'audition de Thierry Breton. Vous aurez compris qu'il s'agit d'une communication d'étape qui sert à préparer le travail de fond que nous aurons à mener sur le texte EDIP.

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