Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, garantir aux justiciables une voie de protection efficace de leurs intérêts, tout en préservant les opérateurs économiques d'un risque réputationnel potentiellement dévastateur pour leur activité : tel est le délicat chemin de crête qu'arpente le législateur depuis la création, voilà une décennie, de l'action de groupe.
Le débat sur l'opportunité de son introduction est bien plus ancien ; on peut le dater d'il y a au moins quarante ans…
Malgré son âge, ses termes n'ont pas beaucoup évolué : d'un côté, la protection des droits des justiciables, notamment des consommateurs, implique la mise à leur disposition de voies de droit efficaces leur permettant d'obtenir réparation de préjudices, y compris quand ceux-ci sont d'un faible montant ; de l'autre, notre système judiciaire, auquel incombe la protection de l'activité des opérateurs économiques contre d'éventuelles actions malveillantes visant uniquement à les déstabiliser, nécessite que l'action de groupe « à la française » ne soit pas calquée sur la class action américaine et sur ses dérives.
Ce cadre étant posé, la proposition de loi déposée et rapportée par nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin se caractérise, à rebours de l'équilibre délicat recherché par le législateur il y a une décennie de cela, par une certaine forme de radicalité assumée.
Partant du constat que l'action de groupe n'a pas tout à fait trouvé son public, ils procèdent ainsi à l'unification de son cadre procédural, mais surtout à un considérable assouplissement de celui-ci.
S'il serait déraisonnable d'affirmer que l'action de groupe constitue aujourd'hui une voie procédurale plébiscitée, je veux souligner que la prémisse d'un échec de l'action de groupe me paraît contestable.
Certes, seules trente-cinq actions de groupe ont été engagées depuis 2014, et l'inégale qualité des demandes a eu pour effet qu'un certain nombre d'entre elles ont été déclarées irrecevables par le juge.
Pour autant, ce bilan mitigé peut en partie être attribué à la nécessaire phase d'appropriation qu'implique la création d'une telle procédure. Par ailleurs, certaines actions de groupe ont prospéré et permis l'indemnisation d'un préjudice, parfois dans le cadre d'un accord amiable.
Ne partageant manifestement pas cet avis, les auteurs – et rapporteurs pour l'Assemblée nationale – de la proposition de loi ont souhaité encourager le recours aux actions de groupe.
Au-delà de l'unification des sept régimes juridiques actuels en une seule loi-cadre, la relative radicalité du présent texte consiste en un « triple élargissement » procédural : celui du champ de l'action de groupe, tout d'abord, dont est prévue l'universalisation ; celui des préjudices indemnisables, ensuite, également universalisés, alors que certains des régimes sectoriels en vigueur ne prévoient d'indemnisation que pour quelques préjudices spécifiques ; celui de la qualité pour agir, enfin, celle-ci étant très largement ouverte, y compris à des associations représentant un nombre limité de personnes.
Dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, la position d'équilibre jusqu'à présent recherchée par le législateur semblait donc reléguée aux oubliettes au profit d'une proposition de loi nettement plus radicale, trait renforcé par l'introduction d'une amende civile en cas de faute intentionnelle ayant causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire.
Face à un dispositif qu'elle a jugé quelque peu déséquilibré, la commission s'est en conséquence attachée à retrouver le chemin de crête qui a, jusqu'alors, guidé les pas du législateur.
Les amendements qu'elle a adoptés ont ainsi visé trois objectifs.
Premier objectif : resserrer un cadre juridique excessivement lâche.
Ainsi, tout en acceptant l'universalisation des préjudices indemnisables, mais également, dans son principe, celle du champ de l'action de groupe, la commission a souhaité – je sais que nous y reviendrons lors de la discussion des amendements – circonscrire l'application de cette voie procédurale à son périmètre actuel en ce qui concerne les domaines de la santé et du droit du travail.
Cela a paru nécessaire notamment en matière de santé, en raison du risque réputationnel encouru par des acteurs ne disposant que de peu de moyens de défense. À cet égard, le fait que le droit de la responsabilité ne soit pas modifié est sans importance, puisque le risque qu'emporte l'introduction d'une action de groupe porte non pas tant sur l'engagement indu de la responsabilité que sur le coût procédural et réputationnel qu'une telle action publique ne manque pas d'entraîner.
Surtout, la commission a significativement resserré les conditions d'octroi de la qualité pour agir. Au régime juridique très libéral résultant des travaux de l'Assemblée nationale, qui permettrait à un grand nombre d'acteurs, y compris malveillants, d'agir dans de nombreux domaines, la commission oppose un équilibre différent, fondé sur une capacité à agir élargie à divers domaines, mais réservée à un nombre restreint d'associations présentant toutes les garanties nécessaires.
L'instauration d'un agrément nous a ainsi paru incontournable pour garantir le sérieux et la transparence des personnes ayant qualité pour agir, notamment en matière de prévention des conflits d'intérêts : notre dispositif est peut-être perfectible, mais il me semble largement préférable à une simple attestation sur l'honneur, qui n'a d'autre valeur que celle de l'encre utilisée pour la rédiger.
Deuxième objectif : prévenir les risques juridiques que soulève le dispositif.
Le premier d'entre eux concerne naturellement l'amende civile prévue à l'article 2 undecies, dont le Conseil d'État a justement relevé les difficultés constitutionnelles qu'elle pose. Plus largement, l'opportunité d'insérer une telle disposition dans la loi a paru très douteuse à la commission, qui l'a en conséquence supprimée.
Nous en débattrons certainement dans quelques instants, mes chers collègues ; en tout état de cause, il me semble qu'une telle disposition pose un problème de méthode : l'insertion, presque par effraction, d'une mesure qui modifie très significativement le droit de la responsabilité civile dans un texte de procédure, sans étude d'impact préalable, paraît extrêmement problématique.
Troisième objectif : parachever la transposition de la directive relative aux actions représentatives, pour ce qui est tant de l'action de groupe nationale, et notamment des dispositions qui lui sont applicables en matière de transparence et de solvabilité des personnes ayant qualité pour agir, que de l'action de groupe transfrontière.
Au bénéfice de ces quelques aménagements, la commission a adopté un texte qui présente l'immense avantage – trop rare de nos jours ! – de simplifier effectivement le droit.
Elle n'a néanmoins pas souhaité faire dévier le législateur du chemin de crête qu'il s'est employé à arpenter jusqu'à présent.
Tel qu'il a été modifié par la commission, le texte qui est aujourd'hui soumis à votre examen, mes chers collègues, vise donc à préserver et à garantir un juste équilibre entre la protection des droits des justiciables et la sécurité juridique des opérateurs économiques.
Il est en cela utile pour permettre à l'action de groupe, dont la vocation n'est pas d'être un épiphénomène juridique ni une procédure banalisée, de trouver sa voie.