Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 17 mars 2014, sur l'initiative de Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire, le Parlement votait le projet de loi portant création de l'action de groupe à la française. L'objectif de ce dispositif était double : permettre aux victimes de se rassembler pour parler d'une seule et même voix ; permettre aux victimes de faire reconnaître le préjudice subi et de faire valoir leur droit à réparation.
La volonté du législateur était de rééquilibrer une relation contractuelle trop défavorable aux consommateurs.
Cette ambition était plus que louable. Elle était même noble. Pourtant, dix ans après, force est de constater que cette avancée législative n'a, hélas ! pas eu les effets escomptés.
Le législateur de 2014 avait souhaité limiter le champ de l'action de groupe au domaine de la consommation, et ce principalement parce qu'il voulait éviter les écueils et dérives manifestes ayant émergé dans le cadre des class actions en droit anglo-saxon.
Par la suite, le régime de l'action de groupe a lentement évolué : la loi du 18 novembre 2016 l'a étendu aux discriminations au travail, aux questions environnementales et au respect des données personnelles. Puis, en 2018, son champ a été ouvert aux préjudices causés par la location d'un logement.
Pourtant, malgré ces extensions successives, l'action de groupe est restée peu usitée. Depuis sa création, cela a été rappelé, ce droit n'a été activé qu'une trentaine de fois seulement. Six procédures ont débouché sur un résultat positif : dans trois d'entre elles, le défendeur a été déclaré responsable, tandis qu'un accord amiable a pu être trouvé dans les trois autres.
Six procédures qui prospèrent et aboutissent en dix ans, c'est peu ! C'est même trop peu, alors que, dans la même période, nous avons assisté à l'essor exponentiel de la vente par correspondance et des transactions commerciales sur internet, singulièrement pendant la crise sanitaire du covid.
Afin de dresser un bilan des premiers pas de l'action de groupe au sein de notre législation, les députés Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky ont rendu, le 11 juin 2020, un rapport exhaustif et précis. Selon nos collègues députés, le caractère relatif du succès des actions de groupe serait dû à de multiples freins.
Tout d'abord, notre droit en la matière serait trop complexe, puisque le régime en question n'a pas été unifié. Ensuite, son champ d'application serait trop restreint. Enfin, le faible nombre d'associations habilitées à agir – une quinzaine seulement – n'aurait pas été de nature à favoriser le recours à ce dispositif.
En vue de surmonter ces écueils, nos collègues rapporteurs émettaient treize recommandations visant à rendre les actions de groupe plus efficaces, plus opérationnelles et, surtout, plus à même de répondre aux besoins des victimes.
C'est sur la base de la transcription juridique de ces propositions que Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky ont déposé le 15 décembre 2022 la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Cette initiative parlementaire a ensuite été largement enrichie en première lecture à l'Assemblée nationale. De six articles, le texte est passé à quarante et un articles dans la version qui a été transmise au Sénat.
Cette version, mes chers collègues, était pleinement de nature à nous satisfaire. D'abord, elle simplifiait le droit existant en l'assouplissant. Ensuite, elle créait une action de groupe au régime universel. En outre, elle permettait l'élargissement de la qualité à agir, du champ d'application et du préjudice indemnisable. Elle instaurait par ailleurs une sanction civile en cas de faute intentionnelle de l'entreprise ayant causé des dommages sériels à plusieurs individus. Enfin, elle ouvrait la voie à la spécialisation de tribunaux judiciaires en matière d'action de groupe, choix que nous voyons plutôt d'un bon œil, mais qui nécessitera une vigilance certaine, afin que les juridictions en question soient justement réparties sur le territoire national.
Les associations de consommateurs avaient salué ce texte transpartisan, et la Défenseure des droits, Claire Hédon, s'était réjouie de sa qualité. Le soutien unanime de la société civile et des différents groupes politiques de l'Assemblée nationale n'a cependant pas pleinement convaincu notre rapporteur, que je remercie néanmoins pour la qualité de son travail et pour les nombreuses auditions qu'il a bien voulu organiser.
En effet, lors de nos travaux en commission, il a fait le choix de réduire substantiellement la portée de cette proposition de loi en rigidifiant la procédure de recours aux actions de groupe, tout en restreignant largement la capacité des associations à agir en la matière.
Il a par ailleurs choisi de supprimer la sanction civile réprimant les fautes intentionnelles ayant engendré des dommages sériels, et borné dans le temps l'application de cette loi aux seuls nouveaux litiges, refusant aux actions de groupe déjà en cours la possibilité d'en bénéficier.
Si cette dernière orientation venait à être confirmée ce soir, elle créerait, de fait, un droit à deux vitesses, une anomalie inédite dans notre législation, et un précédent peu souhaitable.
Notre rapporteur a justifié l'ensemble de ses décisions par la volonté de garantir la protection des activités de nos opérateurs économiques.
Je dois dire que ces arguments défensifs ne nous ont pas convaincus. Ils nous ont même déçus, comme ils ont déçu beaucoup d'associations de consommateurs, qui plaçaient de grands espoirs dans nos travaux.
L'expertise d'usage de ces associations aurait pu – aurait dû – nous convaincre toutes et tous de la pertinence de la philosophie du texte issu de l'Assemblée nationale. Si, s'agissant d'appréhender le spectre des abus et des infractions relevant d'une éventuelle action de groupe, nos collègues députés ont ouvert largement le compas, notre rapporteur, quant à lui, a semblé vouloir resserrer et refermer ce compas, au risque de laisser perdurer les insuffisances de la législation actuelle.
L'objectif affiché de cette proposition de loi était de rééquilibrer le rapport de force entre ce que l'on appelle familièrement le pot de terre et le pot de fer. À cet égard, le texte issu de la commission des lois du Sénat semble beaucoup moins ambitieux que nous ne l'aurions souhaité.
Je tiens à rappeler un élément essentiel : une entreprise qui respecte la loi, le droit et tout lien contractuel qu'elle aurait pu nouer n'a absolument rien à craindre d'un élargissement du champ de l'action de groupe.