Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par expliquer la position du groupe Les Républicains sur ce texte relatif aux actions de groupe. Ces procédures, vous le savez, ne sont pas habituelles dans notre droit ; elles sont issues du droit anglo-saxon, autrement dit de la common law. Elles consistent, pour un groupe de personnes qui ont subi le même préjudice de la part d'une même entreprise, à se pourvoir ensemble en justice contre celle-ci.
Ces actions de groupe ont été consacrées par le droit européen, et le texte qui nous est soumis procède notamment à la transposition d'une directive qui date de 2020 – nous pouvons d'ailleurs remercier notre rapporteur de nous prémunir contre toute surtransposition, ce mal français.
Elles ont été introduites dans notre droit par une loi de 2014, modifiée à plusieurs reprises pour aboutir à la coexistence de sept régimes juridiques correspondant à autant de thématiques distinctes.
Ces procédures ont été peu utilisées en dix ans. Les chiffres varient sur ce point ; ceux dont j'ai eu connaissance ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui viennent d'être évoqués, lesquels, du reste, diffèrent entre eux… Que l'on retienne un chiffre de trente-deux ou de trente-cinq actions engagées, force est d'admettre en tout cas, sur la foi du rapport du Conseil d'État, que quatre seulement ont donné lieu à un résultat positif.
C'est pourquoi nos collègues de l'Assemblée nationale ont estimé qu'il convenait de modifier les règles qui régissent la mise en œuvre de ces actions de groupe pour permettre un usage plus fréquent de cette procédure. Il faut saluer, bien sûr, comme l'a fait le rapporteur, le travail qui a été fait par nos collègues députés. Toutefois, sur plusieurs points, la commission des lois du Sénat, à laquelle le groupe Les Républicains se ralliera, n'y a pas totalement souscrit.
S'il est un point sur lequel tout le monde s'accorde, en revanche, c'est la simplification procédurale. Dans mes souvenirs, dont – je l'avoue – je n'ai pu vérifier l'exactitude, le professeur Perrot, grand spécialiste de la procédure civile, avait coutume de dire que la procédure est le véhicule du droit. Et, certes, la procédure est censée être totalement neutre dans le droit. Il n'est donc pas normal que le justiciable ait des difficultés à mettre en œuvre une procédure pour des raisons, précisément, de procédure ! Seul le fond du droit devrait être discuté.
Cela étant dit, l'unification du cadre procédural applicable aux différentes actions de groupe paraît tout à fait légitime, et nous suivons bien sûr le rapporteur sur ce point.
La question s'est par ailleurs posée de savoir qui peut engager une telle procédure : qui peut agir ? L'action de groupe peut d'ores et déjà être exercée par un certain nombre d'associations, de groupements. Faut-il élargir la liste ? Rien n'est moins sûr, car il ne faudrait pas déstabiliser un secteur économique en permettant à des entreprises d'agir de façon à déstabiliser un concurrent, tout simplement, soit en instrumentalisant soit en finançant de telles procédures – et le sujet de la transparence financière est aussi un sujet important, nous en reparlerons.
Dans quels domaines l'action de groupe peut-elle trouver à s'appliquer ? Là encore, le rapporteur, de façon assez justifiée, n'a pas voulu élargir outre mesure le champ d'application de ce régime procédural : il en a circonscrit le périmètre.
Pour ce qui est enfin de savoir à quels manquements et à quels litiges doit être ouverte l'action de groupe, nous avons trouvé un accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale pour élargir le champ des préjudices qui peuvent être indemnisés.
Notre désaccord le plus important porte, me semble-t-il, sur l'amende civile. Il s'agit en quelque sorte de dommages et intérêts punitifs, qui sanctionnent la faute de celui qui l'a commise, en l'occurrence une entreprise. Cette mesure est controversée depuis fort longtemps, et elle le reste, comme l'ont montré les interventions précédentes, pour son caractère quelque peu hybride.
Les dommages et intérêts, en droit français, ont pour objet d'indemniser la victime, et ils sont calculés en fonction du préjudice, sans égard pour la faute qui l'a causé. Une amende est de manière générale une amende pénale, c'est-à-dire la sanction d'un trouble à l'ordre public, ce qui, pour le coup, est davantage en rapport avec la faute de la victime ; mais elle est touchée non par la victime, mais par l'État, via le Trésor public.
Quant à l'amende civile, ou dommages et intérêts punitifs, elle est hybride : il s'agit de dommages et intérêts qui prennent en compte non pas le préjudice, mais la faute, et qui sont touchés non par la victime, mais par l'État, hors de tout contexte pénal et de tout trouble à l'ordre public. Vous aurez compris qu'une telle notion n'est pas simple à insérer dans notre droit…
C'est donc en vertu d'une certaine sagesse, en l'absence de consensus sur ce point, que l'amende civile a été extraite du présent texte.
Voilà donc – je n'entre pas dans le détail, que nous aborderons plus tard et qui a été largement évoqué par le rapporteur – les raisons générales pour lesquelles le groupe Les Républicains s'apprête à voter pour l'adoption du texte de la commission, sous réserve que le débat d'amendement ne le dénature pas.
Permettez-moi néanmoins, puisqu'il me reste du temps, de vous faire part de quelques réflexions qui m'ont été inspirées non seulement par ce texte, mais également par ce que j'ai entendu de la part des orateurs qui m'ont précédée.
Est-ce vraiment le droit qui nous empêche aujourd'hui de mettre en œuvre des actions de groupe ? Ceux qui ont lu le rapport du Conseil d'État – ils sont quelques-uns dans cet hémicycle – ont pu y lire qu'au Portugal les actions de groupe, bien qu'étant largement admissibles, sont mises en œuvre dans des proportions qui sont très raisonnables, et pas du tout démesurées. J'ai coutume de dire, et je prie ceux qui ont l'habitude de l'entendre de m'excuser, que le droit n'est qu'un outil au service de nos projets – ne l'oublions jamais ! Il doit être une boîte à outils, et celle-ci doit rester bien rangée si l'on ne veut pas se perdre dans ses recoins.
Aussi, je me demande si c'est vraiment la difficulté à satisfaire les conditions d'accès à la procédure de l'action de groupe qui empêche qu'elle soit mise en œuvre. Je pense plus simplement que c'est l'introduction d'un élément de common law, c'est-à-dire de droit anglo-saxon, dans un édifice qui est essentiellement de droit romain, n'obéissant pas aux mêmes règles, qui pose problème. D'ailleurs, je rappelle que le Conseil d'État a déconseillé l'introduction dans un quelconque code des actions de groupe, qui demeureront inscrites dans une loi ad hoc.
Peut-être devrions-nous aussi nous donner un temps de réflexion supplémentaire avant de généraliser dans nos textes un principe tel que l'amende civile. Certes, cette sanction existe déjà en droit français, et elle a été par contamination étendue au droit de la famille et au droit de la concurrence, mais sans réflexion préalable suffisamment approfondie. Nous devons sans doute prendre garde à ne pas fragiliser l'édifice assez bien charpenté qu'est celui de la responsabilité civile.
Enfin, je suis navrée si je choque certains d'entre vous, mes chers collègues, mais nous devrions peut-être réfléchir au temps que nous consacrons à des mesures qui, somme toute, ont un intérêt plus que modéré pour nos concitoyens – quatre actions en dix ans ! Pouvons-nous véritablement penser que c'est d'une préoccupation majeure des Français que nous allons traiter aujourd'hui ? Je n'en suis pas certaine. Après tout, le fait que ces mesures ne comptent pas parmi les priorités des Français nous garantit peut-être, qui sait, une absence de censure de la part du Conseil constitutionnel…