Tout naturellement, j’avais inscrit en premier dans ce projet de loi la demande de prorogation des dispositions de la loi antiterroriste du 23 janvier 2006, valables jusqu’au 31 décembre 2008.
Or, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, il ne saurait y avoir de vide juridique, car cela diminuerait le niveau de protection des Français. Telle est la raison pour laquelle je remercie M. Haenel de s’être saisi de la question et d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi, sur un sujet qui nous concerne tous.
Le but du texte est de permettre la reconduction des dispositions de la loi précédente. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont conduit à l’adoption de cette loi, M. le rapporteur les a rappelées, je limiterai mon propos au contenu des dispositions qu’il s’agit de proroger.
Mesdames, messieurs les sénateurs – j’y insiste – le terrorisme représente une menace réelle. Notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, il ne l’est pas moins non plus. Il faut que nous l’ayons constamment à l’esprit.
Si nous sommes menacés sur le sol national, nos compatriotes sont menacés aussi à l’extérieur. L’enlèvement, hier encore, en Afghanistan, d’un employé d’une association humanitaire nous rappelle l’actualité de cette menace. Nous avons tous à l’esprit, bien entendu, ce qui s’est passé et ce qui se passe régulièrement en Afghanistan, en Algérie, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Mauritanie.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la menace est permanente et les services du ministère de l’intérieur déjouent constamment des attentats, raison pour laquelle ces questions ne doivent pas être prises à la légère. L’actualité de ce risque terroriste se manifeste par des entraînements paramilitaires, par des saisies d’armements, par un certain nombre d’informations ou de menaces clairement formulées.
Le terrorisme islamiste ne se résume plus aujourd’hui à l’appel à la guerre entre un monde musulman et un monde occidental. Il tend désormais vers une contestation idéologique de nos sociétés et de nos valeurs, contestation qui porte aussi bien sur la reconnaissance de la place des femmes, sur la liberté elle-même, que sur notre conception équilibrée de la laïcité, qui font partie de nos valeurs fondamentales.
Son évolution concerne aussi les modalités et les lieux d’entraînement. Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan, sont autant de terrains d’entraînement pour des terroristes potentiels. Nous suivons, bien entendu, à travers les réseaux un certain nombre de personnes qui suivent des formations et des entraînements dans ces pays et qui reviennent ensuite sur notre territoire.
Par ailleurs, internet apporte au terrorisme un vecteur nouveau d’endoctrinement, de propagande, de recrutement et de structuration des réseaux.
Face à l’ampleur de ces menaces et à leur évolution, nous avons le devoir d’adapter nos réponses. La première responsabilité d’un État, et de ses représentants, est, mesdames, messieurs les sénateurs, de protéger ses citoyens contre cette menace que représente le terrorisme. Nous devons adapter nos réponses pour mieux protéger le territoire national, mais aussi, au-delà, le territoire européen, car il n’y a plus de frontières en la matière, nous le savons bien.
Cela implique une vigilance quotidienne sur notre sol et à nos frontières.
Permettez-moi, à cet égard, de rappeler quelques chiffres. Le plan Vigipirate mobilise chaque jour 2 366 policiers, 165 gendarmes et 870 militaires. L’espace Schengen doit nous permettre un contrôle plus efficace des entrées sur le territoire européen et sur le territoire national. Nous rejoignons ici le problème des contrôles d’identité à bord des trains internationaux évoqué par M. le rapporteur.
Cela renforce en effet nos capacités de détection d’un certain nombre de personnes, notamment celles qui font partie de réseaux identifiés et dont nous savons qu’elles reviennent de pays « sensibles ». C’est l’article 3 du texte dont la prorogation vous est demandée.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le service national de la police ferroviaire utilise d'ores et déjà ces moyens avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie, car ce sont les voies principales d’accès à notre pays ou de retour dans notre pays.
Le renforcement du contrôle des frontières aériennes s’inscrit dans la même perspective. Actuellement, les voyageurs en relation avec cinq pays à risques du Moyen-Orient voient leurs données APIS – Advanced Passengers Information System –enregistrées dans le fichier des passagers aériens. Il s'agit essentiellement du nom, de l’âge et de ce style de données.
Les travaux européens en cours sur le PNR – Passenger Name Record – visent à renforcer l’efficacité du dispositif. En effet, les terroristes savent parfaitement ce que nous faisons, ne nous leurrons pas. De la même façon qu’ils utilisent toutes les nouvelles technologies – ils l’ont fait avant nous !–, ils se méfient aussi de nos dispositifs de surveillance.
Par conséquent, quand des pays sont trop ciblés, parce qu’il est plus facile de ne surveiller que cinq ou six pays, les filières terroristes n’hésitent pas à choisir des itinéraires détournés, passant par des pays non signalés sans revenir directement en France, par exemple depuis le Yémen.
Nous travaillons donc à l’échelon européen sur la possibilité d’établir de nouvelles connexions afin de ne pas perdre en cours de route des personnes qui transitent par des pays non signalés, et ce système peut être réellement efficace.
Le renforcement des mesures de sécurité tant à l’échelon européen qu’à l’échelon national s’accompagne aussi d’une clarification des règles de protection des données personnelles. Nous en avons parlé récemment au Parlement européen, nous tenons beaucoup à cette double garantie.
Nos démocraties sont en effet confrontées à la double nécessité d’assurer la sécurité des personnes tout en garantissant la protection des libertés, et c’est au regard de ce double impératif qu’il nous incombe d’évaluer rigoureusement les besoins en la matière.
C’est un enjeu majeur de déterminer quel prix économique et quel prix en termes de liberté nous sommes prêts à acquitter pour notre sécurité. Il faut rechercher un juste équilibre entre les deux afin de protéger la démocratie, et c’est un travail que nous devons faire ensemble.
Adapter notre réponse, c’est aussi essayer d’améliorer notre action pour détecter les réseaux.
Comme j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer à plusieurs reprises, on observe des signes préoccupants dans l’évolution du terrorisme. Des formes beaucoup plus isolées qu’auparavant apparaissent : des individus, notamment des individus fragiles psychologiquement, peuvent ainsi être en quelque sorte convaincus par le biais d’internet.
C’est l’une de mes préoccupations que de constater le développement sur internet, d’une part, d’une propagande émanant de certains groupes extrémistes et, d’autre part, de sites sur lesquels on peut apprendre à fabriquer des explosifs, voire des armes bactériologiques ou chimiques. N’importe qui, si je puis dire, peut avoir accès à ces informations et peut les mettre en pratique. D’ailleurs, en dehors même de tout caractère terroriste, plusieurs adolescents meurent chaque année, ou se retrouvent amputés, après avoir mis en pratique ce qu’ils voient sur internet. Mais là est un autre problème.
Aujourd'hui, nous nous attachons plus à la question des réseaux, qui mobilisent nos services, car ce sont eux qui permettent de cibler les personnes susceptibles de porter des atteintes sur notre territoire.
La création de la Direction centrale du renseignement intérieur nous a permis de gagner en efficacité pour mieux déjouer, en amont, les actions terroristes. En effet, il s’agit non pas de pleurer en cas d’attentat, mais de faire en sorte que celui-ci n’ait pas lieu, évitant ainsi les morts et les blessés. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de doter cette direction d’outils adaptés à sa mission.
Ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 prévoit que des personnes dûment autorisées peuvent avoir accès à certains fichiers administratifs.
Cette disposition a permis de faciliter les investigations destinées à vérifier l’identité de personnes suspectes, notamment en contrôlant l’immatriculation des véhicules ou en établissant l’origine frauduleuse de documents sensibles.
La détection des réseaux passe également par un meilleur contrôle d’internet. Nous le savons, aujourd'hui, les terroristes utilisent internet pour véhiculer soit des messages internes, soit des messages de propagande. La communication des données techniques relatives à des communications électroniques, prévue par l’article 6, a prouvé son utilité.
Monsieur le rapporteur, vous avez regretté tout à l'heure que certains décrets d’application n’aient pas encore été publiés. Je tiens à vous dire que tous les textes sont prêts et sont actuellement à la signature du ministre du budget. J’espère donc qu’ils seront publiés incessamment.
L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, a mis en œuvre une plate-forme de gestion des demandes de données techniques adressées aux opérateurs de téléphonie, aux sociétés de commercialisation et de services ou aux fournisseurs d’accès à internet. Parallèlement, une plate-forme de signalement sera ouverte dans un mois pour l’ensemble des sites internet aux contenus illicites.
Dans le même esprit, j’ai fait adopter à Luxembourg un accord permettant la mise en place d’une plate-forme européenne de lutte contre la cybercriminalité, notamment contre l’utilisation d’internet à des fins terroristes, car, comme je l’ai indiqué tout à l'heure, cette criminalité, tout comme le terrorisme, ne connaît pas de frontières. Considérant l’intérêt du projet, la Commission européenne a accepté de le financer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur l’excellente présentation de M. le rapporteur, car vous disposez maintenant de l’ensemble des données de la question.
La loi antiterroriste du 23 janvier 2006 a permis de réaliser une véritable avancée dans notre action de protection des populations contre une menace en constante évolution.
Il est à mes yeux légitime de proroger, conformément à la proposition de loi élaborée sur l’initiative du Sénat, les dispositions de cette loi, qui, en près de trois ans d’application, ont prouvé leur utilité et leur efficacité.
L’importance exceptionnelle de ces questions exige de chacun de nous une approche sereine et constructive, au-delà des clivages partisans. Il s’agit non pas de créer la panique, …