Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner une proposition de loi visant à prolonger l’application de trois mesures figurant dans la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
Estimant que la menace liée au terrorisme, notamment islamiste, n’avait jamais faibli, le gouvernement de l’époque avait présenté ce projet de loi. Il avait également rappelé que la France peut apparaître comme l’une des principales cibles. Tel est encore le cas aujourd’hui puisque vous avez indiqué tout à l’heure, madame le ministre, que notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, mais qu’il ne l’est pas moins non plus. Et je n’évoquerai pas les groupes indépendantistes malheureusement plus proches de notre territoire par leur origine, tel l’ETA, dont la menace est toujours vive. Le projet de loi avait d’ailleurs été déposé quelques mois après les attentats de Londres.
Il n’est pas contestable que le terrorisme constitue une menace nécessitant des gouvernements un effort particulier afin de mettre en œuvre tous les instruments nécessaires pour y faire face. Les actes en question sont graves et intolérables, et ce d’autant plus qu’ils ont pour but de frapper un peuple, une nation, de porter atteinte à tous les ferments collectifs de cette dernière et à ce qu’elle représente.
À lui le seul, le terrorisme justifie que des moyens exceptionnels soient mis en œuvre par le législateur lui-même.
Voilà pourquoi le Gouvernement avait proposé, à l’époque, différentes mesures visant à adapter notre législation aux évolutions du terrorisme. Le groupe de l’Union centriste avait soutenu ces dispositions.
Si l’ensemble des mesures visant à lutter contre le terrorisme sont nécessaires et utiles à certaines époques, elles doivent, chacun en convient, rester exceptionnelles et s’attacher à un contexte particulier.
Pour le législateur, toute la difficulté réside dans la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la protection des biens et des personnes et, d’autre part, la protection des libertés individuelles, auxquelles nous sommes tous attachés.
Telles ont les raisons pour lesquelles la loi du 23 janvier 2006 prévoit qu’un rapport dresse le bilan des dispositions exceptionnelles. C’est ainsi que l’Assemblée nationale a publié en février 2008 un rapport faisant état de l’application des dispositifs mis en place.
Trois dispositions de la loi du 23 janvier 2006 – les articles 3, 6 et 9 – devaient être appliquées à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2008. Ces dispositions arrivent à échéance, et notre collègue Hubert Haenel nous propose de prolonger leur application jusqu’au 31 décembre 2012.
Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, la prolongation de ces trois mesures se justifie par deux raisons au moins : d’une part, le rapport annuel d’application de 2008 a montré leur pertinence opérationnelle et leur efficacité ; d’autre part, la menace terroriste est malheureusement toujours aussi présente sur notre territoire, ce dont vous convenez vous-mêmes, mes chers collègues socialistes. Mais il est vrai que nous aimerions être placés dans une autre situation !
L’une des questions qui nous intéresse aujourd’hui est bien celle de savoir si la situation actuelle justifie la prolongation de ces trois mesures limitant à la fois la liberté d’aller et venir et le respect des libertés individuelles.
Une autre question concerne l’efficacité de ces mesures : il faut bien le dire, nous manquons de recul et de hauteur de vue pour l’apprécier complètement.
Par ailleurs, l’article 3 concerne non pas uniquement le terrorisme, mais plus largement le contrôle des frontières, puisqu’il constitue une contrepartie à la mise en œuvre de l’espace Schengen. Des décisions de justice récentes – ce sujet a retenu toute l’attention de la commission des lois – traduisent une interprétation restrictive de cette disposition. Il a en effet été estimé que celle-ci valait uniquement pour les trains circulant de l’étranger vers la France.
Je crois également utile de rappeler que le décret d’application de l’article 6 concernant la réquisition de données auprès des fournisseurs d’accès à internet et des hébergeurs n’a toujours pas été pris.
Quant à l’article 9, il risque de montrer bientôt ses limites, s’agissant notamment de l’accès aux fichiers, puisque la loi, en son état actuel, ne permet pas l’accès aux données biométriques qui figurent désormais dans le système de gestion des passeports.
Je demande donc au Gouvernement de bien vouloir nous rassurer sur ces différents points.
Compte tenu de ces difficultés, la question du nécessaire équilibre et de l’impératif de proportionnalité entre, d’une part, la protection des personnes et des biens et, d’autre part, la garantie des libertés individuelles se posent avec d’autant plus de pertinence.
Toutefois, comme en faisaient état certains quotidiens français en début d’année, les menaces islamistes proférées contre la France, visant en particulier Paris, sont prises très au sérieux par les ministères de l’intérieur et de la justice, après qu’un centre américain spécialisé dans la surveillance des communications du réseau Al-Qaïda a fait état de menaces avérées.
Des menaces précises contre les monuments parisiens ont circulé sur al-ikhlas, un site internet islamiste utilisé par Al-Qaïda. Parmi les sites évoqués figurent la tour Eiffel, les Champs-Élysées, l’aéroport de Roissy ou le quartier de La Défense. Mon but n’est pas d’inquiéter qui que ce soit ! Il s’agit simplement de préciser, à l’occasion de ce débat législatif, que nous sommes clairement concernés par des menaces terroristes réelles.
Il nous faut également tenir compte du fait que le terrorisme a évolué. Les organisations terroristes savent utiliser à leur avantage les moyens modernes de communication, comme la téléphonie mobile et internet. Face à la mondialisation des réseaux et des moyens de communication, de nouveaux enjeux se sont imposés aux forces de police des États menacés. En tant que législateur, nous devons être présents.
Je ne reviendrai pas sur les différents points méritant sans doute des compléments d’information, que Mme le ministre ne manquera pas de nous donner. Mais vous avez déjà répondu à certaines de nos interrogations, madame.
Le groupe de l’Union centriste estime que la prorogation de ces mesures, qui est d’ailleurs préconisée dans le rapport annuel d’application de la loi du 23 janvier 2006, se justifie. J’insiste cependant sur le point suivant, qu’il faut toujours garder à l’esprit : de telles mesures doivent respecter un équilibre acceptable entre les exigences de liberté et celles de sécurité, d’où l’importance, madame le ministre, d’une évaluation de leur efficacité. Vous le savez bien, la moindre erreur pourrait avoir des conséquences très lourdes pour des personnes injustement soumises à des mesures aussi contraignantes, qualifiées parfois par certains de « liberticides ».
C’est pourquoi il est nécessaire de prévenir les abus, de prêter une attention particulière à l’interprétation des textes, de prévoir des clauses de rendez-vous et de limiter l’usage de telles mesures à des circonstances très particulières, en l’occurrence à la lutte contre le terrorisme, comme cela nous est proposé aujourd’hui.
Donnons-nous donc rendez-vous dans quatre ans ; nous aurons alors plus de recul quant à l’application de ces mesures pour décider soit de les prolonger de nouveau, soit d’en prendre d’autres plus adaptées, soit – on peut toujours rêver ! – de ne plus nous en préoccuper.