Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 4 novembre 2008 à 16h00
Lutte contre le terrorisme — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Certes, il existe un rapport d’information, réalisé par la commission des lois de l’Assemblée nationale, laquelle a pris cette initiative en raison de l’absence du rapport prévu à l’article 32 de la loi du 23 janvier 2006.

En réalité, tout rapport d’évaluation de cette loi est difficile à réaliser puisque tous les décrets, comme cela vient d’être rappelé, n’ont pas encore été pris et que la plupart de ceux qui ont été publiés l’ont été dans une période récente, c'est-à-dire au cours du second semestre de 2006 et dans le courant de l’année 2007. À croire que, à l’époque, il n’y avait pas urgence à légiférer – pour la septième fois en vingt ans ! – en matière de lutte contre le terrorisme et que l’arsenal législatif existant, renforcé à plusieurs reprises, était vraisemblablement suffisant et n’avait pas besoin de cette ultime radicalisation !

Mais, pour s’en rendre compte, il aurait fallu disposer d’une évaluation précise des dispositifs existants. Or, depuis le 11 septembre 2001, nous n’avons aucune évaluation ! En effet, toutes les mesures exceptionnelles adoptées temporairement pour prétendument lutter contre le terrorisme ont été pérennisées sans avoir fait l’objet d’une quelconque évaluation quant à leur utilité et à leur efficacité. Le temporaire en la matière a une furieuse tendance à durer !

Cela fait des années que notre législation est durcie sous prétexte de lutter contre le terrorisme, et ce sans aucun contrôle du Parlement.

Alors que le rôle du Parlement devrait être renforcé à la suite de la réforme constitutionnelle, je ne vois guère ici la traduction de ce renforcement ! Le Parlement ne remplit même pas sa mission de contrôle à l’égard de l’exécutif ; il se contente de voter loi sur loi.

Pis, le Gouvernement utilise la séance mensuelle réservée à l’ordre du jour fixé par l’assemblée pour faire examiner une proposition de loi dont il a passé commande à sa majorité et faire ainsi adopter un texte qu’il n’a pas pu faire passer, faute de support législatif adéquat.

J’en viens au contenu même de cette proposition de loi. Notre position sur le sujet n’a pas changé. À l’époque, nous avions voté contre le projet de loi, car nous le jugions inutile, inefficace, attentatoire aux libertés individuelles et revêtant un effet d’annonce incontestable.

Je le répète aujourd’hui avec force, nous condamnons avec la plus grande fermeté le terrorisme, qui constitue une attaque contre les droits fondamentaux de l’être humain. Nous ne sous-estimons pas les menaces qui peuvent peser sur notre pays et sur nos concitoyens vivant et travaillant à l’étranger.

En revanche, nous ne sommes pas prêts, au nom de l’impératif sécuritaire que commande la lutte contre le terrorisme, à sacrifier nos libertés fondamentales. En effet, ce serait alors faire le jeu des terroristes, qui se délectent de voir les démocraties rogner chaque jour un peu plus les libertés de leurs citoyens.

Les Françaises et les Français ne sont pas prêts, non plus, à voir leurs libertés restreintes. J’en veux pour preuve leur forte mobilisation contre le fichier EDVIGE, dont le but, madame la ministre, est d’instituer une surveillance et un contrôle généralisés de la population, sous couvert de lutter contre le terrorisme et la délinquance. Et, sur ce plan, le fait qu’il y ait un, deux ou trois fichiers ne change rien.

Si vous voulez combattre durablement le terrorisme et ses auteurs, vous devez vous attaquer à ses véritables causes, au terreau qui en fait le lit. Les interventions en Afghanistan et en Irak, le creusement des inégalités entre pays riches et pauvres – et cela va encore s’accentuer du fait de la crise financière –, etc., toutes ces tensions que le monde connaît actuellement, qui ont tendance, depuis quelques années, à s’exacerber et qui risquent de s’aggraver tant que les peuples ne décideront pas de créer, eux-mêmes, un nouvel ordre mondial font le miel des extrémistes.

Vous pourrez toujours légiférer, mes chers collègues ! Vous pourrez toujours rogner un peu plus les libertés fondamentales de nos concitoyens ! Vous pourrez toujours renforcer la vidéosurveillance, créer de nouveaux fichiers, développer la biométrie ou installer des scanners corporels dans les aéroports, vous n’arriverez à rien d’autre qu’à instituer un contrôle généralisé de la population présente sur le sol français !

Mais n’est-ce pas là, finalement, votre véritable souhait ? La lutte contre le terrorisme ne vous offre-t-elle pas l’opportunité de mettre en place tout un dispositif sécuritaire visant à surveiller, à ficher et à contrôler le corps social, plus particulièrement une certaine frange de la population, afin d’en prévenir toute révolte éventuelle ?

Je tiens à vous rappeler que les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, dont nous refusons, pour notre part, de prolonger l’application pour quatre années supplémentaires, sont loin d’être anodins. Ce n’est donc pas un hasard si, au départ, leur durée d’application était limitée dans le temps. Il est quand même question, dans ces articles, de contrôles d’identité dans les trains effectuant une liaison internationale, de communication de données, d’identification ou de connexion à des services de communications électroniques, ainsi que d’accès à des fichiers !

Tout d’abord, l’article 3 se situe dans le cadre général des contrôles d’identité, et non dans celui, particulier, de la lutte contre le terrorisme. Il vise tout simplement à étendre le régime général des contrôles d’identité, et fait donc peser cette nouvelle contrainte sur l’ensemble des citoyens. En l’occurrence, je pense que cette disposition vous sert surtout à interpeller des étrangers en situation irrégulière, ce qui permet ainsi à votre collègue M. Hortefeux de se rapprocher des objectifs d’expulsions du territoire français qui lui ont été fixés. En l’absence d’une évaluation précise de son efficacité dans la lutte contre le terrorisme, et compte tenu du caractère attentatoire aux libertés fondamentales de cette mesure comme de l’amalgame qu’elle autorise entre sans-papiers et terroristes, nous nous opposons à sa reconduction.

Ensuite, nous sommes également opposés à l’article 6, qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire. Comme cela a été dit à plusieurs reprises, la CNIL a émis des réserves à son sujet. Un projet de décret, qui a fait l’objet de critiques de la part de la CNIL, serait d’ailleurs, selon le rapport, sur le point d’être signé par le Premier ministre. Nous aimerions en savoir davantage sur ce point, madame la ministre.

Enfin, le coût de cette mesure – il est évalué, pour les huit premiers mois de fonctionnement et le premier semestre 2008, à environ un million d’euros – paraît exorbitant.

Quant à l’article 9, il accroît les possibilités de consultation de certains fichiers en dehors de tout cadre judiciaire.

Tout en prenant nos responsabilités, nous voterons contre la prolongation pour quatre années supplémentaires d’un dispositif qui n’a fait la preuve ni de sa pertinence opérationnelle ni de son efficacité. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce point lors de la présentation de notre amendement tendant à supprimer l’article unique.

Pour conclure, nous estimons que la nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d’une société démocratique au sein de laquelle le respect de libertés publiques, tel le droit d’aller et venir ou le respect de la vie privée, a encore du sens.

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