Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ma proposition de loi répond, à mon sens, à une double volonté et à une double nécessité. Il s'agit, d'une part, de rendre la protection juridique plus effective, plus accessible et plus transparente pour le consommateur - ce n'est pas le cas aujourd'hui, mon cher collègue Charles Gautier- et, d'autre part, de permettre aux avocats d'exercer pleinement leur mission dans ce cadre.
Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, parfois hostile, et sommes de plus en plus confrontés à une judiciarisation de notre vie quotidienne.
Les raisons en sont multiples et je ne les aborderai pas ici, car ce n'est pas le sujet de ce jour. Mais rappelons-nous, malgré tout, que la complexité croissante de notre législation, associée à une évolution des mentalités plus exigeantes au regard du droit, est à l'origine de cette évolution constante.
C'est cette montée en puissance du contentieux dans le quotidien des Français qui explique le succès grandissant des contrats de protection juridique proposés par les assurances. C'est, en effet, un moyen privilégié d'accès au droit et à la justice pour tous et non limité par manque de moyens.
Le régime de l'assurance de protection juridique est défini par les articles L. 127-1 et suivants du code des assurances. Il procède notamment de la transposition de la directive européenne du 22 juin 1987.
C'est un dispositif en pleine expansion qui offre des avantages multiples.
En effet, même si elle est facultative, cette assurance est d'un champ très vaste : il couvre à la fois les litiges occasionnés dans les domaines de la consommation, du service, du droit du travail ou de la fiscalité, mais aussi ceux du domaine pénal, dans certaines conditions.
La gamme des contrats offerts aux particuliers est donc très large et les primes, proportionnelles à l'étendue de la couverture, sont d'un montant annuel très variable.
Ces contrats sont régis par plusieurs principes : l'individualisation obligatoire de la garantie et de la prime, les modalités de règlement en cas de désaccord entre l'assureur et l'assuré sur les mesures à prendre et, enfin, le droit pour l'assuré de choisir un avocat ou une personne de son choix pour défendre ses intérêts.
Dans ce cadre, l'assureur apporte donc de véritables prestations de services juridiques, qui peuvent être directement gérées par lui-même, pour 66 % des cas, par un avocat, pour 32 % des cas, et par l'assuré lui-même, pour 2 % des cas.
Outre ces prestations, l'assureur a vocation à prendre en charge également les frais liés au règlement du litige, mais les sommes engagées par l'assurance sont limitées. En effet, le dédommagement par litige est plafonné, le remboursement d'avocat est limité et les contrats fixent, en général, des seuils d'intervention.
Néanmoins, ce type de contrat présente des avantages indéniables au regard de l'accès au droit. D'abord, le rôle de l'assureur est très actif en phase amiable pour favoriser un règlement rapide des litiges. Ensuite, ce type de garantie peut constituer le complément efficace de l'aide juridictionnelle.
Pour autant, l'assurance de protection juridique, telle qu'elle est pratiquée, a suscité de vives critiques de la part de la Commission des clauses abusives, dans la recommandation qu'elle a adoptée le 2 février 2002, comme le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure.
En premier lieu, ladite commission constate un manque de transparence et de lisibilité pour l'assuré, au point que ce dernier ignore parfois qu'il bénéficie d'une protection juridique, et d'un manque de connaissance de la nature de l'étendue des garanties auxquelles il a droit.
En second lieu, les acteurs naturels de la défense des justiciables - les avocats - sont marginalisés dans l'exercice de la protection juridique.
Cette situation n'est pas satisfaisante pour au moins deux raisons.
Tout d'abord, l'avocat est souvent absent de la phase amiable du litige, alors qu'il peut apporter une aide précieuse à ce stade tout en garantissant indépendance et secret professionnel.
Ensuite, le marché de l'assurance de protection juridique est capté par quelques professionnels liés aux réseaux des assureurs.
En effet, en dépit du libre choix théorique de l'avocat par l'assuré, ce dernier est le plus souvent désigné par la société d'assurance, qu'elle soit mutualiste ou non.
Une telle situation place inéluctablement l'avocat dans une situation de subordination à l'égard des assureurs.
Enfin, les assureurs manifestent certaines réticences quand il s'agit de faire jouer la garantie, notamment au regard des délais de déclaration de litiges par les assurés.
Cette situation provoque des mécontentements, voire des déceptions chez les assurés quant aux garanties auxquelles ils croient pouvoir prétendre ; mais elle suscite aussi la légitime frustration des avocats, profession qui se sent injustement écartée d'un secteur d'activité pourtant de plus en plus utile.
C'est la raison pour laquelle, avec plusieurs de mes collègues, j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, identique à celle qu'a présentée tout à l'heure notre collègue M. Zocchetto.
Il m'a en effet paru essentiel de clarifier les conditions dans lesquelles la garantie d'un contrat peut être engagée : c'est le sens de l'article 1er ; d'encadrer les moyens de recommandation d'un avocat à l'assuré : c'est l'objet de l'article 2 ; enfin, de réviser le régime de fixation des honoraires de l'avocat pour garantir une réelle liberté de choix de l'avocat par l'assuré, conformément à la recommandation de la Commission des clauses abusives du 21 février 2002, c'est ce à quoi tend l'article 3.
L'article 1er clarifie d'abord les motifs de déchéance de la garantie du contrat en déterminant le point de départ de la déclaration du sinistre et sa définition : « Est considéré comme sinistre [...] le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire. » Le point de départ de la déclaration du sinistre correspond donc à la date à laquelle il est constitué, et ce pour éviter une déchéance de la garantie en cas de déclaration tardive, comme cela arrive fréquemment.
Dans ce même article, les obligations réciproques de l'assureur et de l'assuré avant la déclaration de sinistre sont codifiées. En effet, le droit en vigueur n'apporte aucune précision sur ce point, et des pratiques défavorables à l'assuré se sont développées à la faveur de ce vide juridique. Ainsi, toute clause prévoyant la déchéance de la garantie en cas de consultation ou d'actes de procédure antérieurs à la déclaration du sinistre sera interdite. Cependant, dans un souci d'équilibre, et pour limiter les conséquences financières de ces consultations pour l'assurance, il est précisé que celles-ci sont exclues de la prise en charge au titre de la garantie. Une situation d'urgence pourra néanmoins être invoquée pour tenir compte des cas où l'assuré doit agir sans délai pour protéger ses intérêts, comme cela peut se produire en cas de comparution immédiate.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 1er définit les conditions dans lesquelles l'intervention de l'avocat est obligatoire. Il est destiné à assurer une égalité entre les parties en litige et une confidentialité de leurs échanges favorable à la conclusion d'une éventuelle transaction.
L'article 2 clarifie les modalités du choix de l'avocat par l'assuré pour rendre plus effective cette faculté - cette liberté, surtout. Ainsi, l'orientation vers l'avocat recommandé par l'assureur sur la seule demande écrite de l'assuré permettra d'établir avec certitude que la désignation faite par ce dernier procède de son choix délibéré. Autrement dit, la proposition par les sociétés d'assurance du nom d'un avocat à l'assuré « sans demande écrite de sa part » sera tout simplement interdite.
Enfin, l'article 3 clarifie les relations entre l'assureur et son client lorsque celui-ci a recours à l'assurance de protection juridique.
En effet, la loi du 31 décembre 1971 dispose que les honoraires d'avocat sont fixés en accord avec le client. Cette règle participe d'une manière essentielle du caractère libéral de la profession d'avocat. Aussi, la prédétermination d'un plafond d'honoraires ou de toute autre convention d'honoraires entre l'avocat et l'assureur sera interdite pour éviter toute situation de conflit d'intérêts entre l'assureur et son client.
Cette disposition ne remet pas en cause la possibilité pour les assureurs de fixer des limitations contractuelles au remboursement des honoraires des avocats. Elle permet néanmoins d'exclure tout lien de subordination de l'avocat à l'égard de l'assureur, ce qui me paraît être une mesure d'équité pour cette profession.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi répond, par des ajustements techniques au droit en vigueur, aux recommandations de la Commission des clauses abusives. Elle répond aussi à l'affirmation, répétée avec constance par la commission des lois du Sénat, de la nécessité de réformer l'assurance de protection juridique. Elle tend surtout à offrir aux citoyens un nouveau mode d'accès au droit et à la justice, avec une plus grande transparence dans les contrats et une meilleure implication des avocats dans le règlement des litiges. Enfin, elle répond à un réel besoin de révision de notre législation face à une évolution de notre société qui voit se multiplier les contentieux auxquels ont à faire face les Français dans leur vie quotidienne. Aussi, j'espère que le Sénat soutiendra ce texte.
Qu'il me soit permis de remercier chaleureusement notre collègue Yves Détraigne de son rapport remarquable et de ses propositions, auxquelles je souscris pleinement et auxquelles s'associera le groupe UMP.