Intervention de Marie-Do AESCHLIMANN

Réunion du 14 mars 2024 à 16h00
Dispositions législatives relatives à la santé — Discussion générale

Photo de Marie-Do AESCHLIMANNMarie-Do AESCHLIMANN :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à ratifier l'ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Le premier objet de ce texte était de rendre applicables certains volets des récentes lois de bioéthique en matière de recherche, notamment les dispositions se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH), afin de préciser les conditions dans lesquelles elles peuvent être menées et de garantir la sécurité et la bonne information du participant.

Cela représente parfois une mise à jour de plus de dix ans et permet une adaptation de références aux règlements européens applicables.

Cette même ordonnance a également étendu et adapté au territoire des îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les dispositions relatives à l'allongement des délais de recours à l'interruption volontaire de grossesse et à la suppression du délai minimum de réflexion.

D'autres extensions et adaptations concernent certains territoires seulement.

Je pense aux compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles, pour les îles Wallis et Futuna, ou à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures, pour la Polynésie française.

L'ordonnance qu'il nous est aujourd'hui proposé de ratifier a été prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, lequel permet au Gouvernement, dans les collectivités relevant de l'article 74 ou encore en Nouvelle-Calédonie, d'étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur dans l'Hexagone.

Cette extension du droit commun ne peut intervenir que dans les seules matières qui demeurent de la compétence de l'État, après consultation des assemblées des collectivités. Contrepartie de cette habilitation permanente donnée au Gouvernement, une ordonnance prise sur ce fondement doit nécessairement être ratifiée par le Parlement dans un délai de dix-huit mois.

Si la ratification d'une ordonnance apparaît un exercice particulièrement encadré, voire contraint, j'ai pu rappeler en commission la portée politique et, surtout, juridique de ce texte.

La première question posée par ce texte est celle du respect du partage des compétences.

Il faut d'abord admettre que l'intitulé de l'ordonnance du 19 avril 2023 est trompeur, car, si les « diverses dispositions relatives à la santé » de cette ordonnance figurent au sein du code de la santé publique, elles font en réalité intervenir des compétences qui ne relèvent pas de la santé.

Surtout, la compétence santé relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, l'État ne demeurant compétent en la matière qu'à Wallis-et-Futuna.

Aussi l'examen de ce texte fait-il apparaître que les dispositions de bioéthique en matière de recherches impliquant la personne humaine ressortissent de la compétence recherche, assumée par l'État, et que celles qui sont relatives au délai de recours à l'IVG, considérant les avis du Conseil d'État et les décisions du Conseil constitutionnel, relèvent de la garantie des libertés publiques et, donc, de la compétence de l'État.

Aucun empiétement de l'État sur une compétence dévolue n'a été soulevé par les territoires.

La deuxième question que nous devons traiter est celle de la pertinence des dispositions au regard des réalités locales.

Les auditions de la commission ont été particulièrement instructives, alors que ni l'ordonnance ni son projet de loi de ratification ne font l'objet d'une étude d'impact fournie par le Gouvernement. Je regrette par ailleurs que seul l'avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie ait été reçu par le Gouvernement.

Je me dois également de relayer les regrets des territoires quant aux modalités de leur saisine sur des projets d'ordonnances parfois très techniques – vous l'avez dit, madame la ministre – ou sur des matières particulièrement sensibles.

En Polynésie française comme en Nouvelle-Calédonie, l'actualisation du droit en matière de recherche impliquant la personne humaine était une demande forte, et l'ordonnance vient parachever un travail mené avec les services des collectivités. Il s'agit de permettre l'intégration de patients de ces territoires à des recherches cliniques, alors que certaines pathologies peuvent se présenter de manière différente ou chez des profils de populations distincts de ceux de l'Hexagone.

Pour Wallis et Futuna, l'extension de ces mêmes dispositions a été faite à la demande de l'agence de santé, afin de permettre une intégration théorique de patients, la réalité de l'offre de soins ne permettant pas en vérité de l'envisager.

En revanche, l'allongement du délai de recours à l'IVG n'a, lui, été sollicité par aucun des trois territoires. L'ensemble des représentants des collectivités ont d'ailleurs souligné la sensibilité particulière du sujet, dans des territoires où la société est bien plus religieuse que dans l'Hexagone.

La difficulté d'accès, invoquée en 2022 pour allonger le délai de recours à l'IVG, me semble, pour ces raisons, encore plus discutable, au vu des spécificités et des particularités de ces territoires français du Pacifique.

Cette situation caractérise une adaptation très inaboutie du droit, qu'il me paraît indispensable de souligner.

En vérité, le Gouvernement a étendu le délai de recours à quatorze semaines au nom de la compétence de l'État en matière de garantie des libertés publiques, sans se soucier de son application effective, et ce alors que l'organisation des soins et les compétences des professionnels de santé relèvent du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, comme la prise en charge par l'assurance maladie.

Des questions concrètes demeurent également sans réponse, qu'il s'agisse de la formation des sages-femmes à l'IVG instrumentale, de la disponibilité et de la responsabilité des professionnels de santé pour un acte qui n'est pas sans risque, ou encore de l'accès aux centres pratiquant les IVG dans ces territoires. Pour dire les choses clairement, le Gouvernement s'est donné bonne conscience, sans se préoccuper de l'accessibilité à ce droit.

La dernière question posée est naturellement celle de l'adoption ou non du présent projet de loi. Elle appelle une réponse plus délicate que je ne l'anticipais lorsque j'ai commencé à instruire ce texte.

Délicate sur la forme, car une ratification d'ordonnance n'offre que peu de marges de modifications. En effet, qu'il s'agisse des dispositions relatives aux recherches impliquant la personne humaine ou de l'allongement du délai de recours à l'IVG, l'ordonnance du 19 avril 2023 qu'il nous est demandé de ratifier a déjà changé le droit au moment de sa publication.

Cette réponse est également délicate sur le fond. Comme je l'ai rappelé en commission, je n'étais pas sénatrice lors de l'examen de la dernière loi de bioéthique, et pas davantage lors de l'examen de mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement.

Je constate que les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine qui sont ici étendues ont parfois été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée nationale, ou sans désaccord insurmontable au cours de la navette.

Je ne peux pas en dire autant de la loi du 2 mars 2022, que le Sénat a rejetée par trois fois. La majorité sénatoriale - permettez-moi de le rappeler - avait alors exprimé une position claire, systématiquement sanctionnée par l'adoption de motions tendant à opposer la question préalable.

Ces motions rappelaient le faible taux - moins de 5 % - d'IVG réalisées en 2017 dans les deux dernières semaines du délai légal, alors fixé à douze semaines. Elles soulignaient aussi que les professionnels de santé eux-mêmes considéraient cet acte comme d'autant moins anodin qu'il est pratiqué tardivement. Ces arguments conservent selon moi leur pleine pertinence et j'y adhère à titre personnel.

On ne peut pas traiter ce sujet avec légèreté quand on sait que la période des douze à quatorze semaines correspond au passage de l'embryon au stade de fœtus. Aussi, je considère, en l'absence de toute évaluation du besoin et de la capacité des collectivités à la mettre en œuvre, que cette extension par ordonnance n'était pas vraiment opportune.

C'est pourquoi, à défaut d'une validation politique, notre commission des affaires sociales a fait le choix d'une validation juridique. Sous les réserves concrètes que j'ai pu exposer, elle a décidé de prendre acte de l'évolution du droit, ouvrant ainsi la voie à la ratification de l'ordonnance.

Je formulerai enfin deux regrets, madame la ministre. Le premier concerne les modalités d'extension, qui ne satisfont pas pleinement aux principes de sécurité juridique et d'accessibilité du droit.

Le second tient aux lacunes de ce texte. L'ordonnance que le Gouvernement nous demande de ratifier a été publiée en avril 2023, soit voilà près d'un an.

Certaines demandes de modification, jugées tout à fait recevables par les services des ministères de la santé et des outre-mer, ont été transmises depuis plusieurs semaines par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Or, alors même que j'avais sollicité l'expertise de ces propositions par le ministère et appelé à leur intégration au stade de la discussion au Sénat, aucun amendement n'est prêt à être discuté en vue de compléter ou de corriger l'ordonnance.

Ces modifications interviendront sans doute lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, obligeant à une deuxième lecture au Sénat : que de temps perdu !

Je terminerai sur une note plus générale concernant les outre-mer.

Ces territoires sont confrontés à des enjeux très concrets d'accès aux soins, alors que la multi-insularité est un sujet de complexité majeur. Nos compatriotes du Pacifique font parfois face à des difficultés insoupçonnées lors de déplacements dans l'Hexagone.

Que la compétence concernée relève de l'État ou soit dévolue au « pays », les indicateurs de santé publique sont souvent préoccupants et les pathologies particulières méritent des travaux parlementaires plus poussés ! C'est là un enjeu de santé publique comme d'égalité des citoyens de la République.

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