Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 24 octobre 2007 à 17h00
Valorisation des produits agricoles forestiers ou alimentaires et des produits de la mer — Adoption d'un projet de loi

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors du colloque « Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités ? » organisé par le Sénat le 28 octobre 2004, Philippe Mauguin affirmait que l'objectif de l'INAO est « de faire en sorte de ne pas décevoir dans le verre la promesse faite par l'AOC au consommateur ».

Et il poursuivait en indiquant à juste titre que cette promesse est « différente de la qualité notée par les guides ou par un critique américain ».

Cette remarque pleine de bon sens devrait guider notre réflexion sur notre système de valorisation dans un contexte où les échanges commerciaux sont globalisés, où les standards de production et de fabrication des produits alimentaires tendent à être dangereusement uniformisés.

Or la promotion de la qualité des produits en lien étroit avec le territoire et le savoir-faire local permet le maintien de l'activité sur ces territoires et leur valorisation. Elle est donc un gage important d'un durable et harmonieux aménagement du territoire, mais également des modes de production respectueux de l'environnement et des terroirs.

Pour justifier la réforme du système de valorisation français, vous avez énormément mis en avant la nécessité de simplifier la grille de lecture du consommateur.

Permettez-moi de citer un passage de l'étude réalisée par l'association UFC-Que choisir qui peut apporter des éléments intéressants sur une autre question, essentielle à nos yeux, notamment pour le consommateur : la diversité des saveurs offertes.

Dans ce document, les commentaires donnés par les professionnels sur les AOC du vin dessinent une répartition en deux groupes ayant des visions diamétralement opposées.

Les premiers se plaignent des rédactions actuelles des textes, notamment de leur faible niveau d'exigence, voire dans certains cas de leur caractère incompatible avec l'essence de l'AOC en tant que produit d'un terroir bien identifié ! Selon eux, ces rédactions trop vagues concourent à une évolution qui, constatée ces dernières décennies, conduit à une standardisation des goûts.

Une motion rédigée sur ce point par les membres de l'association « SEVE », vignerons réunis, illustre bien cette approche : « La volonté de simplification et de banalisation des étiquettes de vin d'AOC va à l'encontre d'une politique de diversité et de valorisation des terroirs français et européens. »

Le second groupe, à l'inverse, considère que « les contraintes définies par les décrets représentent des freins sur le plan commercial, face à la nécessité de réagir rapidement aux exigences du marché » ! Les représentants du négoce défendent, pour nombre d'entre eux, les volumes importants de vins en AOC génériques et refusent de voir interdire la standardisation des caractéristiques gustatives.

Cette petite digression montre à quel point la valorisation des produits agricoles recoupe des enjeux souvent antagonistes. La question est de savoir quel intérêt la réforme proposée va satisfaire. Si c'est celui du consommateur, alors il est nécessaire de se mettre d'accord sur ce point.

Pour nous, l'intérêt du consommateur ne saurait se limiter à la simplification des signes et des mentions de valorisation. En revanche, il est nécessaire que le système de valorisation français passe par un resserrement du lien avec le terroir, une élévation du niveau d'exigence et une limitation sur les techniques et ingrédients qui entrent dans la fabrication des divers produits.

Le facteur humain, le savoir-faire qui s'est construit au fil des siècles pour bien des produits ne doivent pas non plus être négligés. En effet, la rupture du pacte de confiance entre le consommateur et le producteur s'explique également par le comportement des pouvoirs publics, qui tendent à négliger cette composante essentielle de la fabrication des produits.

Ainsi en témoignent les inquiétudes suscitées par la mention « fermier ». On le sait, ce terme s'appliquait à des produits issus du lait des fermes, mais aussi fabriqués et affinés à la ferme. Désormais, la règle serait l'usage du mot « fermier » pour des produits dont l'affinage est réalisé en dehors de l'exploitation et en dehors de la responsabilité du fermier.

Catherine Le Beschu, animatrice de l'association Casgiu Casanu, qui regroupe une centaine de bergers de l'île de Beauté, expliquait qu'il avait été proposé aux producteurs d'ajouter le nom de l'exploitation d'où proviennent les fromages.

Or l'affinage du fromage est un processus essentiel au développement des arômes et des saveurs : la durée de l'affinage, l'atmosphère, l'hygrométrie de la cave, sont autant de facteurs qui lui confèrent son identité.

En toute logique, le terme « fermier » ne peut donc s'appliquer qu'à des produits issus exclusivement du lait de l'exploitation, mais aussi fabriqués et affinés à la ferme. Pourtant, huit AOC fromagères, et non des moindres - « Saint-Nectaire », « Reblochon », pour n'en citer que deux - bénéficieraient déjà de dérogations. Ces précédents n'augurent rien de bon pour l'avenir des fromages de terroir...

Alors que la mention « fermier » garantissait jusqu'ici un mode de production, un terroir et un savoir-faire, la réglementation nouvelle instaure un flou défavorable au producteur comme au consommateur.

En ce qui concerne le défaut de lisibilité que vous avez à juste titre dénoncé, le problème réside, à notre sens, non dans la multiplication des signes, mais plutôt dans le défaut d'information du consommateur sur la fabrication et la composition des produits. Peut-être serait-il utile d'assurer une plus grande traçabilité des différents produits et une meilleure information sur leur composition. C'est vrai pour les OGM, mais pas seulement.

Ainsi, le consommateur serait en mesure de choisir le produit qu'il achète, en tout cas celui qu'il souhaiterait acheter s'il en avait les moyens, car le choix se pose en ces termes dans bien des cas malheureusement. La question du pouvoir d'achat ne peut bien évidemment être exclue de la réflexion sur le système de valorisation quand on connaît le prix des produits concernés. Mais peut-être reviendrons-nous sur cette question lors de l'examen annoncé du projet de loi sur la concurrence et la réforme de la loi Galland.

Enfin, je voudrais dire quelques mots sur les autres objectifs visés par la réforme : la simplification du système et l'impartialité des contrôles.

Le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer présente encore pour moi à ce sujet de grandes zones d'ombre, et ce malgré la consultation attentive de deux documents de travail qui auraient pourtant dû éclairer ma lecture : le dossier présentant la réforme des signes d'identification de la qualité et de l'origine de l'Institut national de l'origine et de la qualité et le rapport de notre collègue Benoît Huré.

Ce projet de loi, qui est l'aboutissement de la procédure dictée par l'article 38 de la Constitution, et donc plus exactement l'ordonnance qu'il vise à ratifier, présente l'inconvénient de laisser inchangés les défauts du système actuel, en prétendant le contraire.

Tout d'abord, une des raisons avancées pour justifier la réforme est la complexité de la gestion du système pour les opérateurs. Il est vrai que le développement quelque peu anarchique des signes d'identification de la qualité et de l'origine a conduit à la création de plusieurs structures et procédures. Ainsi cohabitaient l'INAO, la CNLC, les syndicats de défense, les organismes agréés, les groupements de qualité, les organismes certificateurs, et j'en passe.

Aujourd'hui, et cela ne nous étonnera pas, la place des pouvoirs publics se réduit comme une peau de chagrin puisque sont supprimés l'INAO et la CNLC, remplacés par un établissement public, l'INAO « nouvelle formule ». Les moyens de ce nouvel établissement public devront être augmentés pour qu'il puisse correctement remplir ces missions, même si tout est fait pour en confier un certain nombre à des organismes tiers.

Du côté des filières, si un nom rassembleur a été trouvé - organismes de gestion et de défense, ou ODG -, en réalité, la diversité est toujours la règle. La question de l'obligation d'adhésion à ces ODG n'est pas négligeable, notamment au regard du coût supplémentaire que la cotisation entraîne, mais je ne développerai pas ici, compte tenu du temps dont je dispose.

En revanche, dans le secteur du vin - mais pas seulement -, il semblerait que de nombreux professionnels s'inquiètent de voir déjà de fortes hétérogénéités dans le niveau de découpage géographique auquel correspondent ces nouvelles structures. Il y a là en effet le risque de voir apparaître des « super ODG » correspondant à un niveau suprarégional, ce qui est totalement étranger à l'idée d'un lien étroit entre l'AOC et son terroir. Ainsi pointe le danger d'aboutir à une vision très standardisée des AOC.

Ensuite, est avancée comme autre justification de la réforme le noble objectif de garantir la neutralité des structures de contrôle, qui serait sujette à caution en l'état actuel du droit. Le rapport note que, du fait de l'appartenance de producteurs aux organismes d'agrément, ceux-ci ont été accusés d'être à la fois juge et partie.

La réforme vise donc à mettre fin à cette partialité structurelle en créant des organismes de contrôle distincts. Si partialité il y a, nous considérons que cette séparation fonctionnelle affichée sera un faible remède dans la mesure où les organismes de contrôle sont, certes, agréés par l'INAO, mais sur proposition des ODG ! Quant à leur composition, elle reste à disposition.

Mes chers collègues, nous sommes tous soucieux de la défense de notre patrimoine naturel et culturel, et pourtant nos discours divergent lorsque nous évoquons nos visions de l'agriculture. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen considèrent, sans verser dans le corporatisme, que les savoir-faire agricoles doivent être promus, protégés, reconnus en lien étroit avec le territoire auquel ils sont attachés. Or cette reconnaissance ne peut, selon nous, se faire si la politique agricole suit le sillon tout tracé des standards communautaires et internationaux. On simplifie les étiquettes, on a déjà commencé à simplifier les saveurs. Nous ne voulons pas de ces dérives.

Au nombre des objectifs que le Gouvernement s'est fixés, la réforme proposée remplira sans aucun doute celui de la simplification des signes, peut-être moins celui de la lisibilité. En revanche, nous craignons qu'elle ne permette pas de rétablir le lien de confiance entre le consommateur et le producteur. En témoignent, dans le domaine des AOC du vin, les appréciations divergentes selon les AOC et les comportements des professionnels concernés.

Par ailleurs, je suis loin d'être persuadé que cette simplification contribue à la relance de la confiance et de l'intérêt mutuel en termes de pouvoir d'achat pour les consommateurs et de revenu pour les agriculteurs, les viticulteurs et l'ensemble des producteurs.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir m'excuser par avance, car je ne pourrai pas participer à la suite de cette discussion, comme je l'aurais pourtant vivement souhaité. Mais les TGV n'attendent pas !

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