Eh oui, le temps passe vite, monsieur le président !
Si l’on exclut la proposition de loi portant sur le même sujet et émanant du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, le Parlement examine aujourd’hui pour la première fois un texte visant à réaliser l’objectif constitutionnel d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, en l’occurrence dans les instances de décision des grandes entreprises. Il est en effet nécessaire de passer de la théorie à la pratique, des grandes intentions aux actes.
Aujourd'hui pourrait rester une date mémorable, car le sujet dont nous traitons en cet instant dépasse les clivages partisans, ainsi que l’intervention à l’instant de Mme Panis, première vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, l’a montré.
L’Assemblée nationale a en effet adopté, à la mi-janvier de cette année, une proposition de loi déposée conjointement par M. Jean-François Copé, président du groupe UMP, et Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Ce texte, comme celui que nous examinons ce matin, fixe un objectif de 40 % de femmes au sein des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, ainsi que dans les organes des entreprises publiques.
Quelles que soient nos appartenances politiques, nous faisons le même constat : les femmes sont sous-représentées dans les instances décisionnelles de l’entreprise. En tirons-nous les mêmes conclusions ? Faut-il se résigner, faut-il agir ? Comme dirait le poète, « faut-il pleurer, faut-il en rire ? » C’est du reste une question que nous nous posons souvent à propos des manquements à l’égalité entre les femmes et les hommes !
Ainsi que vous l’avez fort bien dit, madame la secrétaire d’État, il s’agit de libérer les femmes du statut de variable d’ajustement qui est trop souvent le leur dans le domaine économique.
En juillet dernier, à l’occasion d’un grand débat sur la place des femmes administrateurs dans les sociétés françaises cotées, nous avait été remise une étude brossant un tableau, sinon exhaustif, du moins largement représentatif de la situation des inégalités professionnelles. Les termes de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le « plafond de verre » y sont parfaitement décrits.
Le taux d’activité des femmes se rapproche de plus en plus de celui des hommes. Dans certaines professions, la féminisation est telle que c’est même la place des hommes qui se trouve menacée ; notre collègue Jacques Mézard a évoqué le cas de l’École nationale de la magistrature. Dans la mesure où la parité suppose l’égal accès aussi bien des hommes que des femmes à certaines fonctions, peut-être un jour les hommes nous remercieront-ils de l’avoir inventée : c’est alors eux que la parité protégera !
La proportion de femmes diplômées de l’enseignement supérieur tend à dépasser celle des hommes chez les moins de quarante-cinq ans. Malgré cela – les chiffres présentés dans l’étude que j’évoquais sont éloquents –, les femmes ne sont pas suffisamment présentes dans les instances de décision. Elles ne représentent globalement que 6 % ou 7 % des dirigeants d’entreprise et cette proportion est, hélas ! apparemment stable. La proportion des femmes dans les conseils d’administration est à peine supérieure : 10 % en moyenne, 14 % dans les petites entreprises, et 8 à 9 % dans les grandes et moyennes entreprises.
Même si l’on observe une légère amélioration de 2007 à 2008, convenons que ces chiffres sont faibles et homogènes. Ajoutons qu’une proportion notable d’entreprises sont dirigées par un conseil d’administration uniquement masculin.
Les comparaisons internationales ne sont guère flatteuses pour notre pays : nous sommes loin derrière la tant citée Norvège, mais aussi la Suède, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas, ce qui confirme, une fois de plus, l’avance des pays nordiques en ce domaine. Or, dans ces pays, les pouvoirs publics ont pris la décision d’imposer des mesures contraignantes et obligatoires, à l’image de celles que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui.
J’ai pu me rendre compte de l’intérêt d’une telle politique lors d’un déplacement en Norvège que j’ai effectué avec ma collègue Jacqueline Panis, au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes, et Marie-Jo Zimmermann et Danielle Bousquet, qui représentaient la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes. À cette occasion, nous avons pu rencontrer le ministre norvégien qui avait été à l’origine du projet de loi ayant permis de mieux représenter les femmes au sein des conseils d’administration des entreprises.
Cet ancien ministre de l’industrie, un pêcheur – et, en Norvège, un pêcheur n’est jamais simplement propriétaire d’une petite barque ! –, nous a déclaré ne pas être féministe. Nous l’avons cru. Il a également expliqué qu’il avait à l’époque mené une étude très approfondie sur le caractère vertueux de la présence des femmes au sein de l’entreprise. Leur absence constituait, selon lui, un problème. Fort de ce constat, sans solliciter son président de groupe ni les partenaires qu’il aurait pu avoir – il appartenait au parti conservateur –, il a déposé un projet de loi dont les dispositions devaient s’appliquer en deux temps. Dans un premier temps, les entreprises devaient se mettre « à niveau » si elles voulaient éviter que le législateur intervienne de manière contraignante.
C’est alors que les conservateurs ont perdu les élections ; il s’est même demandé si cette proposition n’y avait pas été pour quelque chose !