Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi d’Hervé Maurey, que nous examinons aujourd’hui, a pour objet de réduire le nombre des contrats d’assurance sur la vie « en déshérence », c’est-à-dire non réclamés par leurs bénéficiaires après le décès de l’assuré. Il s’agit incontestablement d’un problème dont la solution est délicate à établir de manière satisfaisante.
Pour mieux situer l’enjeu, rappelons que les contrats d’assurance sur la vie, au nombre de 30 millions, atteignent un encours de 1 265 milliards d’euros en 2010, que leur progression est de l’ordre de 10 % par an et qu’ils représentent 80 % du PIB.
Il est, par définition, difficile de connaître le nombre exact des contrats d’assurance sur la vie non réclamés, hors contrats souscrits dans le cadre d’emprunts. Selon les estimations, et les personnes interrogées, le montant des encours concernés se situerait entre 700 millions d’euros et 5 milliards d’euros. C’est une somme importante, mais qu’il faut rapprocher de l’encours total que j’évoquais à l’instant de 1 265 milliards d’euros.
Les raisons pour lesquelles un contrat n’est pas réclamé sont liées à des problèmes d’information : il se peut que l’assureur ne soit pas informé du décès de l’assuré, que le bénéficiaire ignore qu’un contrat a été souscrit à son profit, ou encore que l’assureur peine à trouver le bénéficiaire.
La loi du 15 décembre 2005 a permis aux assureurs de se regrouper, au travers d’un organisme dédié, l’AGIRA, afin de créer un guichet unique permettant à toute personne de s’informer de l’existence d’une stipulation en sa faveur.
L’AGIRA I a reçu 20 000 courriers en 2007, 26 000 en 2009. Depuis sa création, 7 499 contrats ont été détectés, pour un encours total de 205 millions d’euros.
La loi du 17 décembre 2007 est allée plus loin, en imposant aux assureurs l’obligation de s’informer sur le décès éventuel de l’assuré et en leur donnant la capacité juridique et technique de procéder à cette vérification par l’accès au répertoire national d’identification des personnes physiques. C’est le dispositif intitulé AGIRA II.
Dans le cadre d’accords nationaux, les assureurs sont convenus de faire porter prioritairement leur recherche sur les assurés de plus de quatre-vingt-dix ans et sur les contrats supérieurs à 2 000 euros Cette somme, définie par arrêté ministériel, s’applique à l’article L. 132-22 du code des assurances, qui prévoit une obligation d’information annuelle du souscripteur.
La mise en place du dispositif AGIRA II nécessitait une autorisation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a été accordée en décembre 2008.
Les premiers résultats témoignent d’une forte utilisation. Depuis septembre 2009, on recense en moyenne 1 million de consultations mensuelles. Elles atteignent le nombre de 1, 662 million pour le seul mois d’octobre 2009.
Déposée moins de deux ans après l’adoption définitive de la loi du 17 décembre 2007, et moins d’un an après la mise en place d’AGIRA II, la présente proposition de loi constitue une nouvelle étape législative. Son auteur, notre collègue Hervé Maurey, a souhaité ainsi, fort justement, renforcer le dispositif en place.
Si la commission des lois et moi-même adhérons pleinement à l’objectif visé par le texte, nous considérons toutefois qu’il intervient un peu tôt après la mise en application effective de la loi de 2007. Nous avons donc souhaité appuyer l’économie générale des mesures figurant dans la proposition de loi, en prenant soin de ne pas remettre en cause l’équilibre atteint par la réforme de 2007.
La commission des lois a ainsi souhaité, par le biais de ses amendements, d’une part, renforcer les obligations d’information des assureurs et, d’autre part, ne pas revenir sur la réforme de l’acceptation de la clause bénéficiaire.
Permettez-moi d’examiner plus en détail les quatre articles que contenait initialement la proposition de loi.
L’article 1er tendait, en premier lieu, à rendre annuelle l’obligation de s’informer de l’éventuel décès de l’assuré lorsque celui-ci n’a pas accusé réception de la communication annuelle à trois reprises consécutives, pour des contrats supérieurs à 2 000 euros.
Cette obligation a semblé trop restrictive à la commission, car elle aurait permis à l’assureur d’attendre un délai de trois ans sans accusé de réception avant de devoir procéder à la vérification du décès éventuel de l’assuré, et ce quel que soit l’âge de ce dernier. Depuis l’entrée en vigueur d’AGIRA II, les assureurs ont déjà procédé au contrôle des contrats pour lesquels la provision mathématique était supérieure à 2 000 euros et l’assuré âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, s’ils n’avaient pas de contact avec lui depuis au moins deux ans.
La commission a jugé souhaitable d’aller plus loin, de façon plus simple et plus systématique, en prévoyant une obligation annuelle de consultation du répertoire national d’identification des personnes physiques pour tous les contrats dont la provision est supérieure à 2 000 euros et sans condition d’âge du souscripteur.
L’article 1er visait, en deuxième lieu, à imposer une obligation de recherche du bénéficiaire du contrat lorsqu’il apparaît, à l’issue de la recherche, que l’assuré n’est pas décédé, mais qu’il n’a pas accusé réception à trois reprises consécutives. Pour la même objection de lourdeur matérielle, la commission n’a pas retenu cette mesure.
En troisième lieu, l’article 1er du texte initial prévoyait d’imputer au bénéficiaire les frais de vérification de l’éventuel décès de l’assuré, ainsi que les frais de recherche de ce bénéficiaire.
La commission a considéré qu’il était injustifié de faire peser sur ce dernier des coûts dont il n’est nullement responsable. Une telle disposition aurait ouvert la porte à des dérives très pénalisantes pour les bénéficiaires. Il appartient en outre à l’assureur de vérifier que la clause bénéficiaire du contrat a été rédigée de manière suffisamment claire pour que le bénéficiaire puisse être aisément retrouvé. La commission a donc écarté cette disposition.
En quatrième lieu, l’article 1er de la proposition de loi initiale prévoyait la publication annuelle, par les assureurs, d’un état indiquant le nombre et l’encours des contrats non réclamés répondant aux critères de montant, soit 2 000 euros, et d’âge, soit plus de quatre-vingt-dix ans, précédemment évoqués.
Une telle obligation de transparence n’a pas semblé, aux yeux de la commission, véritablement opérationnelle. Cette dernière a préféré créer, en insérant un article 1er bis dans le texte, une obligation d’annexer aux comptes annuels un état des démarches effectuées au titre des dispositifs AGIRA I et II, et ce quel que soit l’âge du souscripteur. Cela rejoint le souci de transparence exprimé par notre collègue Hervé Maurey.
L’article 2 du texte initial envisageait des formalités lourdes et coûteuses d’accusés de réception de la communication annuelle de l’assureur par le souscripteur et de notification d’un éventuel changement d’adresse de ce dernier.
La commission a préféré supprimer ces dispositions, là encore dans un souci de simplification. De surcroît, le texte proposé par la commission tend à imposer aux assureurs une obligation de vérification plus systématique.
Le même raisonnement a prévalu pour l’article 3 du texte initial, qui prévoyait l’intervention de tiers agréés pour la recherche des bénéficiaires.
Enfin, en ce qui concerne l’article 4 de la proposition de loi initiale, la commission a estimé que le caractère révocable de la stipulation par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie en faveur du bénéficiaire du contrat remettait significativement en cause l’équilibre de la loi de 2007, ce que nous ne souhaitions pas. En conséquence, la commission a supprimé l’article.
Telles sont, mes chers collègues, les grandes lignes des propositions de la commission des lois. À l’évidence, nous avons travaillé en étroite concertation et dans la plus grande transparence avec notre collègue Hervé Maurey, dont je salue le travail, l’écoute et la compétence. Notre souci principal, avant d’envisager toute nouvelle disposition, était de ne pas compliquer ni alourdir les dispositifs AGIRA I et II, déjà opérationnels, et dont les effets semblent positifs.
Le sujet des assurances sur la vie non réclamées est sensible, particulièrement en un temps où l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Il méritait notre examen le plus attentif.
En conclusion, je ne sous-estime pas le débat sur ce qu’il est convenu d’appeler les contrats non réclamés ou en déshérence. Force est de reconnaître que des suspicions pèsent sur leur nombre, leurs montants et leurs origines. L’initiative de notre collègue Hervé Maurey, replacée dans l’esprit de la loi de 2007, a le grand mérite de dépasser ce débat, en s’attachant à l’aspect pragmatique du sujet. Il s’agit, en effet, de réduire le phénomène, en perfectionnant les dispositifs existants.
Plutôt que de chercher à définir ce qu’est un contrat tombé en déshérence, nous nous sommes attachés à faire en sorte que chaque contrat finisse par trouver son bénéficiaire. Tel est l’objet que s’est fixé la commission des lois, et qui a inspiré la réflexion de votre rapporteur.