Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Christian Jacob et de plusieurs de ses collègues, transmise par l’Assemblée nationale, et à laquelle la conférence des présidents a décidé, à juste titre, d’adjoindre, d’une part, la proposition de loi déposée au Sénat par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et, d’autre part, le texte que j’ai moi-même présenté avec plusieurs de mes collègues.
L’Assemblée nationale a adopté son texte le 11 mai, soit il y a exactement trois semaines. La commission de l’économie a donc dû travailler très rapidement.
Or la proposition de loi, bien qu’elle ne comporte qu’un nombre réduit d’articles, porte sur une question complexe dans ses aspects techniques et considérable par ses conséquences économiques. Nous n’avons heureusement pas peur de la difficulté, et la question des gaz et huiles de schiste commence à nous être familière, tant la mobilisation autour de cette question a été importante dans nos territoires.
Permettez-moi avant tout de rappeler de quoi nous parlons exactement. Sur cette question, qui était encore inconnue il y a six mois du grand public et, disons-le, de la plupart des élus eux-mêmes, les termes techniques ont leur importance.
Les hydrocarbures non conventionnels, dont la principale variété en France est constituée par les gaz et les huiles de schiste, sont stockés dans une roche profonde, dite « roche-mère », souvent située à 2 000 ou à 3 000 mètres de profondeur. L’huile de schiste, qui est une forme de pétrole, concerne plutôt le Bassin parisien, tandis que le gaz de schiste, qui est en fait du méthane, est présent notamment dans des régions du sud de la France.
On évalue les ressources en gaz de schiste à une ou plusieurs dizaines d’années de consommation. Il pourrait donc s’agir d’un avantage considérable non seulement pour notre balance commerciale, mais aussi pour la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de la France.
Je dois préciser toutefois que ces chiffres ne sont que des approximations, fondées sur des données partielles, selon des méthodes théoriques. Seuls des forages et des tests permettraient de déterminer ce qu’il en est réellement.
Cela m’amène au second point technique.
L’exploitation commerciale de ces gaz et huiles de schiste, en l’état des connaissances, n’est pas possible sans fracturation hydraulique. Des experts et des industriels m’ont parlé de plusieurs pistes possibles pour fissurer la roche sans eau ou sans produits chimiques, mais ces techniques n’en sont pas encore au stade de l’industrialisation. Il faudra évaluer le moment venu leur efficacité et leur impact sur l’environnement.
La fracturation hydraulique consiste à injecter dans la roche de grandes quantités d’eau, mélangées à du sable et à des adjuvants chimiques, afin de provoquer des mini-fissures et de pouvoir ainsi récupérer les ressources qui y sont contenues. Il ne s’agit pas de faire exploser la roche, contrairement à ce que l’on voit sur des schémas très simplificateurs.
Cette technique est pratiquée depuis le milieu du xxe siècle dans le monde. Elle a été utilisée une cinquantaine de fois en France, y compris sur des gisements conventionnels, et apparemment sans dommage pour l’environnement. Mais elle a été utilisée à une tout autre échelle aux États-Unis, depuis le début des années 2000 : un million de fracturations auraient été réalisées dans ce pays. Nous entrons donc dans une autre dimension, avec des dommages sur l’environnement qui semblent avérés. Les conditions d’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis ont notamment mis en évidence une maîtrise incomplète des techniques de forage et une régulation insuffisante des activités par la puissance publique.
Or le manque d’information lors de l’attribution des permis d’exploration en France a fait craindre, un temps, que notre pays aille appliquer des règles anciennes, manquant de transparence, à des activités nouvelles qui demandaient pourtant une rénovation du cadre réglementaire et de meilleures garanties de préservation de l’environnement.
Face à la mobilisation venue de la base et des territoires, le Gouvernement a répondu avec célérité, en demandant dès février 2011 aux entreprises concernées de suspendre leurs forages en attendant les résultats d’une mission conduite par les corps d’inspection de l’État que sont le CGEDD et le CGIET.
L’Assemblée nationale a, pour sa part, lancé une mission d’information dirigée par nos collègues François-Michel Gonnot et Philippe Martin. Les contraintes du calendrier législatif ne nous permettent malheureusement pas de disposer de leurs conclusions au moment où nous examinons ce texte au Sénat, et nous le regrettons très sincèrement, madame la ministre.
La suspension demandée par le Gouvernement était provisoire : elle ne répondait pas à l’exigence qui s’est manifestée dans nos territoires. Nous avons donc été nombreux, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à déposer ou à cosigner des propositions de loi, qui, malgré leurs différences, tendent toutes à interdire l’exploration et l’exploitation avec fracturation hydraulique et à abroger les permis existants : trois propositions de loi ont été déposées par les députés et deux par les sénateurs, émanant d’élus de la majorité comme de l’opposition.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est réunie le mercredi 25 mai et elle a adopté le texte transmis par l’Assemblée nationale, en le complétant par trois amendements déposés par notre collègue Claude Biwer et soutenus par le groupe de l’Union centriste. Le texte que je vais vous présenter est donc, me semble-t-il, équilibré.
L’article 1er, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, vise à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.
Cet article résout le problème central : il met fin à l’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre des deux procédures prévues par le code minier, à savoir l’exploration et l’exploitation, dont les modalités actuelles ne sont pas adaptées à la perspective d’une utilisation massive de cette technique.
Faut-il définir dans la loi la fracturation hydraulique ? Cette technique bien connue recourt à l’injection sous pression d’un fluide mélangé à des agents chimiques afin de provoquer des fissures dans la roche. Il sera donc facile de prouver devant un juge une éventuelle infraction à cette interdiction.
Je le rappelle, la question ayant été posée, l’article 1er ne concerne pas la géothermie profonde, énergie renouvelable d’avenir pour notre pays.
La commission a toutefois prévu, sur proposition de M. Claude Biwer, une dérogation en autorisant des projets scientifiques d’expérimentation. Puisqu’il s’agit de la principale modification apportée au texte par notre commission, je vais m’efforcer d’en expliquer la portée.
Alors que les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures prévus par le code minier correspondent à une initiative privée, motivée par la perspective ultérieure d’une éventuelle exploitation commerciale, les projets d’expérimentation introduits ici seront conduits sur l’initiative de l’État et sous son contrôle. Ils auront pour objet de déterminer l’état des ressources, d’étudier les conséquences des techniques de forage et de fracturation de la roche, afin de les améliorer si possible.
Il est essentiel de chercher à connaître le niveau de nos ressources. Sommes-nous certains que nous pourrons nous priver définitivement de cette source d’énergie, alors même que des pays peu suspects de laxisme dans la protection de l’environnement s’engagent dans cette voie ? Je pense, par exemple, à l’Allemagne ou aux pays scandinaves. Un rapport parlementaire anglais vient aussi de s’opposer à tout moratoire concernant les gaz de schiste.
Ces travaux seront menés dans la transparence, grâce à la création à l’article 1er bis d’une commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux. Cette commission nationale réunira des représentants des cinq collèges du Grenelle de l’environnement. Les résultats des projets d’expérimentation seront bien évidemment rendus publics.
Il faudra répondre aux questions qui se posent à nous après six années d’exploitation intensive aux États-Unis : faut-il interdire l’utilisation d’eau provenant des nappes phréatiques ? Faut-il fixer une liste limitative d’agents chimiques autorisés ? Comment réglementer le retraitement des boues et de l’eau de récupération ? Les produits toxiques peuvent-ils être remplacés par des composés non toxiques ?
Une étude préalable des milieux naturels et des nappes phréatiques devra également être conduite, ce qui n’a pas toujours été fait aux États-Unis, afin de nous donner la capacité de déceler tous les effets que les forages auraient sur les ressources naturelles.
La France dispose de chimistes et de géologues ; elle a les moyens d’apporter des réponses rigoureuses à des questions difficiles. L’expertise scientifique peut s’appuyer sur des organismes de qualité, tels que le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques ou l’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles. Un comité scientifique pourrait également éclairer les travaux de la commission nationale.
Nous avons aussi la capacité de mettre au point et d’imposer une régulation sanitaire et environnementale meilleure qu’aux États-Unis, en veillant à la transparence et à l’information du public et des élus locaux.
Il est essentiel de construire une compétence française dans la connaissance et, éventuellement, l’exploitation des couches géologiques profondes dans le respect de l’environnement, alors que nous dépendons aujourd’hui d’expertises et de technologies élaborées aux États-Unis. C’est à cette condition que nous serons en mesure de fonder nos décisions futures sur une évaluation réelle et complète des faits.
Une fois ce cadre établi, l’article 2 tend à poser le principe de l’abrogation des permis exclusifs de recherches dont le titulaire prévoit d’employer la technique de fracturation hydraulique.
Interdire tous les permis de recherches d’hydrocarbures non conventionnels aurait été inefficace, parce que les permis n’indiquent pas les techniques employées. Quant aux dossiers déposés pour l’instruction des permis, ils ne mentionnent pas nécessairement la technique employée et n’ont pas une valeur juridique suffisante pour justifier une abrogation du permis. Une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende est d’ailleurs instituée à l’encontre de celui qui procéderait tout de même à une fracturation hydraulique.
Certains craignent que les industriels ne fassent une fausse déclaration. Je rappelle qu’il s’agit d’une opération lourde, qui nécessite l’emploi de 10 000 à 20 000 mètres cubes d’eau pour un puits, une emprise au sol d’un ou deux hectares et une activité fournie pendant plusieurs semaines, en comptant le temps du forage et celui de la remise en état du site. Il n’y a aucune crainte à avoir sur la mise en application effective de la loi, à laquelle nos concitoyens et nos élus seront très attentifs.
Je rappelle que les propositions de loi comportaient initialement un article 3, qui visait à réformer le code minier afin d’améliorer les procédures d’information et de participation du public. Cet objectif doit être approuvé, car le code minier est, sur bien des aspects, en retard. L’évolution des techniques doit en effet nous conduire à améliorer la transparence des opérations, à faire progresser l’information et la participation du public comme des collectivités. L’esprit de la convention d’Aarhus et de la Charte de l’environnement doit inspirer une réforme de ce droit.
Je crois tout particulièrement que, contrairement à ce qui se passe pour d’autres activités industrielles, les collectivités territoriales ont été laissées trop à l’écart des activités minières qui se déroulaient sur leur sol, comme si le mouvement de décentralisation engagé depuis près de trente ans n’avait pas eu lieu. Il faudra revoir les procédures d’implication des collectivités territoriales afin de les informer plus en amont et plus complètement de ces opérations techniquement complexes. Il faudra aussi construire une fiscalité minière plus favorable aux communes concernées par les activités minières ; les industriels eux-mêmes y sont favorables, ce qui facilitera le dialogue.
Il a semblé cependant préférable aux députés et aux membres de notre commission de traiter ces questions dans le cadre d’autres projets de loi. En effet, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 13 avril dernier, un projet de loi de ratification du nouveau code minier, dont certaines dispositions vont précisément dans ce sens.