Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes confrontés à un mode de gouvernance de moins en moins satisfaisant. Le Parlement est amené à légiférer sur la question complexe des gaz de schiste alors que rien, absolument rien ne justifie une telle précipitation si ce n’est la mobilisation citoyenne, laquelle est bien évidemment légitime. Mais, nous, parlementaires, devons-nous réagir à chaud et dans l’urgence ? Personnellement, je ne le crois pas, à plus forte raison au sein de notre Haute Assemblée, connue pour sa grande sagesse.
On nous demande de faire du mauvais travail législatif pour tenter de corriger les erreurs et les égarements du Gouvernement et d’un ministre d’État. On nous demande ainsi d’adopter au plus vite, sans même disposer de tous les éléments scientifiques et objectifs, une proposition de loi rédigée à la hâte par nos collègues députés.
Or, avant même son adoption définitive, il est évident que ce texte n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste. Il est donc de nature à ne satisfaire personne ; la forte mobilisation citoyenne ne faiblira pas, les industriels concernés ne pourront poursuivre leurs recherches et notre pays risque de se priver de ressources essentielles, à un moment où nous redéfinissons notre politique énergétique, que nous souhaitons toujours fondée sur le principe de l’indépendance.
C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe du RDSE, nous avions souhaité un débat sur la question des gaz de schiste plutôt qu’une loi. Il est encore trop tôt, nous semble-t-il, pour légiférer sur le sujet.
Mes chers collègues, personne n’ignore que les gaz de schiste suscitent des convoitises et font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la science n’a pas encore apporté toutes les réponses. Toutefois, l’enjeu est considérable ! Or nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est, au vu des expériences pratiquées dans d’autres pays, que l’exploitation du gaz de schiste est loin d’être neutre d’un point de vue écologique, du moins pour le moment et en l’état des outils techniques et scientifiques dont nous disposons.
Les gisements sont très profonds – jusqu’à trois kilomètres sous la surface de la terre – et la seule pression ne suffit pas à faire émerger l’huile et le gaz de schiste. Si ces sources ont longtemps été délaissées, c’est parce qu’elles sont plus difficiles et potentiellement plus coûteuses à exploiter.
La technique retenue depuis une dizaine d’années pour les exploiter consiste à forer verticalement jusqu’au schiste, puis horizontalement, avant, depuis la surface, d’injecter sous pression un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques destiné à fracturer la roche et à permettre au gaz de circuler pour être pompé. C’est désormais la fameuse technique de la fracturation hydraulique.
De nombreux arguments sont avancés pour plaider purement et simplement contre l’exploitation des gaz de schiste.
Tout d’abord, les grandes quantités d’eau nécessaires à la fracturation hydraulique effrayent. Selon l’Institut français du pétrole, chaque fracturation nécessite de 10 000 à 15 000 mètres cubes d’eau, dont seule une partie est récupérée. Sachant que chaque puits peut être fracturé plusieurs fois, la consommation d’eau requise est absolument considérable. Il est vrai que cette perspective va à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable, surtout à l’heure où la menace de sécheresse devient une réalité sur nos territoires.
Ensuite, les produits chimiques utilisés seraient toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Plusieurs affaires récentes de pollution de l’eau ont suscité l’émoi aux États-Unis comme au Canada. Le documentaire Gasland a particulièrement choqué l’opinion en montrant un robinet d’eau prenant feu. Cependant, une étude scientifique américaine récente, si elle met en évidence des cas de contamination de l’eau potable, estime que la contamination serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits.
Par ailleurs, les rejets accidentels de méthane, gaz à effet de serre, sont aussi pointés du doigt, tout comme le retraitement de boues toxiques remontant à la surface.
Enfin, l’implantation de machines à forer et les installations connexes constituent indéniablement des nuisances pour les riverains, notamment du fait du bruit qu’elles provoquent, sans parler de leur impact sur les paysages.
De ce point de vue, la technique de la fracturation hydraulique est dangereuse et va à l’encontre des principes les plus fondamentaux du Grenelle de l’environnement. La lutte contre les gaz à effet de serre ou l’objectif de protection des sources d’eau potable sont tout simplement relégués au second plan de notre politique énergétique et environnementale.
Notre ambition n’était-elle pas non de nous tourner vers de nouvelles énergies fossiles de substitution, dont l’extraction a un impact incertain et pourrait présenter de graves risques pour l’environnement, mais de développer des énergies renouvelables ? Mon collègue Robert Tropeano, particulièrement mobilisé dans son département de l’Hérault, développera ces arguments au cours de son intervention dans la discussion générale.
Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles est contraire à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les conséquences environnementales pour la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste, si elles sont potentiellement graves, sont peu connues. Là est le problème fondamental. Pour ma part, j’insiste sur le fait que, indiscutablement, une incertitude scientifique demeure.
La recherche sur les possibilités d’exploiter demain des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France, ce qui pose également problème.
Les incertitudes sont encore immenses, ainsi que les divergences de point de vue, nous le savons. La semaine dernière, par exemple, c’était au tour de la très sérieuse commission en charge de l’énergie et du changement climatique de la Chambre des communes britannique de donner son avis. Selon elle, la fracturation hydraulique ne présente aucun risque pour l’environnement. Alors qui croire ?
Avec la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je pense qu’il est indispensable de lancer le plus rapidement possible un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux, à l’échelon national, voire européen.
Mes chers collègues, c’est la raison, et non l’émotion, qui devrait guider notre réflexion. Nous attendons réellement, je le répète, que la science nous éclaire. Nous avons besoin de travaux scientifiques sérieux pour faire les bons choix. Nous n’en disposons pas aujourd'hui.
Une fois de plus, nous légiférons dans l’urgence – c’est une habitude – et sous l’emprise de l’émotion, alors que les expertises attendues sur ce sujet ne sont même pas achevées et connues. La mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier devrait rendre ses conclusions dans quelques jours. La mission confiée au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil de l’environnement et du développement durable publiera, quant à elle, son rapport définitif dans le courant du mois de juin. N’aurait-on pas pu attendre quelques semaines ?
Pourquoi tant de précipitation ? Le Gouvernement semble agir sans réflexion suffisante sur un sujet très grave. Il a mis le feu aux poudres ne se laissant d’autre choix a posteriori que de légiférer pour éteindre l’incendie.