Néanmoins, au regard du manque de connaissances scientifiques sur le sujet et compte tenu des enjeux énergétiques auxquels nous sommes confrontés, est-il responsable pour le législateur d’adopter un tel texte ? Les membres du groupe du RDSE n’en sont pas du tout convaincus.
La sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures en toile de fond du débat que nous avons aujourd’hui sur l’exploitation du gaz de schiste.
La France dispose d’une soixantaine de gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et dans le Bassin parisien, dont la production représente à peine 1 % à 2 % de la consommation nationale. En France, 98, 5 % du gaz naturel consommé est donc importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et ne pourra aller qu’en augmentant dans la mesure où notre consommation de gaz est appelée à croître dans les cinquante années à venir.
Malgré les efforts faits pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée en matière de développement d’énergies renouvelables, la France, il faut le rappeler, est toujours aujourd’hui une grande consommatrice d’hydrocarbures et le restera sans doute encore longtemps. Même si l’on peut regretter cet état de fait, il faudra faire avec. Dès lors, l’exploitation de nouvelles ressources paraît presque inévitable et représenterait même un grand intérêt pour notre indépendance énergétique.
Selon une étude publiée en avril 2011 par l’EIA – l’Energy Information Administration –, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. La question de l’exploration et de l’exploitation de ces gisements se pose donc avec une particulière intensité d’un point de vue économique. Nos sous-sols pourraient nous permettre d’acquérir une plus grande indépendance sur le plan énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz. On sait les conséquences que cela pourrait avoir sur les prix du gaz pour nos concitoyens. Notre rôle de parlementaires n’est-il pas aussi de veiller à cela ?
Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie en termes de production de gaz naturel. Ils prennent ainsi la tête du classement mondial. Je n’admire évidemment pas la situation actuelle des États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste – les polémiques vont bon train, je l’ai dit, et certains cas de pollution grave sont avérés –, néanmoins leur exemple prouve à quel point cette ressource peut représenter un enjeu non négligeable, qu’il serait sans doute irresponsable d’ignorer et de refuser a priori.
De fait, l’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée à la légère. Au-delà de la question écologique, qui se pose avec acuité, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient être bouleversés.
Pour en prendre la mesure, encore faudrait-il avoir de véritables certitudes sur le niveau réel des ressources mondiales en gaz et en huile de schiste. À cet égard, le travail des scientifiques n’est pas non plus achevé, ce qui fait cruellement défaut à notre réflexion.
Le débat que nous avons aujourd’hui met une nouvelle fois en évidence l’opposition entre l’enthousiasme pour de nouvelles sources d’énergie et les risques réels que leur exploitation fait peser sur l’environnement. Cela symbolise clairement l’éternel paradoxe auquel nous sommes soumis : notre civilisation peine à satisfaire sa boulimie énergétique, mais elle voudrait être moins dépendante du nucléaire, surtout après les événements de Fukushima. Et je ne parlerai même pas de la fin annoncée de l’ère du pétrole...
L’orientation de notre politique énergétique mérite d’être mise à plat. Nous appelons de nos vœux un plus grand débat sur la politique énergétique de la France. Pourquoi pas un Grenelle de l’énergie, madame le ministre ? Agir dans la précipitation n’est jamais un gage de qualité. L’obscurantisme ne doit pas non plus prendre le pas sur le principe de précaution. Il n’appartient pas au législateur d’interdire aujourd’hui une technique qui sera peut-être mieux maîtrisée demain. C’est selon nous un non-sens.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe du RDSE demandent à l’unanimité un grand débat public, démocratique et transparent sur l’exploitation des gaz de schiste dans notre pays. Nous regrettons d’avoir à nous prononcer sur cette proposition de loi alors que des études sont encore en cours et que des rapports sont sur le point d’être rendus.
Dans ces conditions, et pour les multiples raisons que je viens d’évoquer à cette tribune, aucun des membres du groupe du RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, d’autres s’abstiendront.